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doctrine transcendentale doit aux doctrines
rationnelles ou sceptiques qui l'ont précé-
dée. Ils savent pourtant, et tous ceux qui
sont vraiment initiés savent aussi qu'aucun
philosophe, en mettant à profit les lu-
mières acquises, n'a eu par
lui-même au-
tant d'original, de neuf et de grand, que
Kant. Ceux qui tranchent d'un ton suffi-
sant sur la non-nouveauté d'une opinion,
non seulement ne décident rien, mais
encore seraient très en peine s'il fallait
prouver leur assertion 1. Or les allemans,

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Un autre reproche que certains censeurs font à Kant, c'est la sécheresse de son style, la longueur de ses périodes, le néologisme de quelques expressions, etc. Ce qu'il y a de certain, c'est que Kant a créé une nouvelle langue qui manquait à la philosophie, et qu'il a beaucoup enrichi et précisé la sienne. Au reste, il est à peu-près aussi essentiel pour un métaphysicien d'écrire avec élégance, que pour un général d'armée de savoir bien danser. Tout ce qu'on peut exiger de lui, c'est d'être clair; encore, est-ce à ceux qui veulent le comprendre à l'étudier.

qui ont plus que nous l'habitude de prouver ce qu'ils disent, n'ajouteraient pas foi légèrement à des arrêts de la sorte, et auraient l'incivilité d'exiger qu'on les appuyât de pièces justificatives. Je me suis arrêté un peu sur ce qui précède, parce que j'ai voulu parer d'avance à quelques objections que j'ai bien prévu qu'on ferait en France.

Ce ne sont pas des difficultés d'une pareille nature que je voudrais qui s'élevassent: mon unique vœu est de voir examiner et débattre, avec la sévérité et la gravité qui conviennent à de tels objets, la doctrine célèbre dont j'expose ici les élémens. Une partie éclairée de l'Europe est attentive à l'apparition de cet essai, à la manière dont on le recevra et dont on le jugera. On est aux aguets de ce qu'on appelle la frivolité française mise en contact avec l'assiduité germanique. Je suis loin d'en redouter l'événement pour l'honneur national, quand je songe que cette nation, si aimable et si grande tout à la fois, et que d'autres accusent d'être fri

vole, a donné naissance à Charron, å Descartes, à Pascal, à Mallebranche, à Fénélon, à Bayle, à Buffon; qu'elle renferme encore en son sein des penseurs que n'ont pas entraîné les opinions vulgaires et à la mode, des esprits méditatifs, des lettres sages et instruits.

Cependant, il faut le dire: une différence remarquable s'offre à l'observateur dans la culture intellectuelle de la France et de l'Allemagne. Notre culture et notre célébrité littéraire ont commencé par les belles-lettres, et les sciences ne sont venu qu'ensuite; les poëtes, les romanciers, et puis les savans. Nous avions déjà des ouvrages d'agrément classiques et admirés de toute l'Europe, que le gros de la nation et des hommes de lettres ne s'inquiétait guères des sciences ou exactes, ou spéculatives. Les allemans, au contraire, ont été savans long-tems avant que d'être littérateurs. Ils avaient des mathématiciens

des physiciens du premier rang, tandis qu'en littérature, ils n'avaient encore que

des commentateurs et des érudits. L'influence de la philosophie, celle de l'esprit exact et méthodique était toute-puissante sur le public instruit, avant qu'il y ait un seul poëte national dont les ouvrages aient été dignes de passer à la postérité. Notre première société littéraire a été une assemblée de beaux-esprits, l'Académie française, qui fut, dès sa naissance, décorée d'un éclat très brillant, et d'une vraie majesté littéraire. Chez les allemans, les premières sociétés de ce genre ont été composées de naturalistes, d'astronomes, d'historiens, de géographes, de métaphysiciens, d'érudits; et pendant long-tems ils n'ont pu concevoir l'idée d'une société purement belle - lettriste, pour me servir d'une de leurs expressions. Leurs poëtes, dans les époques successives d'Opitz, de Gellert, de Haller et de Klopstock, ont été euxmêmes de vrais savans, et jusqu'à présent ils n'ont pas cru pouvoir se dispenser d'unę très-solide et très profonde instruction. L'Allemagne savante qui, à raison de sa

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langue, comprend une grande partie du nord de l'Europe, a eu ses Copernic, Ticho-Brahé, Keppler, Athanase Kircher, Hévélius, Tschirnhausen, Puffendorf, Leibnitz, Thomasius, Wolf, Sthal, Bernouilli, et tant d'autres mathématiciens ou philosophes (sans compter tous les philologues qui ont débrouillé le chaos de l'antiquité classique, non plus que Luther, Mélanchton, Sleidan, et tous les théologiens réformateurs) avant que de s'aviser de bel-esprit. Sans doute pour

tant, que le temps et la contrée où tant d'hommes célèbres ont fleuri, n'étaient point un tems, ni une contrée barbare. Le reste de la nation brillait peu aux yeux des étrangers, parce qu'il y a toujours plus d'yeux ouverts sur un roman ou sur une comédie qué sur une équation ou une recherche abstraite. Mais ces réputations éminentes, qui se montrent çà et là prouvent du moins une certaine disposition des contemporains vers l'étude, une certaine élévation dans l'esprit général, et

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