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l'homme est le plus avide d'apporter une liaison, une harmonie conciliatrice, c'est dans le rapport qu'il y a entre ses opinions et ses actions, entre son savoir et son vouloir. Ici l'intérêt pratique le plus pressant vient renforcer en lui l'intérêt spéculatif. Il doit agir, influer sur lui-même et sur ses semblables; ses actions forment un ensemble de choses qu'il produit spontanément c'est en quelque sorte une création dont il est le maître et le régulateur. Quelles seront donc les règles suivant lesquelles il devra agir ? quel sera son but, son fil conducteur ? quand sera-t-il assuré d'avoir fait ce qu'il devait faire, et jamais que ce qu'il devait faire ? Ici l'homme prêt à agir s'adresse à la spéculation, la somme de tenir ce qu'elle semble lui promettre, ce que l'attrait qu'elle lui inspire le contraint à rechercher.

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I. Suis-je libre dans mes actions? ma volonté est-elle un principe actif par lui-même, spontané, capable de délibération, de choix et de détermination? suis-je, en qualité d'être moral, affranchi de ces lois nécessaires auxquelles je vois tout soumis dans la nature ?.... ou bien suis-je moi-même un atome englobé dans cette nature, soumis, comme tout le reste des choses, à son impulsion irrésistible, à la nécessité de ses lois? et ce que je prends en moi pour déli

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bération, n'est-il peut-être que la vacillation momentanée d'un corps en équilibre, bientôt entraîné nécessairement d'un ou d'autre côté ? -Lumière de la spéculation, viens éclairer cette alternative, et me montrer la vérité au milieu de ce terrible dilemme ! Si, comme dans la seconde supposition, je ne suis pas libre; si la nécessité des lois de la nature pèse sur le moi moral, ainsi qu'elle pèse sur le reste des choses; si les mouvemens de ma volonté sont fixés d'avance par un mécanisme auquel je ne puis échapper dès-lors il n'est ni but, ni préceptes, ni responsabilité pour moi; bon et méchant sont des mots vides de sens ; je ne suis rien; c'est le sort, c'est le mécanisme de la nature qui est bon ou méchant à ma place. Une force étrangère à moi, que je ne puis connaître ni guider, agit quand je crois agir ; je ne suis que son aveugle instrument, et la voix de ma conscience qui se croit spontanée, n'est qu'une grossière illusion. Il n'est plus de pacte, plus de foi, plus de société possible. Comment promettre ce qu'il ne sera pas en mon pouvoir de tenir ? comment même pourrais-je promettre ? Je serai un ingrat, un parjure, un ravisseur, un meurtrier, et je n'aurai fait que ce que j'étais obligé de faire ; un fatalisme absolu me pousse, m'entraîne, et le remords n'est plus qu'une absurdité.... Qn

établit, dit-on, des peines pour les actions nuisibles à la société, comme des poids dans la balance pour faire incliner la machine vers le bien ! Mais si je suis une machine un peu plus habile qu'une autre, je me cache aux regards de la justice humaine, ou je m'y dérobe par la richesse, par le crédit, et je commets let crime tranquillement. A quel effrayant et inévitable résultat me voilà-t-il arrivé ! Je ne suis plus l'homme que je m'étais flatté d'être je frémis de ma condition, je voudrais n'être pas né ; je méprise en moi toute mon espèce; la confiance et l'amitié sont éteintes en mon cœur ; je crains mes semblables comme les élémens en furie, comme les tigres des forêts. O spéculation, écarte de moi cette pensée désolante ! rends-moi l'innocence de mon esprit que tu m'as fait perdre; tire-moi, si tu le peux, de cet abyme.

Suis-je libre, au contraire, dans le principe de mes actions ? puis-je délibérer et choisir arbitrairement ? puis-je donner à ma volonté telle impulsion qu'il me plaît ? Dès-lors un ordre moral s'élève, et se place au-dessus des lois de la nécessité ; l'homme est responsable du mal qu'il commet; la liaison se montre entre le crime, la punition et le remords ; le bien sort de la nuit d'indifférence où l'avait plongé le fatalisme,

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fatalisme, se montre comme un principe actif, et appelle à lui la récompense; la moralité, la société ont acquis une base solide; et s'il répugne d'abord d'excepter une des substances qui composent l'univers, la volonté de l'homme, des lois qui nous paraissent universelles, cette inconséquence apparente est rachetée à l'instant par l'accord et la lumière qui d'un autre côté s'établissent dans le monde moral.

II. Mais si je jouis de mon libre arbitre, si je suis le régulateur de mes actions, quel fil devrai-je suivre en les ordonnant ? sur quoi se formera la législation suprême de ma volonté ? en un mot, quel est mon but final, ma destination, comme homme, comme être doué d'une raison? Cette vie renferme-t-elle mon but final, cette vie où je vois si souvent le vice heureux et triomphant, la vertu malheureuse et foulée aux pieds? Le phénomène de la mort corporelle amène-t-il aussi l'anéantissement de l'ame, et l'être invisible qui pense en moi, s'éteint-il avec l'être visible qui se meût ? Si tel est notre sort, ce sera dans le champ de cette vie courte et périssable qu'il faudra chercher le but de notre activité, les motifs de toutes nos actions.

Au contraire, l'être pensant doit-il prolonger son existence après la destruction du corps', ce sera, sans doute, dans cette vie future qu'il Tome I.

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faudra placer le but final de nos actions durant la vie présente.

III. Cependant, dans l'une et l'autre hypothèse, il me faudra encore une règle sûre pour discerner ce que je dois faire de ce que je ne dois pas faire; il me faudra un principe formel pour l'emploi de ma liberté. Je ne puis plus me passer d'un type du bien et du mal. Qu'est-ce qui me servira de boussole et de guide? Sera-ce mon penchant et mon intérêt, qui me pressent de les satisfaire ? sera-ce l'intérêt du corps politique dont je fais partie? sera-ce cet attrait confus qui me porte vers tout ce qui peut ennoblir mon être et perfectionner ma raison ? sera-ce ma conscience morale, ce spectateur interne qui m'applaudit ou qui me condamne ? ou bien enfin, pour moi, être faible, fini, qui ne me suis pas créé, qui n'ai pas créé le monde qui m'entoure, sera-ce la considération d'un DIEU ?

IV. Un DIEU! en est-il un ? Si en effet j'ai un Créateur, il doit exister des rapports entre lui et moi. Sa considération doit changer tout le plan de ma vie ; je dois lui être soumis de quelque manière ; il doit entrer du divin dans mes devoirs. S'il n'en est point, si l'homme n'a au-dessus de lui aucun être actif et intelligent dans l'univers, ses devoirs seront purement

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