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humains, il n'aura après sa mort, ni de châti mens à redouter, ni de récompenses à attendre. Il est donc urgent d'examiner ce problème, pour la solution duquel la simple spéculation, l'aspect de la nature, le sentiment de ma propre faiblesse, le besoin de me soumettre à un être suprême, n'avaient inspiré déjà un si puissant intérêt; intérêt devenu maintenant double, et qui forme comme la base et l'essence de la religiosité.

Voilà donc les quatre points principaux sur lesquels la raison pratique interroge la raison spéculative, et sur lesquels celle-ci ne peut s'empêcher de répondre, bien ou mal, affirmativement ou négativement: I. La liberté de nos actions. II. L'immortalité de l'ame. III. Le premier principe de la morale. IV. L'existence de Dieu. Ce sont quatre anneaux puissans qui enchaînent le faire au savoir, la vie active à la contemplation. L'homme est contraint par sa nature d'aller dans la recherche de ces points aussi loin qu'il peut aller. Avant que de s'être fait une opinion fixe et plausible dans cette recherche, il n'est pour celui qui prétend à mettre quelqu'accord entre sa raison et sa conduite, il n'est pour l'homme en général, ni repos, ni satisfaction, ni morale, ni société possibles; tant qu'il n'y est point parvenu, il

tâtonne dans des ténèbres qui lui sont insupportables, privé de tout flambeau et de tout fil· conducteur. Il faut que l'esprit connaisse, avant que l'esprit veuille, que la pensée précède et guide l'action. Il faut à l'homme, pour le diriger, des principes, tels qu'ils soient. L'influence maligne trop universellement reconnue des uns les effets salutaires des autres, annoncent assez l'importance pratique de la spéculation sur ces points fondamentaux de toute morale publique et privée. Cette partie de la philosophie qui fait son objet principal des recherches sur l'existence de Dieu, la liberté et l'immortalité de l'ame, s'appelle en particulier Métaphysique. Bien des gens ont voulu borner à elle tout le ressort de la philosophie, en y ajoutant la logique.

Pour trouver une solution à tant de grands problèmes, pour satisfaire tout-à-la-fois au désir spéculatif de savoir, et à la nécessité pratique de s'appuyer sur le savoir, l'homme n'a qu'à se replier paisiblement sur lui-même, et dans le silence des passions, écouter la voix de sa raison et celle de sa conscience. La philosophie indispensable à chacun réside dans chaque esprit. Le seul état convenable pour l'y trouver, est celui

du recueillement et de la méditation. Il faut que l'homme habite avec lui-même ; il lui faut le calme et l'intériorité, au moyen desquels seuls il peut se connaître, découvrir les lois de la nature visible, et les règles de ses devoirs. Mais la paresse, les distractions extérieures rendent cet état pénible pour l'homme sensuel, chez qui le désir de parvenir au but est violemment combattu par la répugnance à se soumettre au moyen. Et comment inviter à rentrer dans le sanctuaire de leur ame, pour y trouver la paix, ceux qui en ont ouvert les accès les plus intimes aux idoles de la corruption, aux passions effrénées et tumultueuses, à l'impiété, à l'immoralité? ils en seront repoussés à l'instant par ce cortége impur. L'homme mondain a étouffé en eux l'homme naturel; le non-usage y a émoussé tout intérêt de théorie et de pratique, ainsi qu'une longue inaction finit par engourdir et tuer un de nos organes. Il ne s'agit plus de savoir ce qui convient à l'homme; mais ce qui convient à l'ambition, au libertinage, à l'orgueil, à la soif des richesses ou de la vengeance. Il ne s'agit plus de rechercher comment il faut agir pour agir bien, mais pour réussir. L'activité intellectuelle de l'homme est bornée; en la transportant toute dans un domaine extérieur, dans le champ des besoins et des désirs factices, on

lui a fait quitter son domaine primitif, qu'elle ne connaît plus, et où la glace et la mort l'ont remplacé, L'indifférence règne là où régnait originairement l'intérêt: « Ils sont trop paresseux, » dit Labruyere, pour décider en leur esprit » que Dieu n'est pas ; leur indolence va jusqu'à les rendre froids et indifférens sur cet article » si capital, comme sur la nature de leur ame, » et sur les conséquences d'une vraie religion : » ils ne nient ces choses, ni ne les accordent, ils n'y pensent point ».

Est-il des humains qui aient en effet abjuré à ce point l'humanité ? espérons qu'au moins ce n'est pas sans retour. Si empêtrés qu'ils soient dans le limon de la vie ordinaire et des réalités matérielles, ils doivent quelquefois se senti attirés vers une destination plus haute, et une existence plus spirituelle. L'être même le plus frivole, le plus distrait par les plaisirs, ne s'estil jamais retrouvé un instant dans la solitude de son entendement ? n'a-t-il jamais senti un instinct curieux se remuer en lui, et demander: Que m'est-il donné d'apprendre sur moi, » sur mon origine, sur mon avenir, sur tout ce qui m'entoure ? Quelle loi doit régler mes » actions envers mes semblables »? Ces questions d'un intérêt éternel et indestructible pour la raison humaine, sont exprimées ainsi par le

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philosophe célèbre dont la doctrine sera exposée

dans cet ouvrage :

« Que puis-je savoir » ?
« Que dois-je faire » ?

« Qu'ose-je espérer »?

Il remarque ensuite qu'elles sont renfermées toutes trois dans cette quatrième : « Qu'est-ce que l'homme»? En effet l'esprit philosophique n'a nullement à faire aux choses en elles-mêmes; il ne peut s'occuper que de ses propres représentations des choses, et par conséquent de ce qui se passe dans l'homme,

J'en ai dit assez pour faire apercevoir l'intérêt spéculatif et pratique, le stimulant naturel et inné qui nous porte à savoir, à philosopher, à mettre de la liaison, du rapport et de l'en-, semble dans nos connaissances, à nous informer sans relâche du comment et du pourquoi de tout, jusqu'à ce que nous arrivions à un comment et à un pourquoi absolu qui nous satisfasse et nous interdise de remonter plus loin, « C'est à l'esprit humain, et non à Aristote, >> qu'il faut attribuer la philosophie. » — Humanæ menti, non Aristoteli, philosophia est adscribenda, dit Taurellus, écrivain scholastique d'un grand génie. Ainsi, tandis que l'existence de la philosophie, comme science, de

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