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d'être originaire et déterminée d'avance. Cette opinion, née en apparence du désespoir de trou ver jamais un moyen réel et actif de communication entre deux substances d'une nature tout opposée, ne se soutint pas long-tems, tout ingénieuse qu'elle est, parmi ceux mêmes qui embrassèrent le reste de la doctrine de Leibnitz.

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Descartes et Leibnitz avaient cela de commun, qu'ils discernaient, dans la somme totale de nos idées, la connaissance de certaines lois universelles de certaines vérités nécessaires, que l'expérience ne pouvait nous avoir apprises. Platon avait reconnu la même chose avant eux, et son système des idées, l'action de Dieu des cartésiens, l'harmonie préétablie de Leibnitz, avaient le même fond, étaient autant d'hypothèses-sœurs, nées de la même question à résoudre. Aussi les doctrines des trois philosophes ont-elles un trait de famille commun, quoiqu'avec diverses modifications. Ce trait commun est l'opinion des idées innées.

Tous trois pensaient, et avec raison, que la connaissance des vérités nécessaires et des lois universelles, telles que celles des mathématiques pures, etc..., ne nous venant pas de l'expérience, elles devaient se trouver dans l'ame; et

comme on ne s'apercevait jamais d'un instant précis où ces vérités y entrassent, il fallait donc quelles y fussent innées. Jusqu'ici académiciens, cartésiens et leibnitziens sont d'accord: mais ils different dans la manière dont ils expliquent comment ces idées sont innées dans notre esprit.

Platon, qui apparemment n'imaginait pas qu'il put se trouver dans l'entendement quelques représentations qui eussent une autre origine que l'expérience, afin d'expliquer ces idées qui re venaient pas de l'expérience, ni de la vie présente, conclut qu'elles avaient été acquises pendant une vie antérieure ; que nous les apportions ainsi en naissant dans un souvenir obscur > lequel se réveillait vivement à la vue des objets qui avaient fait naître ces idées. Philosopher, apprendre, inventer, ce n'était que se souvenir. Telle est sur ce point la doctrine exposée dans le Theete, le Menon, la République et ailleurs

On sent bien que le siècle de Descartes n'était plus celui où l'on croyait à une vie antérieure. L'action de Dieu des cartésiens commençait à opérer sur l'ame dès sa naissance, alors l'ame recevait ces idées, ces représentations de lois

1 Probablement que la doctrine ésotérique de Pythagore, et celle de l'école d'Elée, avaient beaucoup de rapport à celle-ci, et résultaient des mêmes considérations préliminaires.

universelles (logiques ou réelles) qu'elle apportait ensuite toutes formées dans l'expérience; c'était autant de connaissances précises et claires, que l'ame trouvait en elle indépendamment des sens; il est difficile à la vérité d'admettre des idées qui soient innées de la sorte, d'autant que ceux qui les soutenaient y en mêlaient par-ci par-là d'autres, qui sont évidemment le résultat de l'expérience, et qui ne peuvent être innées dans aucune supposition.

Idées innées, chez Leibnitz, signifie tout autre chose. Ce ne sont pas des connaisances et des images déterminées de certains objets; il ne s'agit ici que de dispositions originaires et préparatoires à voir les choses d'une certaine façon, quand elles se présenteront. Je vais transcrire les propres paroles du philosophe allemand; elles sont tirées de ses Nouveaux Essais sur l'entendement humain. Il dit, en parlant de Locke, dont il refute l'empirisme dans ce livre ..

I.

1 On sait Leibnitz a écrit cet excellent ouvrage en que français; il est trop peu lu, trop peu étudié. On y trouve le fruit de longues et profondes méditations. Quand on l'a bien compris, on entrevoit une vive lumière ; mais la doctrine plus populaire de Locke a pris un ascendant qui a fait négliger son adversaire; on y reviendra. Tout passe, sur-tout en France. Il faut bien qu'enfin l'heure de l'empirisme sonne.

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«Nos différends sont sur des objets de quel>> qu'importance. Il s'agit de savoir si l'ame en >> elle-même, est entièrement vide comme des » tablettes où l'on n'a encore rien écrit ( tabula » rasa), suivant Aristote et l'auteur de l'Essai » (Locke), et si tout ce qui y est tracé vient » uniquement des sens et de l'expérience, ou >> si l'ame contient originairement les principes » de plusieurs notions et doctrines, que les » objets externes réveillent seulement dans les >> occasions, comme je le crois.-Les stoïciens >> appelaient ces principes notions communes, » prolepses, c'est-à-dire, des assumtions fon>>damentales, où ce qu'on prend pour accordé, >> par avance. Les mathématiciens les appellent >> notions communes (novas évvoias). Les philoso>>phes modernes leur donnent d'autres beaux » noms, et Jules Scaliger particulièrement les >> nommait Semina æternitatis, item Zopyra, >> comme voulant dire des feux vivans, des traits >> lumineux, cachés au-dedans de nous, que la >> rencontre des sens et des objets externes fait >> paraître comme des étincelles, que le choc » fait sortir du fusil; et ce n'est pas sans raison » qu'on croit ( les cartésiens), que ces éclats » marquent quelque chose de divin et d'éternel, >> qui paraît sur-tout dans les vérités nécessaires, » D'où il naît une autre question, savoir, si

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>> toutes les vérités dépendent de l'expérience, » c'est-à-dire, de l'induction et des exemples; » ou s'il y en a qui ont encore un autre fon» dement? Car si quelques évènemens peuvent » être prévus avant toute épreuve qu'on en ait >> faite, il est manifeste que nous y contribuons >> quelque chose de notre part. Les sens quoique » nécessaires pour toutes nos connaissances ac>>tuelles ne sont point suffisans pour nous les >> donner toutes, puisque les sens ne donnent » jamais que des exemples, c'est-à-dire, des » vérités particulières et individuelles. Or tous >> les exemples qui confirment une vérité générale, >> en quelque nombre qu'ils soient, ne suffisent >> pas pour établir la nécessité universelle de » cette même vérité car il ne suit pas que ce » qui est arrivé, arrivera toujours de même. >> Par exemple les grecs et les romains, et tous >> les autres peuples ont toujours remarqué » qu'avant le décours de vingt-quatre heures le >> jour se change en nuit, et la nuit en jour. » Mais l'on se serait trompé si l'on avait cru » que la même règle s'observe par-tout, puis» qu'on a vu le contraire dans le séjour de la >> Nova-Zembla. Et celui-là se tromperait encore » qui croirait que c'est, au moins dans nos climats, » une vérité nécessaire et éternelle, puisqu'on >> doit juger que la terre et le soleil même n'exis

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