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Devant les autres chiens oserai-je paroître ?
O rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous feroit choses pareilles!

Ainsi crioit Mouflar, jeune dogue ; et les
gens,
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venoient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyoit perdre. Il vit avec le temps
Qu'il y gagnoit beaucoup; car, étant de nature
A piller ses pareils, mainte mésaventure

L'auroit fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée :
Chien hargneux a toujours l'oreille déchirée.

Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui, C'est le mieux. Quand on n'a qu'un endroit à défendre, On le munit, de peur d'esclandre.

Témoin maître Mouflar armé d'un gorgerin;

Du reste ayant d'oreille autant que sur ma main,
Un loup n'eût su par où le prendre.

FABLE X.

Le Berger et le Roi.

DEUX démons à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison;
Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie :
Si vous me demandez leur état et leur nom,
J'appelle l'un, Amour; et l'autre, Ambition.
Cette dernière étend le plus loin son empire;
Car même elle entre dans l'amour.

Je le ferois bien voir; mais mon but est de dire
Comme un roi fit venir un berger à sa cour.

Le conte est du bon temps, non du siècle où nous sommes.

Ce roi vit un troupeau qui couvroit tous les champs,
Bien broutant, en bon corps, rapportant tous les ans,
Grace aux soins du berger, de très notables sommes.
Le berger plut au roi par ces soins diligents.
Tu mérites, dit-il, d'être pasteur de gens:

Laisse là tes moutons, viens conduire des hommes;
Je te fais juge souverain.

Voilà notre berger la balance à la main,

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