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naissons, quand nous n'avons fait que penser; qui nous porte à établir, en certain cas, une entière parité entre une chose pensée et une chose connue ?

Ces questions, sur lesquelles il faut que le métaphysicien réponde avant que de se livrer avec sécurité, au plaisir d'édifier un système, ces questions, dis-je, nous ramènent aux premières conditions de nos connaissances en général, et à un examen approfondi et scrupuleux de notre faculté de connaître. Le problème premier et par conséquent fondamental de la métaphysique, est donc de livrer une bonne et scientifique théorie de la cognition humaine d'expliquer comment l'homme connaît, de quelle nature sont ses diverses connaissances, de quels élémens elles se composent, en quel rapport elles sont avec les objets ; Ou, en d'autres termes: «Comment a lieu l'expérience dans l'homme? >>

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Je sens que cette expérience est d'une nature fort diverse. Tantôt elle ne produit en moi aucune certitude, aucune conclusion absolue et qui me force de croire que ce qui a eu lieu une fois, aura lieu toujours. Je vois un arbre à feuilles vertes, j'en vois mille, et je ne suis

pas

pas pour cela assuré que tous les arbres doivent avoir des feuilles vertes. J'en rencontre ensuite qui ont des feuilles jaunes, des feuilles rouges,

et cela ne contredit en rien ma conviction intime je n'ai pas plus de répugnance à m'habituer aux feuilles rouges, qu'aux feuilles vertes; mon esprit n'avait rien conclu absolument d'avance. Mais en d'autres cas, l'expérience est accompagnée en moi d'un tout autre sentiment, celui d'une conviction imperturbable que ce que j'ai éprouvé et pensé une fois, aura lieu de toute nécessité, toujours et dans tous les cas. Mon esprit se trouve forcé de conclure antérieurement, avant que d'avoir vu, avant que d'avoir expérimenté. Par exemple: une chose ne peut tout-à-la-fois étre et n'être pas. Tout ce qui arrive doit avoir une cause 1 ; — est plus grand que su partie. Deux lignes droites ne peuvent se couper qu'en un point, etc... D'où procède l'irrésistible conviction attachée, pour toute l'infinité des cas, à l'expérience une fois faite ici, tandis qu'ailleurs mille expériences répétées ne peuvent me donner nulle certitude pour la mille et unième ? D'où vient

Le tout

On connaît l'insatiable curiosité des enfans à remonter toujours à la cause de ce qui les frappe, leurs interminables pourquoi? jusqu'à ce qu'ils arrivent à un principe qui leur semble absolu et qui les satisfasse.

Tome I

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qu'une fois je suis contraint de reconnaître avant l'expérience, tandis que d'autres fois je ne puis rien prononcer avant l'expérience? D'où vient en moi cette certitude que ma sensibilité ne peut rien percevoir, qui ne soit dans l'espace ou dans le temps ? Toutes ces difficultés et beaucoup d'autres, méritent bien d'être éclaircies par le métaphysicien qui ne peut faire un pas, ni avancer quelque chose comme une certitude, avant que d'avoir sondé profondément les bases de toute certitude et de toute connaissance. Jusqu'ici cependant les nouveaux métaphysiciens français y ont peu songé.

.

D'Alembert, dans ses Melanges, me semble avoir assez bien posé ces questions préliminaires. Voici ce qu'il dit:

<< L'examen de l'opération de l'esprit qui con» siste à passer de nos sensations aux objets » extérieurs, est évidemment le premier pas » que doit faire la métaphysique. Comment >> notre ame s'élance-t-elle hors d'elle-même » pour s'assurer de l'existence de ce qui n'est » pas elle? Tous les hommes franchissent ce >> passage immense tous le franchissent rapi>> dement et de la même manière; il suffit donc » de nous étudier nous-mêmes, pour trouver

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» en nous tous les principes qui serviront à » résoudre cette grande question de l'existence >> des objets extérieurs. Elle en renferme trois » autres qu'il ne faut pas confondre. Comment >> concluons-nous de nos sensations l'existence » de ces objets ? Cette conclusion est-elle de>>monstrative? Enfin comment parvenons-nous, >> par ces mêmes sensations à nous former >> une idée des corps et de l'étendue ?»

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I

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1 Condillac a posé tout autrement la question, et l'exactitude, dans ce cas-ci, n'est pas de son côté. Après avoir dit (Essai sur l'origine des connaissances humaines)

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ce n'est

La science qui contribue le plus à rendre l'esprit lumi » neux, précis et étendu, et qui doit le préparer à l'étude » de toutes les autres, c'est la métaphysique»; il pour suit « Notre premier objet, celui que nous ne devons » jamais perdre de vue, c'est l'étude de l'esprit humain : » non pour en découvrir la nature, mais pour en connaître » les opérations, observer avec quel art elles se combinent, >> et comment nous devons les conduire ». Non pas de cela qu'il s'agit. Il faut que l'esprit opère, avant qu'il y ait là des opérations à observer et à combiner ; il faut que cet esprit, qui opère, ait une certaine constitu tion intérieure, en vertu de laquelle il opère de telle manière et non de telle autre. C'est donc comment l'esprit est constitué, et comment il opère, qu'il faut étudier avant tout. Condillac ajoute : « Ce n'est que par la voie » des observations que nous pouvons faire ces recherches » avec succès; et nous ne devons aspirer qu'à découvrir » une première expérience, que personne ne puisse ré

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Après avoir essayé de fixer ainsi l'idée de ce qu'on peut appeler en général le procédé métaphysique, jetons, un coup-d'oeil sur les principales opinions qui ont partagé les métaphysiciens, en cherchant l'origine de ces opinions dans l'entendement humain, qui est comme leur gangue, leur matrice commune.

» voquer en doute, et qui suffise pour expliquer toutes » les autres >>.....

C'est fort bien; mais qui expliquera cette première expérience et qui démontrera pourquoi elle ne peut être révoquée en doute? Ceci ne peut se faire qu'en creusant, plus'avant que l'expérience, dans la nature de l'être qui expé. rimente, dans la cognition humaine. C'est là le premier objet, la première étude de la métaphysique. Mais Condillac n'a jamais entendu par métaphysique que la psychologie empirique. Cependant quelquefois l'ascendant de la vérité a entraîné son excellente tête, ainsi de verrons plus bas.

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que nous

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