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(au comte qui se retire avec eux.) Un mot!

(à Coitier.) Je n'en dis qu'un.
(au comte.) Pareil jeu coûta cher au seigneur de Melun.

Il était comte aussi; partant, prenez-y garde;
Votre salaire est prêt, et Tristan vous regarde.
Même orgueil, même sort. J'ai dit, retirez-vous.
(aux chevaliers et aux courtisans.)

Ce que j'ai dit pour un, je le ferais pour tous.

Le jeune duc de Nemours s'est hasardé à venir à la cour de Louis XI. sous le nom de comte de Réthel et en qualité d'ambassadeur de Charlesle-Téméraire, duc de Bourgogne. Il est reçu en audience publique et solennelle par Louis XI, auquel il expose les griefs que le duc croit avoir contre le roi. L'ambassadeur parlant avec une grande hardiesse, Louis niant, selon sa coutume, les faits qu'on lui impute, il s'ensuit une scène violente. Nemours, au nom du duc de Bourgogne, jette son gant au roi et le défie en combat singulier. Le gant est immédiatement relevé par le jeune Dauphin, mais Louis ordonne de le rendre au téméraire chevalier, dont il estime, dit-il, la valeur, et dont il veut bien excuser l'audace. Le roi examinera les griefs du duc de Bourgogne et fera réparation, s'il y a lieu. L'audience finie, Louis XI renvoie tout le monde et reste en tête à tête avec Tristan, son grand prévôt.

SCÈNE XII.

LOUIS, TRISTAN.

LOUIS. Viens!

TRISTAN. Me voici!

LOUIS. Plus près.

TRISTAN. Là, sire?

LOUIS. Encore un pas.

TRISTAN. J'écouterai des yeux, vous pouvez parler bas.
LOUIS. Eh bien! de ce vassal j'ai pardonné l'outrage.
TRISTAN. Vous l'avez dit.

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Quoi que fasse mon maître, il a toujours raison.
LOUIS. Pourtant à mon cousin si l'avenir réserve

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que le ciel l'en préserve!

TRISTAN. Moi, le vœu que je fais, c'est qu'il n'y manque rien. LOUIS. Tu n'es pas bon, Tristan; ton vœu n'est pas chrétien. Mais si Dieu l'accomplit, tout change alors.

TRISTAN. Sans doute,

LOUIS. Laisser aux mains du comte un traité qui me coûte, Est-ce prudent?

TRISTAN. Tous deux sont à votre merci.

LOUIS. Respect au droit des gens! Non pas: non, rien ici.
TRISTAN. Comment anéantir un acte qu'il emporte?

Louis. Je lui donne au départ une brillante escorte.

TRISTAN. Pour lui faire honneur?

LOUIS. Oui; moi, son hôte et seigneur,

Comme tu dis, Tristan, je veux lui faire honneur.

Qui doit la commander?

TRISTAN.

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(Louis retire son chapeau pour faire une prière, et Tristan l'imite.) LOUIS. (se rapprochant de Tristan après avoir prié.)

Il est fier.

TRISTAN. Arrogant.

Et qui sait? sur la route

LOUIS. Dans un bois écarté,

Par les siens ou par lui tu peux être insulté?

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Au troisième acte, le roi, qui a feint d'offrir au duc de Bourgogne toutes sortes de réparations des griefs dont ce dernier se plaint, est sur le point de jurer, en présence de François de Paule et de toute sa cour, un nouveau traité avec Charles-le-Téméraire. Au moment même où Louis XI va prononcer le serment, le Dauphin entre brusquement, apportant la nouvelle que le duc Charles vient d'être vaincu et tué par les Suisses à la bataille de Nancy. Cet événement eut lieu, en réalité, en 1477, six ans avant la mort de Louis XI, qui ne mourut qu'en 1483. Casimir Delavigne, en plaçant ces deux événements dans la même année, use de la liberté qu'il faut accorder aux poètes dans un sujet historique.

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Vaincu devant Nancy.

LE DAUPHIN.

NEMOURS. Charle!

LOUIS. En êtes-vous sûr?

LE DAUPHIN. Les seigneurs de Torcy,

De Dunois et de Lude en ont eu la nouvelle.
Un de ses lieutenants a trahi sa querelle,

Il a causé sa perte.

LOUIS. Ah! le lâche!

NEMOURS. Faux bruit,

Qu'un triomphe éclatant aura bientôt détruit!
Le duc Charle...

La voici.

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LE DAUPHIN (lui remettant des dépêches). Lisez, sire:

NEMOURS. Vaincu, mort! non: quoi qu'on puisse écrire, Moi, comte de Réthel, au péril de mes jours,

Je maintiens que c'est faux!

LOUIS. C'est vrai, duc de Nemours.

Ainsi, cette nouvelle inattendue fait jeter le masque au monarque, qui refuse de prêter le serment. Après avoir hautement appelé le comte de Réthel par son véritable titre de duc de Nemours, il le fait arrêter, puis, se tournant vers ses chevaliers, il leur dit, transporté de joie, mais à voix basse: Montjoie et Saint-Denis!1 Dunois, à nous les chances! Sur Péronne, au galop, cours avec six cents lances.? En Bourgogne, Torcy! Que le pays d'Artois,

Par ton fait, Baudricourt, soit France avant un mois!
A cheval, Dammartin! main basse sur la Flandre!
Guerre au brave; un pont d'or à qui voudra se vendre.
(au cardinal d'Alby.)

Dans la nuit, cardinal, deux messages d'État:

Avec six mille écus une lettre au légat;

Une autre, avec vingt mille, au pontife en personne.
(aux chevaliers.)

Vous, prenez l'héritage avant qu'il me le donne:
En consacrant mes droits, il fera son devoir;
Mais prenons: ce qu'on tient, on est sûr de l'avoir.
La dépouille à nous tous, chevaliers; en campagne!
Et, par la Pâque-Dieu, des fiefs pour qui les gagne!
(haut et se tournant vers l'assemblée.)

En brave qu'il était, le noble duc est mort,

Messieurs: ce fut hasard quand on nous vit d'accord.
Il m'a voulu du mal, et m'a fait à Péronne

Passer trois de ces nuits qu'avec peine on pardonne;
Mais tout ressentiment s'éteint sur un cercueil:

Il était mon cousin: la cour prendra le deuil.

1 Montjoie et Saint-Denis! pour Montjoie de St.-Denis! était l'ancien cri de guerre des Français. C'est par erreur qu'on y a substitué la conjonction et à la préposition de; car Mont-joie (? montem gaudii) était le nom de la colline près de Paris, sur laquelle saint Denis souffrit le martyre. 2 Une lance ou lance fournie signifiait un homme d'armes, un chevalier avec son accompagnement de plusieurs soldats, de valets et de chevaux. 3 Juron de prédilection du roi Louis XI.

AUGUSTIN THIERRY.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

JACQUES-NICOLAS-AUGUSTIN THIERRY naquit à Blois en 1795. Il fit ses études classiques au collège communal de sa ville natale, entra, en 1811, à l'École normale, occupa quelque temps une chaire en province, quitta bientôt l'Université3 et se fit écrivain politique. Il fut pendant trois ans secrétaire du fameux utopiste SaintSimon, et publia avec lui quelques brochures; mais des divergences d'opinion le séparèrent bientôt de ce prétendu réformateur de la société. Augustin Thierry devint alors journaliste et fut attaché successivement à la rédaction du Censeur européen et du Courrier français. Une polémique libérale soutenue contre les vieilles prétentions de la noblesse le conduisit à faire de plus sérieuses études historiques et à faire des recherches sur les origines de la France. Bientôt il se passionna tellement pour ce genre d'études qu'il abandonna la rédaction du Courrier français, où il avait publié les dix premières Lettres sur l'histoire de France.

En 1825, Augustin Thierry donna son Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands, qui le plaça de prime abord au premier rang des historiens français de son temps. Deux ans après parut l'édition complète des Lettres sur l'histoire de France, ou Introduction à l'étude de cette histoire.

Ces remarquables travaux eurent un succès immense; mais ils coûtèrent la vue à l'auteur, qui ne put continuer ses études qu'avec l'aide de jeunes secrétaires. Après une interruption de deux ans, à iaquelle le forcèrent les suites d'une maladie nerveuse, Augustin Thierry s'occupa de la révision définitive de son Histoire de la conquête de l'Angleterre, réunit tous les travaux historiques de sa jeunesse sous le titre de: Dix ans d'études historiques, publia, en 1840, les Récits des temps merovingiens, et, en 1853, son dernier ouvrage: Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du tiers état. A partir de 1835, il travailla, avec plusieurs collaborateurs, au Recueil des monuments inédits de l'histoire du tiers état, qui fait partie de la grande collection des Documents inédits sur l'histoire de France. Il mourut à Paris en 1856.

Les recherches persévérantes d'Augustin Thierry ont jeté un grand jour sur différentes parties de l'histoire de France, très mal connue avant lui; ses travaux ont encore le mérite d'avoir fait cesser en

1 D'après Vapereau, Dictionnaire des Contemporains. 2 V. p. 502, n. 2. 3 Longtemps il n'y a pas eu d'universités en France dans le sens qu'on donne à ce mot dans les autres pays; la France n'avait que des facultés séparées. Depuis quelques années on commence à y fonder des universités catholiques, des universités libres qui comprennent plusieurs facultés, mais il est question de leur interdire ce nom. Par Université on entend aussi en France le corps enseignant établi par l'autorité publique et sous la surveillance de l'État.

Le comte de Saint-Simon (1760-1825), économiste et chef de la secte dite des Saint-Simoniens, du nom de son fondateur, voulait reconstituer la société sur une base nouvelle, en abolissant la propriété et en créant un culte nouveau.

France des erreurs et des préjugés, qui faisaient honte à l'enseignement. C'est lui qui a appris à ses compatriotes à distinguer les Francs et les Français. Avant Augustin Thierry, les professeurs d'histoire parlaient de la conquête des Gaules par les Français sous Clovis, et regardaient Charlemagne comme un roi français qui avait quelques possessions en Allemagne. La distinction des races victorieuses et des races vaincues, qui domine presque toute l'histoire du moyen âge, a été sa constante préoccupation; il l'a établie définitivement, il l'a même exagérée; peut-être l'a-t-il étendue à des temps où elle avait déjà disparu.

Augustin Thierry occupe le premier rang parmi les historiens de l'école dite narrative. Son imagination poétique, son style pittoresque et saisissant prêtent un charme singulier aux récits du vieux temps.

I. LETTRES SUR L'HISTOIRE DE FRANCE.

LETTRE II.

Sur la fausse couleur donnée aux premiers temps de l'histoire de France.

Une grande cause d'erreur, pour les écrivains et pour les lecteurs de notre histoire, est son titre même, le nom d'histoire de France, dont il conviendrait avant tout de bien se rendre compte. L'histoire de France du cinquième siècle au dix-huitième est-elle l'histoire d'un même peuple, ayant une origine commune, les mêmes mœurs, le même langage, les mêmes intérêts civils et politiques? Il n'en est rien; et la simple dénomination de Français reportée, je ne dis pas audelà du Rhin, mais seulement au temps de la première race, produit un véritable anachronisme.

On peut pardonner au célèbre bénédictin Dom Bouquet d'écrire par négligence, dans ses Tables chronologiques, des phrases telles que celle-ci: „Les Français pillent les Gaules; ils sont repoussés par l'empereur Julien." Son livre ne s'adresse qu'à des savants, et le texte latin, placé en regard, corrige à l'instant l'erreur. Mais cette erreur est d'une bien autre conséquence dans un ouvrage écrit pour le public et destiné à ceux qui veulent apprendre les premiers éléments de l'histoire nationale. Quel moyen un pauvre étudiant a-t-il de ne pas se créer les idées les plus fausses, quand il lit: „Clodionle-Chevelu, roi de France; conversion de Clovis et des Français, etc." Le Germain Chlodio n'a pas régné sur un seul département de la France actuelle, et, au temps de Chlodowig, que nous appelons Clovis, tous les habitants de notre territoire, moins quelques milliers de nouveaux venus, étaient chrétiens et bons chrétiens.

Si notre histoire se termine par l'unité la plus complète de nation et de gouvernement, elle est loin de commencer de même. Il ne s'agit pas de réduire nos ancêtres à une seule race, ni même à deux, les Francs et les Gaulois; il y a bien d'autres choses à distinguer. Le nom de Gaulois est vague; il comprenait plusieurs populations différentes d'origine et de langage; et, quant aux Francs, ils ne sont pas la seule tribu germanique qui soit venue joindre à ces éléments divers un élément étranger. Avant qu'ils eussent conquis le nord de la Gaule, les Visigoths et les Burgondes en occupaient le sud et l'est.

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