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ration de la nature les traces d'une intelligence suprême. Comme s'il était besoin de l'univers sensible pour prouver cet être suprême! Comme s'il n'était pas certain que la pensée qui existerait seule, s'éleverait par elle-même à la conception de Dieu! mais ce n'est point ici qu'il convient de s'étendre sur ce point. Je ne m'arrêterai même pas à détailler nominativement les diverses ramifications et les diverses sectes de l'empirisme. Qu'il nous suffise de reconnaître, que sous quelque forme qu'il paraisse, quelque dogme accessoire qu'il adopte, il est toujours empirisme, c'est-à-dire, une doctrine fondée sur l'expérience, et qui par cela seul est insuffisante pour démontrer les fondemens de l'expérience, insuffisante pour fournir les bases d'une métaphysique, ou d'une ontologie. On ne peut même accorder à l'empiriste le titre de métaphysicien, que parce qu'en effet il annonce la prétention d'expliquer l'expérience; mais comme il l'explique par l'expérience ellemême, il ne peut aller loin, et s'enferme dans un cercle vicieux. L'empirisme est par sa nature et essentiellement dogmatique : il admet des sensations pour des réalités, ou du moins pour la représentation d'objets réels, il n'est point sceptique : il n'examine point à fond notre entendement, il n'est point critique. S'il est admis pour base de la philosophie par un esprit con→

séquent et qui veuille se rendre raison de tout, il conduira cet esprit, quant au spéculatif, à des absurdités et à des questions insolubles pour lui; quant au pratique, il le conduira nécessairement aux résultats du fatalisme, de l'amour de soi, et à la ruine de toute moralité. C'est ce que nous verrons plus au long dans la suite.

Dégoûtés de l'expérience, de son incertitude, de son infructuosité, de ses tâtonnemens, les métaphysiciens qui cherchaient des principes certains pour expliquer l'opposition du moi et de la nature, ainsi que le miraculeux contact de ces deux choses, commencèrent, comme l'on dit, à faire aux sens leur procès, à dévoiler leurs tromperies, et leurs illusions continuelles; ils leur substituèrent la raison, où ils trouvaient des principes universels, d'une certitude irrésistible, et auxquels il fallait bien que l'expérience se conformât. Par exemple ceux-ci : On ne peut affirmer de la même chose les deux contraires. Tous les accidens que nous apercevons (tels que les formes, les couleurs, les sons, etc,), et qui peuvent changer, doivent être

I

Et

quant à la théorie des arts au principe de l'imitation de la nature, voire de la belle nature! sur lequel

on a débité tant de fadaises.

les attributs d'une chose qui les supporte, et qui ne change pas, c'est-à-dire, d'une substance. (Ainsi toutes les variétés qui distinguent les différens corps, ne sont que les modes, les accidens d'un seul être qui se prête à toutes ces formes, de la matière en général. Ainsi quels que soient les accidens de notre être moral, pensées, affections, joie, douleur, il reste pourtant le même fonds à tout cela; notre ame reste la même substance, etc.....)- Tout ce Tout ce qui arrive doit avoir une cause, et doit produire un effet.

Toutes les substances différentes sont soumises à l'influence les unes des autres ; tout est action et réaction; tout est lié dans la nature. - Ces lois, et beaucoup d'autres semblables, dont il n'était pas possible de révoquer l'évidence, qui n'étaient pas déduites de l'expérience, mais que l'expérience réalisait en s'y conformant toujours; ces lois intellectuelles, vérifiées, légitimées à chaque instant, fondèrent la confiance sans bornes que la plupart des métaphysiciens accordèrent à la raison; ils l'investirent de la législation suprême de nos connaissances, et proclamèrent que c'était à elle seule à nous faire connaître la vérité; que les principes qu'elle nous fournissait étaient la seule base de notre savoir. Ainsi s'éleva le rationalisme, diamétralement opposé à l'empirisme; manière de philosoper, sans doute

plus saine et plus profonde que celle mise en usage par ce dernier.

Cependant les oracles rendus par la déesse devinrent si divergens, que les métaphysiciens rationnels furent bientôt aussi opposés entr'eux que leur rationalisme pris en masse, était opposé à l'empirisme. Cette divergence se manifeste surtout dans la manière de traiter la plus difficile de toutes les questions métaphysiques, concernant le moi et le non moi, le rapport de l'homme à la nature.

Le point le plus épineux était, non pas de déterminer jusqu'à quel point nos réprésentations ressemblaient aux objets pris en eux-mêmes; tous les rationnalistes étaient assez unanimement d'avis que cette ressemblance n'avait pas lieu; mais d'où procédaient ces lois universelles et nécessaires que nous trouvions dans notre entendement, comme si elles n'eussent été que purement rationnelles, et qui étaient aussi d'un autre côté les lois réelles et actives de la nature? D'où, par exemple, cette inconcevable certitude d'un principe sorti de l'entendement de Keppler, et qui se trouve en effet être la loi du mou vement des astres ; de cet aplatissement de la terre à ses pôles, que Newton décide dans son

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cabinet, et que nos académiciens français véri fient sous le tropique et au cercle polaire? D'où cette certitude de toutes les mathématiques pures? D'où ma conviction que mes sens extérieurs ne peuvent rien percevoir qui ne soit dans l'espace, qui n'y occupe un lieu? Si l'expérience seule me l'eût appris, je dirais : « Jusqu'à ce moment » mes sens n'ont rien perçu que d'étendu, n'ont » rien connu que dans l'espace; peut-être que » dans la suite mes sens extérieurs percevront » des objets inétendus, et d'une essence toute

autre que ceux que j'ai vus jusqu'ici, car ce » qui est arrivé ne peut me répondre que la >> même chose arrivera toujours». Mais ce n'est pas ainsi que je parle, ce n'est pas ainsi que je sens. Une voix impérieuse de tout mon être, la même qui m'assure de mon existence, me dit et me rend certain « que je n'expérimen» terai, que je ne percevrai jamais rien par mes >> sens extérieurs, qui ne soit dans l'espace, qui » n'occupe un lieu ». Ceci est quelque chose au-dessus de l'expérience, c'est quelque chose qui la prévoit, qui la juge d'avance.-D'où vient donc que des lois que je prononce, sont en effet les lois réelles et de mon entendement et de la nature ? -Quand on songe à la profondeur immense de ce problème, on a peine à comprendre la hardiesse inouie des rationalistes

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