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croyait avoir avec elles la moindre res» semblance effrayait : on était si charmé » d'avoir introduit dans l'explication de la »> nature une apparence de mécanisme, » qu'on rejetait sans l'écouter le mécanis » me véritable qui venait s'offrir ».—Ainsi plusieurs se sont déjà révoltés en France contre la philosophie critique, sans la connaître, s'imaginant y voir le retour de la scholastique, qu'ils ne connaissent pas davantage. Quelques formes méthodiques, quelques mots nouveaux, empruntés la plupart de la langue de Platon et d'Aristote, ont donné lieu à cette bisarre terreur. Elle est d'autant moins fondée que la philosophie critique est précisément la seule qui puisse nous garantir avec sûreté du retour d'aucune espèce de scholastique, comme aussi de tout verbiage soi-disant phi losophique, et qui nous donne le mécanisme véritable de l'entendement humain, au lieu de l'apparence dont on est encore si charmé. Mais on dirait que l'Homo sum. est incompatible, en ce sens

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avec le Gallus sum. Delà naît en France

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sur certains points, l'incompréhensible phénomène de la plus parfaite civilisation à côté d'une barbarie presque chinoise d'un savoir encyclopédique qui embrasse tout, à côté d'une ignorante partialité qui repousse toute lumière venant du dehors. Depuis près de vingt ans, une nouvelle philosophie qui intéresse tout le savoir humain et la moralité, qui occupe, soit pour, soit contr'elle, tout ce qu'il y a de savans et d'hommes qui pensent, depuis Koenigsberg jusqu'à Stuttgard, depuis Copenhague jusqu'à Salzbourg, cette philosophie est encore inconnue aux Français, et il ne s'en est pas encore trouvé un seul qui ait entrepris de l'étudier et de la faire connaître à sa patrie! Le nouveau sys

L'auteur du présent ouvrage a commencé il y a cinq ans à en parler dans ses Lettres westphaliennes, et peu après dans les cahiers successifs d'un journal imprimé en Basse-Saxe. Il a même donné sous le titre de Critique de la raison pure, une analyse abrégée de l'ouvrage qui porte ce titre. Mais ces pièces ont été peu connues en France. Cependant depuis lors, la plupart des

tème a donné à l'esprit spéculatif une tendance nouvelle, il a simplifié et rendu aussi lumineux que le jour certains points sur lesquels on ne pouvait s'accorder; et depuis si long-tems que ce système, de-là le Rhin,

journalistes se sont empressés de les copier, de parler de Kant, et de dire le peu qu'ils en savaient, soit en bien, soit en mal. Ce philosophe a acquis de la sorte un nom en France, sans qu'on y sût précisément quelle idée il falloit attacher à ce nom; c'est le Dieu inconnu des Athéniens, qui a un autel, et dont on n'a jamais vu la face. L'année dernière on a publié dans le second volume du Conservateur, la traduction d'un petit ouvrage allemand (abrégé d'un ouvrage de Kant), sur l'accord de la religion avec la raison. Le choix n'était pas très-heureux, mais l'estimable auteur, M. Huldiger (probablement un pseudonyme), a joint à sa traduction quelques considérations sur la philosophie critique, lesquelles prouvent qu'il en a passablement saisi les points principaux, mais qui, vu leur briéveté, ne pouvaient donner que d'insuffisantes lumières à des lecteurs encore non initiés. Voilà, à peu près, à quoi se sont bornées les recherches et les tentatives des Français sur cet objet important.

est discuté, débattu publiquement, on ne se doute pas même en-deçà de l'état de la question! Les programmes des académies et autres corps savans de France, pendant ces quinze dernières années, sont remplis de questions spéculatives, faites avec une entière confiance, annoncées avec solennité, qui néanmoins se trouveraient superflues et insignifiantes dans le point de vue de la philosophie transcendentale. Et pas un de ces corps savans, pas un de ceux qui écrivirent des mémoires sur ces questions n'y eut égard, pas un ne discuta, ne cita même la nouvelle doctrine! C'est ce qu'on a peine à comprendre, et qui nous attire l'improbation de plus d'un de nos voisins. Car enfin, le système de

L'Académie de Lyon avait proposé en 1792 et 95, pour le prix annuel de douze cents livres, fondé par l'abbé Raynal, la question suivante : « Dans l'état actuel de nos mœurs, quelles vérités » et quels sentimens la philosophie et les lettres » devraient-elles inculquer. et développer avec » plus de force pour le plus grand bien de la » génération présente ? » L'Académie avait

Kant renfermât-il des erreurs radicales, dût-il être décidément rejeté, encore estil bon de savoir pour quelles raisons on le doit rejeter? quelle a été la magie, l'illusion qui y a attaché tant d'esprits 9 et qui lui a donné une telle célébrité ? La marche de l'intelligence, dans l'établissement même des grandes erreurs méta

expliqué ses vues dans une brochure intitulée : Coup-d'œil sur les quatre concours pour le prix de l'abbé RAYNAL, etc. (Chez Gattey, au palaisroyal). Il y avait alors plus de dix ans que les bases de la philosophie critique étaient posées en Allemagne; il y en avait six que tous les philoso→ phes de cette nation s'en occupaient avec ardeur; et l'on en ignorait en France jusqu'au nom; tandis qu'aucune découverte de l'Europe savante n'est ignorée en Allemagne. Outre la louable intention de l'Académie de Lyon dans l'énoncé de son programme, on dirait encore qu'une inspiration secrète l'animait, et qu'une étoile lui avait apparu vers le nord, ainsi qu'aux mages de Chaldée. Cette association savante n'est plus. Mais une exposition de la doctrine de Kant remplira, peut-être, en partie le but qu'elle avait proposé aux penseurs de sa nation.

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