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dans sa dissertation inaugurale, comme professeur à l'université de Koenigsberg, en 1770 1. Mais c'est en 1781 que parut le livre à jamais mémorable, CRITIQUE DE LA RAISON PURE. Kant y enseignait une doctrine nouvelle et ruinait toutes les métaphysiques qui l'avaient précédé, non pas en les attaquant directement

I

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Cette dissertation latine est intitulée De mundi sensibilis atque intelligibilis formá et principiis. Il a donné long-tems auparavant, en 1764, des Considerations sur le sentiment du beau et du sublime, qu'on a traduit, je ne sais pourquoi, en français. Kant n'était pas alors ce qu'il est devenu par la suite. On a fait d'ailleurs parmi ses œuvres, un choix singulier de quelques morceaux pour les traduire dans notre langue. Comment peuvent-ils donner à un, Français la plus légère idée du réformateur de la philosophie ? C'est comme si à un étranger, curieux de connaître notre Montesquieu, on allait expliquer dans sa langue un chant du Temple de -Gnide, l'Essai sur le goût, et deux ou trois Lettres persanes. Il est évident que c'est l'Esprit des lois qu'il faudrait interpréter à cet étranger.

mais en analysant à fond, et dévoilant la nature de l'entendement et de la raison où se forment tous les systèmes. Ce livre renfermait la plus désolante et la plus irréfragable définition du mot savoir, chose que tant de savans ignorent. On eut pu lui appliquer ces deux vers du vieux poëte Hébert, dans son roman des Sept sages:

« Et vérité est la massue

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Qui tot le monde occit et tue. »

Ce livre, qui devait faire un si grand éclat, ne fut d'abord ni compris, ni même lu. Il fut cinq ou six ans dans le monde, sans que personne y fit grande attention ; et un fait certain, c'est que le libraire de Riga qui en avait fait l'édition, allait l'employer comme maculature, quand l'explosion qui survint, l'obligea bientôt d'en faire une seconde, troisième et quatrième édition. Les interprètes et les commentateurs se multiplièrent alors, et présentèrent sous différentes formes la nouvelle doctrine. Parmi ceux qui écrivirent

dans ces premiers tems, il faut distinguer sur-tout Reinhold, philosophe rempli de pénétration et d'onction, gendre du cé lèbre Wieland; et le mathématicien Schulze, à qui l'on doit une théorie trèshardie et très-savante des parallèles.

Cette première réception du public affecta vivement le philosophe. Le regret de n'être pas entendu quand on est fait pour instruire, de voir ses lumières per. dues pour l'humanité, est un mouvement si noble, que la sagesse n'en peut pas mettre à l'abri. Cette disposition générale était cependant facile à prévoir et à expli quer. La nation allemande, il est vrai est essentiellement, méditative et réfléchie; Leibnitz et Wolf avaient alimenté cette disposition de leurs compatriotes. Mais depuis plusieurs années, l'école Leibnitzio-wolfienne était presqu'éteinte ; rien ne l'avait remplacée; le goût du belesprit, qui commençait à prendre dans la littérature allemande, une certaine influence étrangère, sur-tout depuis le règne

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magne,

de Fréderic, et l'établissement d'une académie toute française au centre de l'Alleétouffaient peu-à-peu l'intérêt pour la spéculation. Le peu de vrais philosophes et de wolfiens qui restaient encore, se taisaient faute d'auditoire. Dans les chaires de philosophie, on ne profes sait plus qu'une doctrine ecclectique et superficielle, venue d'Angleterre et de France. Une métaphysique frivole et phrasière avait dégoûté tout le monde d'une étude plus sérieuse, et l'insouciance était devenu (ainsi qu'elle a qu'elle a déjà commencé à l'être en France, trente ans avant la révolution) la seule philosophie qui eût cours. Voilà ce qui fit accueillir avec

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J'ai parlé plus au long de l'état de la métaphysique en Allemage, avant Kant, et de quelques autres objets, dans une Notice imprimée, il y a près de quatre ans, dans un journal qui se publie en Basse-Saxe. Le citoyen François de Neufchateau a trouvé bon de faire entrer cette notice dans un recueil de morceaux inédits, qu'il a intitulé Conservateur.

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tant de froideur un livre, qui d'ailleurs était écrit d'un style très-concis trèsénergique et par-là très- inintelligible pour la plupart des lecteurs ainsi disposés. Telle est peut-être aussi la réception qui attend son interprète en France.

Mais enfin cet état de choses changea; l'esprit spéculatif se réveilla puissamment, et l'on sait depuis quelle fermentation singulière a excité en Allemagne le Kantianisme; fermentation qui laissera de longues traces, et qui caractérise une des époques les plus importantes de l'esprit humain, où la spéculation a été poussée à son plus haut point, par les disciples de Kant, et par ceux de leurs adversaires qui étaient de force à se mesurer avec

eux.

A la Critique de la raison pure, se rapportent principalement ces deux autres ouvrages de Kant: PROLEGOMÈNES, OU Traité préliminaire à toute métaphysique qui désormais tenterait de paraître comme science. Imprimé en 1783. (C'est la Cri

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