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» fère de la sensation. » Voilà le métaphysicien (qui naguères s'était dégagé de la sensation, était parvenu à un scepticisme raisonnable et même à un point de vue transcendental) retombé dans l'empirisme et le dogmatisme le plus grossier. La sensation produit les idées sensibles qui nous représentent les objets. Les idées intellectuelles ne sont que la reminiscence et la mémoire des objets qui ont disparu après avoir fait leur impression ! Nous voilà bien déchus. Je demanderais volontiers au philosophe qui admet une telle genèse de nos idées et de nos connaissances, où il a vu le point géométrique ? où l'hyperbole et son asymptote prolongées à l'infini ? où la figure de 1000 côtés

1 On le voit, Condillac était né penseur ; il a des vues qui le placent au rang des plus forts métaphysiciens. Mais ce ne sont que des aperçus, des éclairs ; il a tourné autour de grandes vérités, il en a soupçonné, entrevu, mais il n'a jamais osé les aborder sérieusement. Il se sentait effrayé dès qu'il posait un pied sur le sol transcendental, et s'en retirait bien vite pour rentrer dans son lockianisme réformé, qui vaut encore beaucoup moins que le lockianisme orthodoxe. Il n'a jamais pu arrêter ses comptes, et se mettre au net sur ce qu'il devait croire ou ne pas croire; il est tout rempli de ces disparates. Mais néanmoins il faut bien le distinguer de la tourbe de ses imitateurs, et de tous ceux qui ont amplifié sur l'empirisme après lui et d'après lui.

et celle de 999 ? si le souvenir de ces objets est encore bien vif en lui? et depuis quand ils ont disparu après avoir fait leur impression? Je lui demanderai, où est cet archétype absolu du triangle dont les trois angles égalent 180 degrés, propriété qui n'est celle de chaque triangle individuel que parce qu'elle est démontrée, par l'entendement, de l'archetype idċal? — Je lui demanderai encore ( et je serai inépuisable dans mes questions) où il a vu un objet qui s'appelle l'espace, le vide, le plein, le tems, l'absolu, l'inconditionnel, l'infini, le même et le nonméme, le plus et le moins, la quantité, la qualite? un objet qui soit une cause, un effet, une dépendance, une réciprocite, un devoir, une vertu, etc.... etc. . . . . ? sans doute, puisque toutes ces idées intellectuelles ne diffèrent des idées sensibles que comme le souvenir diffère de la sensation, sans doute que notre philo sophe pourra au moins retrouver le souvenir distinct de ces objets qui ont disparu après avoir fait leur impression? J'aime à m'instruire et je suis très-impatient d'apprendre par lequel de nos organes ces objets se sont introduits? l'identité, la durée, la cause, la vertu, etc.. ont-elles été palpées, ou vues, ou goûtées, ou entendues? Il y a de quoi faire là un beau traité bien solide et bien instructif, dans le goût

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de ceux qui sont à la mode en France depuis trente ou quarante années.

Sérieusement parlant, vouloir connaître par la sensation et l'impression ce qui ne peut être l'objet d'aucune sensation, la cause efficace d'aucune impression, cela est contradictoire et absurde. Si l'on dit que ce sont des idées que nous formons à l'occasion de la sensation et de l'expérience; bon! nous serons d'accord; il ne s'agira plus que d'étudier sérieusement comment nous les formons, d'où elles viennent, quelle est leur valeur quant à nous, leur compétence quant aux choses? en un mot il ne s'agira plus que de soumettre notre faculté de connaître au plus sévère examen, c'est-à-dire, de passer à une théorie de notre cognition en elle-même ou si l'on veut à une critique de la raison pure. Tant que nous attribuerons à nos sensations l'unique origine de nos connaissances, il sera très-embarrassant, et même contradictoire, d'admettre en nous des idées intellectuelles. L'embarras et la contradiction s'évanouissent, en reconnaissant encore une autre source de nos connaissances dans la propre nature de notre entendement.

Nous avons, parmi nos connaissances, certaines

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vérités universelles, nécessaires, que nous në pouvons renier, qui ont une force égale à celle du sentiment de notre existence. Telles sont les propositions des mathématiques pures, le principe de la contradiction, celui de la raison suf– fisante, celui que tout ce qui arrive doit étré produit par une cause, etc.... etc.... A l'aide de ces axiomes universels et nécessaires, je dé cide avec une certitude absolue, et je prononce d'avance sur des choses que je n'ai jamais vues ni expérimentées, qui sont même impossibles à être vues ou expérimentées. Or l'expérience le fait, la sensation peuvent m'apprendre seule ment que la chose (qui est maintenant devant moi) est de telle ou telle façon; mais c'est tout: le fait ne renferme que le fait, et rien au-delà ; l'expérience présente m'enseigne ce que je vois présentement; elle ne m'enseigne, ni ne peut m'enseigner ce que je verrai dans tout autre fait et toute autre expérience. Je prévois cependant de la sorte, à l'aide des axiomes susdits; ils ne proviennent donc pas de l'expérience, ils sont donc au-dessus d'elle. Ce qui peut varier

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Quoi, ce ne serait que parce que j'en ai fait l'expérience, que je sais que 2 et 2 font 4? Et qui est-ce quí me répond que l'expérience aura toujours le même ré sultat? qu'un jour 2 et 2 ne feront pas 5? Un pommier a porté l'an dernier 60 pommes, et 70 cette année. Expli

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peut dépendre de l'impression extérieure et de la nature des choses qui est variable; ce qui est invariable ne peut provenir que de notre propre nature, qui seule ne varie point dans nos observations diverses.

Nous formons des jugemens qui ont entre eux une différence intrinsèque et totale. Les uns sont vrais, mais non nécessaires. I. L'odeur de la rose est agréable: le bois est combustible, etc.... Nous pouvons trouver des roses qui aient une odeur désagréable, des sortes de bois qui résistent au feu, etc.... Il n'y a rien là qui répugne à notre raison et à notre conviction intime. Les autres sont vrais et absolus, ne souffrent ni exceptions, ni restrictions. II. Les objets que nous percevons par nos sens extérieurs doivent être étendus, doivent oc

quez-moi la différence de certitude qui naît de ces deux choses, en vous en tenant au fait et à l'expérience ! D'où provient même le nombre deux dans cette expérience ? d'où provient un nombre quelconque ? Assurément ce n'est pas de l'expérience. Il n'y a pas de deux, il n'y a pas de nombre dans la nature. Il y a là quelque chose, et ici quelque chose; le fait ne m'en donne pas davantage. Qui réunit ce quelque chose avec ce quelque chose en un ensemble systématique pour en faire deux, pour en faire un nombre? Qui ? Mon entendement, qui ordonne tout, suivant ses propres vues, ses propres lois, qui crée l'unité, les nombres et l'arithmétique.

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