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devront influer sur toutes ses connaissances, imprimer leur sceau à tous les objets, sans qu'ils puissent lui apparaître d'une autre manière, Nous rechercherons donc avec soin, dans tous les objets connus par l'homme, celles de leurs qualités qui paraissent invariables, nécessaires, universelles, et nous les séparerons de tout le reste, afin d'examiner si ces choses ne seraient pas autant d'élémens subjectifs de nos connaissances, que nous attribuons aux objets, et qui ne seraient en effet que le résultat de notre propre nature et de notre manière de voir ces objets. II. La seconde considération, c'est que la vue et la connaissance d'un objet, l'expérience d'un fait, ne contiennent rien absolument que ce qui concerne cet objet, ou ce fait. Un second fait ne nous apprendra de même que ce qu'il est, jamais ce que doit être un troisième, encore moins ce qui doit arriver dans l'infinité des cas. Si donc nous rencontrons dans quelques-unes de nos connaissances ce caractère singulier, que l'expérience une fois faite, que l'objet une fois vu, nous donne cette certitude invincible: que tous les objets doivent se ranger sous la même joi universelle, nous serons autorisés à penser qu'il y a là quelque chose de plus que l'expérience extérieure, et que la loi universelle pourrait bien être une condition, une forme de notre

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propre manière de voir, un élément subjectif qui se joint aux impressions étrangères, en s'immisçant à nos connaissances comme partie cons→ tituante. — Ainsi est la teinte rouge dans la chambre obscure; ainsi est l'étendue pour l'homme; ainsi la certitude de certaines propositions, comine celle des mathématiques pures, etc.

Ce n'est point encore ici le lieu d'exposer tout ce qui découle du point de vue transcendental, IĮ ne s'agit, pour le présent, que de faire comprendre quel il est, et d'en ctablir la possibilité, Remarquons cependant, que comme dans ces recherches, nous avons pour objet les premiers principes de nos sensations et de nos pensées, il s'ensuit que notre point de vue transcendental doit se diriger vers ces dispositions originaires de notre nature, qui précèdent en nous toute sensation, toute pensée, toute expérience. Ces dispositions antérieures à toute expérience dans le sujet, se nomment pures, c'est-à-dire, primitives, et comme purifiées de toute impression étrangère à nous. En tant que nous considérons

Ainsi le cylindrisme du miroir, son plus ou moins -de poli, sa couleur, s'il est d'acier, ou de platine, ou de cuivre, ou de verre, etc..., sont ses formes ou dispositions pures, lesquelles précèdent en lui la perception de l'objet, et influeront sur la manière dont il le per

cevra,

ce qu'il peut y avoir de pur ou de primitif dans nos sensations, nous nominons notre sensibilité pure, ce qui ne veut dire autre chose, sinon que nous considerons ce qu'il peut y avoir de purement subjectif en elle. C'est en ce sens que nous dirons aussi entendement pur, raison pure. Enfin nous appellerons le système des principes que nous trouverons sur cette voie, la philosophie pure. Ainsi la méthode critique a dû nous conduire au transcendentalisme, et celuici nous conduit au purisme 1.

Avant que de passer au transcendentalisme pur, tel que l'expose Kant, nous pouvons nous arrêter un moment sur quelques-uns des résultats d'un point de vue transcendental dans le champ

1 Cette nouvelle doctrine, en tant que rationnelle, se trouve, comme le Rationnalisme en général, opposée à l'Empirisme. Le but du Purisme cependant, n'étant que la recherche des bases et des élémens de l'expérience, on devrait plutôt le regarder comme le fondement d'un empirisme raisonnable, et comme le traité préliminaire où sont fixées la valeur et la certitude de l'expérience. D'un autre côté, si l'empirisme reste superficiel et aveugle, admettant la sensation et l'expérience pour élémens de nos connaissances, sans avoir fait passer à la coupelle ces prétendus élémens, dans ce cas le purisme lui est diamétralement opposé.

de l'expérience. De cette nature étaient déjà les exemples donnés au commencement de cet article. En voici quelques autres, qui étant immédiatement tirés de l'homme, seront peut-être plus convenables, et plus utiles à l'intelligence de ce qui suivra.

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Un bateau suit le fil d'une rivière; le rivage, les arbres, les collines fuient, ou semblent fuir. De deux personnes qui sont placées dans ce bateau, l'une dit : « Le rivage marche » elle est empiriste; l'autre dit : « C'est nous qui mar » chons, et qui attribuons ce mouvement au >> rivage », celle-ci est dans un point de vue transcendental.

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On sait combien, dans le système de Ptolemée, l'astronomie était soumise à d'inextricables difficultés. Ce système procédait d'un point de vue empirique en astronomie. « Nous voyons tourner » le soleil et tous les astres autour de la terre, » disait-on, donc ils tournent en effet autour » de la terre». Copernic vient, et dit : Toute » cette rotation apparente n'est que subjective; » elle appartient à l'homme, qui l'attribue à

tout le ciel ; c'est le spectateur seul qui tourne, » le soleil et les astres restent en repos ». H est clair que Copernic s'était alors placé dans un point de vue transcendental, distinguant dans l'aspect du ciel le subjectif de l'objectif.

On a sérieusement objecté à Copernic que si son système était vrai et si la terre tournait nous aurions chaque vingt-quatre heures, la tête en bas et les pieds en haut '. La plupart des enfans, quand ils commençent à étudier, font volontiers la même objection. Elle est toute empirique, et on en sent aujourd'hui le ridicule. En haut et en bas, appartiennent à l'homme, au sujet ; faites abstraction de lui, il n'y a ni haut, ni bas dans les objets. Il en est de même de avant et après; un coup de canon est tiré dans un certain instant, un autre coup de canon est tiré dans un autre instant; si l'on juge que l'un a été tiré le premier, et l'autre ensuite, l'un avant et l'autre après, ce jugement procède comme le précédent d'une pure forme humaine; il n'y a ni avant ni après dans les choses en ellesmêmes, pas plus que de haut ni de bas.

On croyait assez généralement depuis le commencement du monde, que les couleurs étaient

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Voyez le livre de Morin, professeur de mathématiques au collège royal, intitulé: Alae telluris fracto (Les aîles de la terre brisées). Le bon professeur ne voulait plus que la terre volât. Combien de Morins parmi les antagonistes de la philosopie transcendentale! Et le grand Ticho-Brahé lui-même, faisait aussi cette objection dès pieds en haut et de la tête en bas. Combien il faut être en garde contre un jugement trop précipité !

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