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naissans, tels que la musique, la poësie, la danse, enfin les conjectures, plus ou moins ingénieuses, qu'y mêlait chacun sur l'origine et la fin des choses : tout cela, confondu pêlemêle, forma long-tems un seul corps de doctrine, la science, la sagesse d'alors. Cette science unique était certes bien pauvre; mais elle renfermait dans sa confusion les germes de presque toutes les sciences à venir. Elle portait déjà l'empreinte des formes et des modes originels de l'entendement humain, de l'activité duquel elle était le produit, et qui n'avait plus qu'à étendre, distribuer et perfectionner. Ainsi dans un jeu d'optique, le miroir concave dépositaire d'une image qu'il doit peindre sur un fond obscur trop éloigné de son foyer, n'y projette d'abord qu'un point lumineux, confus et homogène, parce qu'il est trouble : à mesure que le foyer s'approche, l'image s'étend, se débrouille; les grandes divisions du fantôme coloré se font déjà sentir; enfin les contours se tracent nettement, toutes les couleurs se séparent, on voit des parties, on reconnaît des formes, on saisit toutes les nuances dans ce qui avait commencé par n'être qu'un point à peine éclairé. Telle est, à-peu-près, la marche de la lumière intellectuelle dans la distribution et la classification des sciences et de la philosophie.

En effet, quand d'un côté les faits de l'histoire et ceux de la nature eurent enrichi le domaine de la mémoire, que de l'autre l'entendement actif et la raison de l'homme eurent étendu celui de la spéculation, la lumière devint tout à la fois plus vive et plus précise; on distingua des limites et des démarcations dans ce champ de la science qui d'abord n'avoit semblé qu'un. Ce qui n'avait été jusqu'alors qu'un aggrégat irrégulier, commença à paraître susceptible d'une certaine distribution. La première séparation générale qui eut lieu au sortir de ce chaos, fut, comme on peut bien le penser, celle des faits et des raisonnemens; celle des connaissances qui appartenaient à la simple perception ou à la mémoire, de celles qui appartenaient à l'’intelligence et à la spéculation ; des connaissances enfin pour l'acquisition desquelles il ne fallait que des sens, de celles qui demandaient l'action de l'entendement.-D'ailleurs le vulgaire commençant aussi à s'instruire, s'attacha tout naturellement au genre de connaissances le plus facile, à celles qui coûtaient le moins et flattaient le plus des hommes sensuels qui n'avaient guère le tems de se livrer à la méditation. L'irruption du vulgaire se fit donc dans cette partie de la science le plus à sa portée ; il s'empara de la tradition, de l'histoire, de ce qu'on savait

de quelques arts, soit utiles, soit funestes, tels que l'architecture, la guerre, la poësie, la musique et comme si cette profanation en eût ôté tout le charme, les sophes, les savans de profession déclarèrent toutes ces terres conquises exclues du domaine de la science (ne s'en réservant que la suzeraineté et la législation suprême), resserrèrent les limites de celleci, et pour rester toujours séparés du commun des humains, se retirèrent avec le dépôt des connaissances méditatives, dans le district le plus élevé de l'entendement et de la raison, où ils établirent le siège principal de la science, ou philosophie,

Ainsi s'établit l'opposition et l'antithèse, qui n'a cessé d'avoir lieu depuis, entre ce qui est EMPIRIQUE, (c'est-à-dire, expérimental, individuel, et propre seulement à être reconnu par le fait), et ce qui est PUR, (c'est-à-dire, théorétique, général, indépendant de l'expérience, et qui repose dans des principes reconnus par la raison seule), Nous aurons occasion de revenir fréquemment dans la suite sur cette distinction fondamentale que nous nous efforcerons d'établir solidement. Pour démontrer qu'elle a eu lieu dès les premiers tems, il nous suffira

de ce passage de la métaphysique d'Aristote : «A mon avis la théorie mérite le nom de >> connaissance et de science, bien plutôt que >> l'expérience, et le théoricien est par consé »quent plus sage que l'empiriste. Le chemin » vers la sagesse est le chemin de la science », Par où l'on reconnaît encore combien les idées de science, de sagesse, de théorie et de philosophie rentrent l'une dans l'autre, et qu'en effet la philosophie a sa source dans l'ardeur originaire d'apprendre et de savoir, stimulant inné chez tous les hommes, et qui les force à sortir de leur apathie pour s'attacher à des opinions, lesquelles ne semblent pas, au premier coup→ d'oeil, être d'un intérêt pressant et réel pour

eux.

Conformément au principe de la division dont nous avons parlé plus haut, et qui était la ségré gation de l'intellectuel et du sensible, les connaissances qui parurent appartenir le plus immédiatement à l'intelligence, et avoir le moins de connexion avec les sens, furent comptées en première ligne dans l'essence de la philosophie et en formèrent comme le noyau. De ce nombre furent sur-tout, 1.° le système des règles, formelles et nécessaires qui dirigent la fonction de notre pensée dans le raisonnement, la logique, nommée d'abord dialectique; 2,° les considérations

sur la nature de l'homme, sur celle de tous les êtres, sur leur origine, leur destination, leurs rapports; sur Dieu, soit pour établir, soit pour combattre son existence; tous objets aujourd'hui de sciences diverses à qui nous avons donné des noms différens, et dont nous comprenons quelques-unes sous ceux de mathématiques et de métaphysique, mais qui furent jadis collectivement l'objet d'une science unique appelée science de la nature, ou physique ; 5.° enfin le code des principes fondamentaux qui doivent diriger nos actions vers le beau et l'honnête, ceux qui doivent régir les hommes en société, la morale, le droit naturel et la politique, réunis alors sous la dénomination commune d'étique. A ces connaissances purement rationelles, les sages, ou savans par excellence, prétendirent joindre l'autorité de prononcer sur la théorie du langage sur celle des arts, sur tout ce qui pouvait devenir l'objet d'une législation rationelle. La philosophie, vers les confins les plus éloignés de son centre, s'étendait ou se resserrait à volonté, embrassait des connaissances qu'elle rejetait ensuite comme hétérogènes; on ne savait où placer une limite qui variait arbitrairement ; l'idée générale de la philosophie restait vague et indéterminée; plusieurs des sciences rationelles, des hautes théories qui constituent son essence, sont

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