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Voir les choses comme elles sont en effet! mais c'est-là précisément la grande difficulté ; c'est là le noeud gordien de toutes les métaphysiques, et rien n'est plus ambitieux que cette simplicité et cette vérité-là. Condillac voulait peut-être dire : Voir les choses comme elles nous semblent être en effet? mais pour les voir ainsi, on n'a nul besoin de métaphysique, ni de première, ni de seconde qualité; et sur ce chemin l'on ne parvient sûrement pas à l'origine de nos connaissances.

« Nous ne découvrirons point une manière súre de conduire nos pensées, tant que nous ne saurons point comment elles sont formées ». Sans doute, découvrir le mode de formation de nos pensées, c'est déjà beaucoup, mais ce n'est pas encore leur origine, et bien sûrement Condillac n'a découvert ni l'un ni l'autre.

...

« Nous ne devons aspirer, poursuit-il, qu'à découvrir une première expérience. Elle doit montrer sensiblement quelle est la source de nos connaissances, quels en sont les matériaux, par quels principes ils sont mis en œuvre, quels instrumens on y emploie, etc.... » Voilà une expérience bien fertile : mais je doute fort que tout cela s'y trouve. Car enfin il s'agit de savoir comment naît l'expérience elle-même, comment l'homme parvient à faire une expérience; et

pour me servir des expressions de l'auteur, il s'agit de découvrir les matériaux, les principes, les instrumens qui s'emploient à la confection d'une expérience humaine? Or, comment décou vrirai-je ces choses, si je commence à une expérience toute façonnée et parfaite. C'est comme si quelqu'un voulait de viner et découvrir les procédés du métier de l'orfévre, d'après un ouvrage d'orfévrerie qu'il aurait entre les mains. Apprendraitil ainsi d'où a été tiré ce métal, dans quel état il se trouvait au sortir de la mine, quel degré de feu et quelles manipulations il lui a fallu subir, quelles règles l'ouvrier a suivi, quels outils il a employé? Nullement, il faut pour cela aller à la mine, à l'atelier, remonter plus haut que le fait et l'expérience.

« J'ai, ce me semble, trouvé la solution de ce problème, ajoute l'auteur, dans la liaison des idées, soit avec les signes, soit entr'elles.... On voit que mon dessein est de rappeler à un seul principe tout ce qui concerne l'entendement humain, et que ce principe sera une expérience constante, dont toutes les conséquences seront confirmées par de nouvelles expériences ».

Voilà qu'il ne s'agit plus des sources ni des matériaux de nos connaissances, c'est une expérience, c'est-à-dire, une connaissance qui fournit à tout cela; c'est une expérience qui est lo

principe premier et unique de l'expérience en général; c'est la liaison des idées qui expliquera l'origine des idées; comme si avant de lier des choses entr'elles, il ne fallait pas d'abord que ces choses fussent là, et par conséquent qu'elles aient une origine antérieure ! D'où me vient telle idée ? De ce que je la lie à une autre. Et d'où vient cette autre? et d'où vient que je les lie? Dans ce procédé philosophique de fonder toute expérience possible sur une première expérience, et celle-ci sur rien, je reconnais encore une fois le procédé cosmologique de mon brave Indou qui fonde la terre sur un éléphant, l'éléphant sur une tortue, et celle-ci sur le vide. Voilà cependant ce qu'on appelle en France depuis trente ou quarante ans de la métaphysique lumineuse,

Laissons là cette lumière, et examinons en peu de mots les différens points de vue de l'origine de nos connaissances.

Premier point de vue. La première de toutes les conditions pour que des connaissances aient lieu, c'est qu'un être capable de connaissance, un être cognitif soit posé. Ce cognitif absolu, étant encore seul, ne se trouve pas de bornes; il ne connaîtra que quand il sera déterminé, fixé, quand il percevra un objet, c'est-à-dire, une limite. Son état primitif est donc illimité, indé

terminé. Sa première connaissance est celle de son propre être ; cette aperception qu'a le moi de lui-même, est la seconde condition indis→ pensable à l'acquisition d'autres connaissances: car comment le cognitif dirait-il je connais, s'il ne disait je, ou je suis? il faut que la conscience de lui-même accompagne toutes ses connaissan. ces, sans quoi il ne saurait pas que c'est lui qui connaît. Le cognitif se perçoit donc; il n'y a là encore ni variété d'objet, ni multiple, ni divisibilité; cet acte est simple, l'état de l'être cognitif est donc l'infini: la conscience qu'il a de lui-même est le point mathématique. Tout ce qui pourra l'affecter, ne l'affectera que dans ce sentiment de lui-même et ne sera par conséquent non plus qu'un point mathématique '. Qui étend ce point pour en faire une ligne ? pour en faire une surface, un corps? Qui suscite dans ce cognitif uniforme, un multiforme et une diversité? qui y trace le triangle, le cercle, le cube, et y place toute la géométrie ? Qui limite le moi primitif, l'entoure d'un non-moi actif, puis

1 Comme cette doctrine, qui n'aura pas lieu de reparaître dans le reste de cet ouvrage, puisqu'elle appartient à une métaphysique transcendente, pourrait ici paraître obscure, je prie le lecteur de recourir à la fin du volume, au second Appendice, lequel n'y est placé que pour donner quelqu'éclaircissement sur cette matière.

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sant? Qui a posé le moi? qui pose le non-moi? enfin quel est le fond réel, le principe efficient de nos connaiss ances? Voilà un des sens dans lequel en peut entendre la question de leur origine. Origine signifie dans ce cas, fond réel, base primitive et fondamentale. Cette question est du ressort d'une métaphysique ou onthologie transcendente.

Second point de vue. L'être cognitif étant posé, la possibilité de ses connaissances étant posée aussi, il s'agit de rechercher le mode suivant lequel cette possibilité est mise en exécution ; c'est-à-dire, qu'il s'agit de rechercher les lois fondées dans la nature de l'être cognitif, suivant lesquelles s'exercera et se développera son action dans l'acquisition des connaissances. De cette recherche, il résultera que nous saurons discerner, si dans les connaissances acquises par l'être cognitif il y a des choses qui lui sont données par une impression étrangère, s'il y en a d'autres qui viennent de sa propre nature, de sa constitution, et des lois d'action qui reposaient en lui pour s'y développer des que l'action aurait lieu. Nous apprendrons à discerner, en un mot, ce qui vient de l'objet connu, ou du sujet connaissant. Sous ce point de vue nous avons à considérer la source de nos connaissances en tant qu'elle peut être objective ou

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