Page images
PDF
EPUB

on ne peut parvenir à la fonder, qu'après que la métaphysique a prononcé au moins sur la question de la liberté.

L'éthique pure doit offrir des règles pour la conduite de l'être doué de raison à l'égard de soi-même et des autres, et par rapport à la destination générale de l'humanité; d'où morale particulière, morale universelle, droit de nature.

Si donc les autres parties de la philosophie intéressent l'homme en tant qu'il est porté à savoir et à connaître, la morale seule l'inté resse puissamment, en tant qu'il est destiné à vouloir et à agir. C'est chez elle que se forme l'accord du méditatif et de l'efficace. Elle seule compose tout le domaine de la philosophie pra÷ tique; et comme toute l'activité de l'homme est comprise dans ces deux fonctions savoir et vou→ loir, que la spéculation d'un côté, et la pratique de l'autre, répondent à tous les besoins de sa nature intellectuelle, il résulte de ce point de vue une autre division de la philosophie, par rapport à ses deux fins principales, en philosophie spéculative, et philosophie pratique.

Quand la morale, après avoir posé ses premiers -principes, tels que le type abstrait du devoir, etc. descend à leur application dans des cas donnés, qu'elle admet l'homme tout entier, qu'elle a

Tome I.

4

égard aux obstacles apportés par les passions dans l'emploi de ses principes, qu'elle considère les diverses relations humaines sous tous les rapports accidentels des individus et des sociétés il se forme autant de sciences morales-empiriques qu'il y a d'objets divers à traiter; d'où l'étude de l'homme moral, l'Anthropologie et la Psychologie empiriques, la science de l'éducation ou Pédagogique, les théories de la vertu, de la prudence, de la sagesse usuelle de la vie, le droit positif, la jurisprudence, la politique, etc...

Outre cette division principale du domaine où la philosophie s'est définitivement restreinte , elle n'a pas abandonné ses droits, ainsi que je l'ai insinué précédemment, sur la législation suprême des autres sciences. La seule qui partage avec elle le privilège d'être purement rationnelle, les mathémathiques pures ont besoin elles-mêmes que la philosophie établisse la possibilité de leurs objets premiers, la durée, l'étendue, le point, l'infini, etc. avant que d'être pleinement fondées à opérer sur ces objets, avec lesquels elles s'anéantissent, si la spéculation s'avise de les leur contester. Quant aux sciences empiriques, chacune d'elles ne peut devenir science que par les principes universels, la liaison et l'unité systématique qu'elles reçoivent de la philosophie.

Des expériences, des faits ne peuvent fournir des principes, ni se lier mutuellement ; ils restent par eux-mêmes infructueux et isolés; mais l'entendement, qui prend connaissance de ces faits, les lie, les ordonne suivant des principes qu'il apporte dans l'expérience. La théorie des arts doit de même emprunter de la philosophie ses principes, aussi bien que la connaissance des rapports qui existent entre les produits d'un art et le sentiment, entre la nature réelle et la nature idéale.

[ocr errors]

C'est de la philosophie encore que chaque science reçoit sa constitution, sa forme scientifique, sa distribution, la connaissance de son but de son origine, et comme la pierre de touche de sa réalité. Chaque science a donc sa philosophie, qui en est l'ame et le fondement; il faut la connaître avant que de pouvoir saisir l'ensemble, la liaison et le but du tout. C'est en ce sens qu'il peut y avoir aussi une philosophie de la philosophie.

Remarquons encore que toute philosophie naît dans l'entendement de l'homme, ne sort point de l'entendement,, et ne consiste que dans la liaison nécessaire qu'il tâche d'apporter entre ses propres représentations des choses. Cette science, eu égard à l'instrument qu'elle emploie,

1

P

"

peut donc se réduire à une connaissance exacte de l'homme et de son entendement. Subjectivement vue (c'est-à-dire, par rapport au sujet où

[ocr errors]

elle est placée, à l'homme) la philosophie est une, puisque ce sujet est un. Le connais-toi des anciens en renferme toute l'idée. Une bonne anthropologie rationnelle serait une philosophie subjective complète, ce qu'il est de la plus grande importance d'observer pour la suite.

[ocr errors]

Il est encore une autre vue subjective de la philosophie, qui résulte de sa naissance dans le sujet qui philosophe. Ou l'on apprend la philosophie d'autrui, ou l'on se fait sa philosophie à soi-même. Dans le premier cas, elle est dite communément historique; dans le second, intellectuelle ; je dirais plus volontiers passive pour l'un, et active pour l'autre. La philosophie historique exige beaucoup de pénétration 'et et de jugement; on voit combien il est difficile de s'initier à fond dans une série d'idées et dans un système qui nous est étranger, quand on · observe les bévues où sont tombés la plupart de ceux qui ont voulu expliquer la doctrine 1 des

I

I

bj

Voyez l'Histoire des causes premières de Batteux (qui a voulu dire Phistoire des opinions sur les causes premières), et quelques autres essais d'histoires de la philosophie les nombreuses dissertations sur les systèmes des anciens philosophes dans les mémoires de l'Académie des sciences, etc.

philosophes. La philosophie active exige sans doute plus de méditation et de génie; mais enfin, comme il n'y a qu'une bonne philosophie, il faudra bien qu'il vienne un tems où chacun se contente d'une connaissance historique en ce genre; et en tout cas celui qui se sent la force intérieure de penser par lui-même, n'en opérera que plus sûrement, quand il saura comment tant de grands hommes ont pensé avant lui.

En résumant, la philosophie est donc (par rapport à son but chez l'homme) spéculative quand elle donne les lois du savoir, pratique quand elle donne celles du vouloir.

Elle peut s'occuper du fond réel, ou seulement de la forme de nos connaissances; elle est donc ou matérielle, ou formelle.

Elle peut, ou ne considérer, dans leur plus grande abstraction, que les conceptions universelles et premières que livre l'entendement; ou appliquer ces conceptions premières aux cas particuliers, aux conditions et aux objets de l'expérience; relativement aux sources où elle puise ses objets, elle est donc pure et rationnelle, ou bien elle est empirique.

Relativement à son procédé doctrinal, elle est ou dogmatique, ou sceptique i ou critique.

« PreviousContinue »