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Léopold la victoire de Lens (en Flandre), qui contribua beaucoup à la conclusion de la paix de Munster (1648). Pendant les troubles de la Fronde, Condé, qui avait d'abord défendu la cour, prit ensuite parti contre Mazarin. Arrêté en 1650, il subit une détention de treize mois. Remis en liberté, il ne songea qu'à la vengeance, leva des troupes, marcha sur Paris et défit l'armée royale dans la bataille de Gien, sur la Loire: mais il fut battu luimême par Turenne, dans le faubourg St-Antoine (1652). Après cette défaite, il passa dans les rangs des Espagnols et ne rentra en France qu'après la paix des Pyrénées (1659). En 1668, Condé conquit la Franche-Comté en trois semaines. Il prit une part glorieuse à la guerre de 1672 en Hollande. La bataille de Senef (dans le Hainaut), qu'il livra au prince d'Orange, et où les deux partis s'attribuèrent la victoire, fut son dernier fait d'armes. Condé vécut dès lors dans la retraite, à Chantilly, près de Paris, cultivant les lettres et conversant avec Racine et Boileau.

L'oraison funèbre du prince de Condé est la dernière et la plus célèbre de celles que Bossuet a composées. L'héroïsme n'est rien sans la piété; commander aux hommes n'est qu'illusion, si l'on n'est pas soumis à Dieu, telle est la thèse que l'orateur développe dans ce magnifique disNous en reproduisons l'exorde, le passage sur la bataille de Rocroi et la péroraison.

cours.

1. EXORDE.

Au moment que j'ouvre la bouche pour célébrer la gloire immortelle de Louis de Bourbon, prince de Condé, je me sens également confondu, et par la grandeur du sujet, et, s'il m'est permis de l'avouer, par l'inutilité du travail. Quelle partie du monde habitable n'a pas our les victoires du prince de Condé et les merveilles de sa vie! On les raconte partout; le Français qui les vante n'apprend rien à l'étranger; et quoi que je puisse aujourd'hui vous en rapporter, toujours prévenu par vos pensées, j'aurai encore à répondre au secret reproche que vous me ferez d'être demeuré beaucoup au dessous. Nous ne pouvons rien, faibles orateurs, pour la gloire des âmes extraordinaires: le sage a raison de dire que leurs seules actions les peuvent louer:"2 toute autre louange languit auprès des grands noms, et la seule simplicité d'un récit fidèle pourrait soutenir la gloire du prince de Condé. Mais en attendant que l'histoire, qui doit ce récit aux siècles futurs, le fasse paraître, il faut satisfaire comme nous pourrons à la reconnaissance publique et aux ordres du plus grand de tous les rois. Que ne doit point le royaume à un prince qui a honoré la maison de France, tout le nom français, son siècle et, pour ainsi dire l'humanité tout entière? Louis le Grand est entré lui-même dans ces sentiments. Après avoir pleuré ce grand homme et lui avoir donné par ses larmes, au milieu de toute sa cour, le plus glorieux éloge qu'il pût recevoir, il assemble dans un temple si célèbre ce que son royaume a de plus auguste, pour y rendre des devoirs publics à la mémoire de ce prince, et il veut que ma faible voix anime toutes ces tristes représentations et tout cet appareil funèbre. Faisons donc cet effort sur notre douleur. Ici un plus grand objet et plus digne de cette chaire se présente à ma pensée: c'est Dieu qui fait les guerriers et les conquérants. C'est vous, lui disait David, qui avez instruit mes mains à combattre, et mes doigts à tenir l'épée." S'il inspire le courage, il ne donne pas moins les autres grandes qualités naturelles et surnaturelles et du cœur et de l'esprit. Tout part de sa puissante main: c'est lui qui envoie du 2 Proverbe c. 31, v. 31.

1 Voyez page 73, note 1.

ciel les généreux sentiments, les sages conseils et toutes les bonnes pensées; mais il veut que nous sachions distinguer entre les dons qu'il abandonne à ses ennemis et ceux qu'il réserve à ses serviteurs. Ce qui distingue ses amis d'avec tous les autres, c'est la piété: jusqu'à ee qu'on ait reçu ce don du ciel, tous les autres non-seulement ne sont rien, mais encore tournent en ruine à ceux qui en sont ornés: sans ce don inestimable de la piété, que serait-ce que le prince de Condé avec tout ce grand cœur et ce grand génie! Non, mes frères, si la piété n'avait comme consacré ses autres vertus, ni ces princes ne trouveraient aucun adoucissement à leur douleur, ni ce religieux pontife aucune confiance dans ses prières, ni moi-même aucun soutien aux louanges que je dois à un si grand homme. Poussons donc à bout la gloire humaine par cet exemple: détruisons l'idole des ambitieux; qu'elle tombe anéantie devant ces autels. Mettons ensemble aujourd'hui (car nous le pouvons dans un si noble sujet) toutes les plus belles qualités d'une excellente nature: et, à la gloire de la vérité, montrons dans un prince admiré de tout l'univers que ce qui fait les héros, ce qui porte la gloire du monde jusqu'au comble: valeur, magnanimité, bonté naturelle, voilà pour le cœur; vivacité, pénétration, grandeur et sublimité de génie, voilà pour l'esprit, ne seraient qu'une illusion si la piété ne s'y était jointe, et enfin que la piété est le tout de l'homme. C'est, messieurs, ce que vous verrez dans la vie éternellement mémorable de très haut et très puissant prince Louis de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang.

II. BATAILLE DE ROCROI.

A l'âge de vingt-deux ans, le duc conçut un dessein où les vieillards expérimentés ne purent atteindre; mais la victoire le justifia devant. Rocroi. L'armée ennemie est plus forte, il est vrai; elle est composée de ces vieilles bandes wallonnes, italiennes et espagnoles, qu'on n'avait pu rompre jusqu'alors; mais pour combien fallait-il compter le courage qu'inspirait à nos troupes le besoin pressant de l'État, les avantages passés et un jeune prince du sang qui portait la victoire dans ses yeux? Don Francisco de Mellos l'attend de pied ferme; et, sans pouvoir reculer, les deux généraux et les deux armées semblaient avoir voulu se renfermer dans les bois et dans les marais, pour décider leur querelle, comme deux braves en champ clos. Alors que ne vit-on pas? Le jeune prince parut un autre homme; touchée d'un si digne objet, sa grande âme se déclara tout entière; son courage croissait avec les périls, et ses lumières avec son ardeur. A la nuit qu'il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine, il reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. A la veille d'un si grand jour et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel; et on sait que le lendemain, à l'heure marquée, il fallut réveiller d'un profond sommeil cet autre Alexandre. Le voyezvous comme il vole, ou à la victoire, ou à la mort! Aussitôt qu'il eut porté de rang en rang l'ardeur dont il était animé, on le vit presque en même temps pousser l'aile droite des ennemis, soutenir la nôtre ébranlée, rallier le Français à demi vaincu, mettre en fuite l'Espagnol victorieux, porter partout la terreur, et étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups. Restait cette redoutable

infanterie de l'armée d'Espagne, dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables au milieu de tout le reste en déroute, et lançaient des feux de toutes parts. Trois fois le jeune vainqueur s'efforça de rompre ces intrépides combattants, trois fois il fut repoussé par le valeureux comte de Fontaines, qu'on voyait porté dans sa chaise,1 et, malgré ses infirmités, montrer qu'une âme guerrière est maîtresse du corps qu'elle anime; mais enfin il faut céder. C'est en vain qu'à travers des bois, avec sa cavalerie toute fraîche, Beck précipite sa marche pour tomber sur nos soldats épuisés; le prince l'a prévenu, les bataillons enfoncés demandent quartier; mais la victoire va devenir plus terrible pour le duc d'Enghien que le combat. Pendant qu'avec un air assuré il s'avance pour recevoir la parole de ces braves gens, ceux-ci, toujours en garde, craignent la surprise de quelque nouvelle attaque; leur effroyable décharge met les nôtres en furie; on ne voit plus que carnage; le sang enivre le soldat, jusqu'à ce que le grand prince, qui ne put voir égorger ces lions comme de timides brebis, calma les courages émus, et joignit au plaisir de vaincre celui de pardonner. Quel fut alors l'étonnement de ces vieilles troupes et de leurs braves officiers, lorsqu'ils virent qu'il n'y avait plus de salut pour eux qu'entre les bras du vainqueur! de quels yeux regardèrent-ils le jeune prince, dont la victoire avait relevé la haute contenance, à qui la clémence ajoutait de nouvelles grâces! Qu'il eût encore volontiers sauvé la vie au brave comte de Fontaines! mais il se trouva par terre parmi ces milliers de morts dont l'Espagne sent encore la perte. Elle ne savait pas que le prince qui lui fit perdre tant de ses vieux régiments à la journée de Rocroi en devait achever les restes dans les plaines de Lens. Ainsi, la première victoire fut le gage de beaucoup d'autres. Le prince fléchit le genou, et dans le champ de bataille il rend au Dieu des armées la gloire qu'il lui envoyait: là on célébra Rocroi délivré, les menaces d'un redoutable ennemi tournées à sa honte, la régence affermie, la France en repos, et un règne, qui devait être si beau, commencé par un si heureux présage. L'armée commença l'action de grâces; toute la France suivit; on y élevait jusqu'au ciel le coup d'essai du duc d'Enghien; c'en serait assez pour illustrer une autre vie que la sienne, mais pour lui c'est le premier pas de sa course.

III. PÉRORAISON.

Venez, peuples, venez maintenant; mais venez plutôt, princes et seigneurs, et vous qui jugez la terre, et vous qui ouvrez aux hommes les portes du ciel, et vous plus que tous les autres, princes et princesses, nobles rejetons de tant de rois, lumières de la France, mais aujourd'hui obscurcies et couvertes de notre douleur comme d'un nuage; venez voir le peu qui nous reste d'une si auguste naissance, de tant de grandeur, de tant de gloire. Jetez les yeux de toutes parts; voilà tout ce qu'a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros; des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n'est plus; des figures qui semblent pleurer autour d'un tombeau, et de fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste; des

1 C'est-à-dire: chaise à porteurs, litière.

colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant; et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs que celui à qui on les rend. Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine; pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros. Mais approchez en particulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides; quel autre fut plus digne de vous commander? Mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête? Pleurez done ce grand capitaine, et dites en gémissant: Voilà celui qui nous menait dans les hasards; sous lui se sont formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre; son ombre eût pu encore gagner des batailles, et voilà que dans son silence son nom même nous anime, et ensemble il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux, et L'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure avec le roi de la terre, il faut encore servir le roi du ciel. Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donné en son nom plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu; et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant. Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau, versez des larmes avec des prières, et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien! ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus! et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple. Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, Vous vivrez éternellement dans ma mémoire; votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire: non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface; vous aurez dans cette image des traits immortels; je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroi; et, ravi d'un si beau triomphe, je dirai en action de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple: Et haec est victoria quae vincit mundum, fides nostra: »La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi.<2 Jouissez, prince, de cette victoire, jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue; vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte: heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint. 2 Jère Épître de St-Jean, V, 4.

1 Voyez page 24, note 2.

FLÉCHIER.

NOTICE BIOGRAPHIQUE ET LITTÉRAIRE.1

ESPRIT FLÉCHIER naquit en 1632, à Pernes, dans le comtat d'Avignon. Issu d'une famille pauvre, il entra, à l'âge de 16 ans, dans la congrégation de la doctrine chrétienne, dont son oncle était le général. Après y avoir fait de bonnes études, il fut employé dans l'enseignement. En 1661, il vint à Paris, où il fut chargé d'abord d'apprendre le catéchisme aux plus jeunes enfants. Un poème latin, dont le sujet était assez singulier, attira sur Fléchier l'attention des hommes lettrés. Dans ce poème (Circus regius), il décrivit le carrousel donné par Louis XIV, à Paris, en 1662.2 Le duc de Montausier, gouverneur du Dauphin, se déclara le protecteur de Fléchier et le fit nommer lecteur de ce jeune prince. Fléchier ne tarda pas à se faire connaître comme orateur sacré par des sermons remarquables, mais il réussit surtout dans l'oraison funèbre, où il se place immédiatement après Bossuet. En 1672, il prononça l'oraison funèbre de la duchesse de Montausier, et l'année suivante, il fut reçu à l'Académie française. Le chef-d'œuvre de Fléchier est l'oraison funèbre de Turenne (1676).

Appelé successivement par Louis XIV à l'évêché de Lavaur et à celui de Nîmes, Fléchier honora l'épiscopat par ses vertus évangéliques, sa charité et sa tolérance religieuse, qui le firent aimer et respecter également des catholiques et des protestants. Ceux-ci étaient très nombreux dans l'évêché de Nîmes, et Fléchier fut nommé à ce dernier épiscopat deux ans après la révocation de l'Édit de Nantes. Il mourut en 1710, regretté de tous les gens de bien de son diocèse.

ORAISON FUNÈBRE DE TURENNE.

Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, naquit à Sedan, en 1611, de Henri, duc de Bouillon, et d'Élisabeth de Nassau, fille de Guillaume Ier, prince d'Orange. Il fut élevé dans la religion réformée, que professait sa famille. Il fit ses premières armes en Hollande, sous son oncle, le comte de Nassau, contre les Espagnols. Entré au service de la France, le jeune Turenne s'illustra dans les campagnes de Lorraine et de Piémont, et reçut de Mazarin, en 1643, le bâton de maréchal de France. Pendant la dernière période de la guerre de Trente Ans, il hâta, par ses victoires en Allemagne, la conclusion du traité de Westphalie (1648). Lors des troubles qui déchirèrent la France pendant la minorité de Louis XIV,

1 D'après la Biographie universelle.

2 On appelle carrousel une espèce de jeu militaire qui se compose d'une suite d'exercices à cheval formant des quadrilles, et entremêlés de représentations allégoriques. Les carrousels furent importés d'Italie et remplacèrent les tournois. Le carrousel de 1662, que Fléchier chanta en vers latins, fut donné à Paris sur la grande place entre le Louvre et les Tuileries, qui fut dès lors appelée place du Carrousel.

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