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connaître et juger dans les choses, n'est en effet que le jeu de notre propre organisation intellectuelle, de notre propre mode de connaître et de juger.

Un ou deux exemples rendront ceci plus

sensible.

Qu'on place le même objet devant un miroir plan, devant un miroir conique et devant un sphérique, les images reçues de cet objet unique par les trois miroirs seront totalement dissemblables. Pourquoi? parce que la constitution propre de chacun des trois miroirs est différente; parce que leur mode de recevoir l'image, leurs formes perceptives varient essentiellement. L'image n'est donc pas seulement produite par la chose représentée; il faut encore, pour sa confection, le concours des dispositions inhérentes au miroir.

Qu'on introduise des alimens, du pain, des fruits, etc. dans un récipient de terre, placé sur le feu; qu'on en introduise de pareils dans un estomac humain assurément, les résultats seront aussi très-dissemblables. D'où procédera cette diversité ? de la nature diverse des deux chaleurs, de la constitution,

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des forces virtuelles propres à chacun des deux récipiens. Les alimens dans l'estomac humain deviendront chyle et sang, en vertu des forces digestives, des sucs gastriques, et de tout ce qui constitue l'organe digestif en lui-même, indépendamment des alimens qu'il reçoit.

Nous en dirons autant de l'organe cognitif de l'homme. Cet organe a ses formes à lui, sa constitution intrinsèque, sa manière d'être propre, qui modifie toutes les impressions qu'il reçoit. Telles choses, que nous croyons exister au dehors de nous, ne sont que l'impression des formes inhérentes à notre organe cognitif. Au nombre de ces formes sont surtout : L'espace, le tems (avec leurs propriétés sur qui se fondent les sciences de l'étendue et de la succession, géométrie et arithmétique pures), les conceptions d'unité, de totalité, de substance, de cause et d'effet, d'action et réaction, et ainsi du reste.

De la sorte, et sur la direction ici indiquée, se trouve démontré comment ces lois et ces formes, qui nous appartiennent, doivent nous apparaître ainsi que des lois

et des formes certaines, universelles, nécessaires de toutes choses, EN TANT QUE NOUS VOYONS CES CHOSES; car la taché que je porte dans la contexture de mon œil doit m'aparaître nécessairement par-tout.

Mais en même tems se trouve démontré que ces lois et ces formes qui constituent à nos yeux le mécanisme de la nature visible, ne sont nullement les lois et les formes des choses en elles-mêmes; si bien qu'on ne peut conclure de ce que nous voyons et jugeons, à ce qui est en effet.

On ne peut donc plus arguer contre le libre-arbitre de l'homme, en établissant que l'homme en lui-même est soumis à la loi et au mécanisme nécessaire de cause et d'effet, etc...... On ne peut plus soutenir que tout est matière, puisque la matière, c'est-à-dire l'étendue, n'est, suivant la nouvelle philosophie, ainsi que les couleurs et les sons, qu'un produit tout-à-fait idéal de notre mode de recevoir des sensations. Plus donc de matérialisme, plus de mécanisme dans les choses en soi, plus d'argumens ni de tenue pour l'athéisme.

Ainsi, la connaissance que l'homme

prend des choses, n'est valable pour ces choses QU'EN TANT QU'ELLES APARAISSENT A L'HOMME. L'homme cognitif en est borné toute application de son savoir aux choses, telles qu'elles sont en elles-mêmes, lui est interdite.

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Mais l'homme est aussi une chose, un être en soi, indépendamment de la manière dont il se voit et se juge lui-même, par l'entremise de ses sens et de son entendement. Il agit, il veut spontanément; il a une conscience, laquelle blâme et approuve, qui dit oui au bien, non au mal, qui prononce tu dois ou tu ne dois pas ! Voilà la seule des RÉALITÉS que l'homme puisse saisir. Ce n'est pas son organe cognitif qui est ici en jeu; ceci n'est point un objet qu'il saisisse médiatement par ses yeux ou par ses oreilles. C'est son moi intime qui se manifeste immédiatement au moi; c'est le point central de son être; c'est par-là qu'il est, qu'il est vivant.

Cette conscience pure, inaltérable en elle-même, acquiert donc pour nous la réalité absolue d'une chose existante par elle-même; elle n'est donc plus subordonnée

aux calculs et aux raisonnemens de la faculté cognitive; elle est affranchie à jamais de toute apparence de mécanisme, de causalité, de soumission aux lois physiques: le cœur, comme on dit, est sauvé de toutes les erreurs de l'esprit.

C'est pour en venir à ce but sublime c'est pour mettre le fort de la conscience à l'abri des attaques du sophisme, pour rétablir l'intégrité et la liberté du sens moral pour élever le DEVOIR au dessus de toute atteinte des passions et des raisonnemens faux dont elles se servent; c'est pour assurer sur de nouvelles bases la croyance en une justice suprême et en l'immortalité de l'ame, que Kant a porté un jour nouveau dans la théorie de la cognition et de l'intelligence humaine.

Les détails de sa doctrine exigent, il est vrai, le plus haut degré d'abstraction; ils sont fatigans, difficiles à suivre; mais pour triompher des sophismes de la spéculation, il a fallu se montrer plus fort en spéculation que tous les sophistes; pour terrasser la métaphysique, il a fallu être le plus subtil et le plus vigoureux des métaphysiciens,

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