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mière faible; ce sont des aperçus, des soupçons, des objections, quelquefois des découvertes importantes qui se perdent et retombent dans l'obscurité avec leurs auteurs. Après bien des indications éparses, viennent quelques hommes, ou un seul homme, qui les rassemblent en un corps, leur donnent un nouveau développement, les fortifient de nouvelles preuves, leur marquent un but, leur assignent une forme; et ces hommes sont comptés, avec .raison, pour des génies créateurs. Ainsi Copernic réforma l'astronomie, et Descartes la spéculation. Ils rasèrent l'ancien édifice, et employèrent quelques-uns de ses débris à en élever un nouveau. D'autres après eux l'achevèrent, ou le laissèrent imparfait, mais du moins y travaillèrent encore; en sorte que l'inventeur se trouve d'ordinaire placé entre ceux qui l'ont précédé, et qu'on appelle ses maîtres et ceux qui le suivent, et qu'on appelle ses disciples; il se distingue d'eux comme ces anneaux principaux d'une chaîne qui

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dépassent tous les autres. Dans nos jours, nous avons été témoins de deux événemens, qui seront à jamais comptés parmi les premiers et les plus importans de l'ordre intellectuel l'apparition de la nouvelle chimie, qui a donné une autre face et une autre direction aux sciences naturelles, à la physique, à l'astronomie même et à la géogonie et celle de la philosophie transcendentale, qui les intéresse toutes, qui, sans en ébranler aucune ', glisse dessous elles une base qui manquait à la plupart des théories. La nouvelle chimie, la nouvelle philosophie, sont les deux tendances majeures de notre âge, les deux degrés scientifiques les plus remarquables qu'a monté notre génération, et qu'elle ne redescendra plus. La France qui avait déjà produit Descartes, se glorifie encore de Lavoisier : l'Allemagne se glorifie de Kant.

EMMANUEL KANT est né, le 22 avril 1724,

1 Aucune, s'entend, de celles qui en méritent le titre; car elle renverse beaucoup de fausses sciences,

à Koenigsberg, capitale du petit pays froid et sablonneux, bordé au nord par la Baltique, et qui porte le titre de royaume de Prusse. Notre philosophe ne s'est jamais éloigné de sa ville natale. C'est de là que sa renominée a rempli le monde. Son histoire ne peut être que celle de ses pensées et de ses ouvrages; sa vie offre peu d'événemens, hormis peut-être un démêlé qu'il eut avec le défunt Roi de Prusse, à qui l'on avait présenté quelques opinions de Kant sous un faux jour, et qui voulait en conséquence lui interdire d'écrire même en exiger une sorte de rétractation; le monarque cependant reconnut son erreur, et céda à la modeste fermeté du philosophe. Du reste les grands de la terre se sont peu mis en peine de notre sage. Ils vivent dans un monde où sa lumière ne pénètre pas, et où l'on croit pouvoir s'en passer '. Kant ne les a pas recherché ;

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1 Alexandre vénérait Aristote en Macédoine, Calanus dans l'Inde ; il visitait le cynique dans son tonneau. Je ne sache pas que le jeune Roi

quelques amis, la méditation et l'étude ont suffi à sa grande ame. Il a vieilli en paix dans son obscure retraite ; mais c'est en vain que les années s'accumulent sur sa tête presque octogénaire, l'éternité a commencé pour lui; la postérité, devant qui les passions contemporaines se taisent, que n'étourdit plus le babil de la sottise ni les sifflemens de l'envie, l'équitable postérité le placera près de Platon, de Descartes et de Leibnitz, avec la supériorité que l'état des lumières dans le siècle où il a vécu, lui assigne sur eux.

On se tromperait, si l'on pensait que Kant n'est que métaphysicien. Pendant le cours de sa longue et laborieuse vie, il a rassemblé une masse de connaissances universelles et profondes, qu'on aurait peine à croire réunies dans la même tête. Son immense mémoire lui a été d'un grand secours : elle lui rend tout présent et clair.

de Prusse, lors de son voyage à Koenigsberg, ait témoigné aucun désir de voir l'homme le, plus célèbre de son royaume.

Il est mathématicien, astronome

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miste ; l'histoire naturelle, la physique, la physiologie, l'histoire, les langues, les lettres et les arts, l'état le plus exact du globe, de ses habitans et de ses productions, tout lui est familier. Aussi ses ouvrages offrent-ils fréquemment des preuves de cette universalité de connaissances; et, philosophie à part, il est un savant du premier ordre dans un pays où le titre de savant n'est point aisé à obtenir. A vingt-deux ans, il débuta par des Pensées sur la véritable évaluation des forces vitales (imprimé en 1746). En 1755, il donna son Histoire naturelle du monde, et Théorie du ciel d'après les principes de Newton, ouvrage rempli de conceptions neuves et grandes, et où, entre autres choses singulières, se trouve une conjecture sur des corps célestes qui doivent exister au-delà de Saturne; conjecture que Herschel a vérifiée vingt-six ans après, en découvrant Uranus, à l'aide de ses nouveaux télescopes.

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