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s'obstinent à soutenir que les objets sont réellement et en eux-mêmes, tels qu'ils les perçoivent, si notre chambre obscure aussi déclare que le rouge est la loi universelle de toute la nature, et que sans rouge il n'y a pas de nature possible; si notre cachet arrête que la figure de Minerve est la constitution inhérente de toutes les cires, ils deviendront tous de braves philosophes empiristes, analyseront, classeront, éclairciront leurs idées, parleront peut-être du rapport de ces idées aux signes qu'ils inventeront pour se les communiquer, et tourneront ainsi dans un cercle étroit de raisonnement, où ils pourront se complaire beaucoup et se croire profonds, mais où leur philosophie ne fera pas de grands progrès.

Si un de nos miroirs, le cylindrique par exemple, plus méditatif que les autres, et rebuté dé certaines contradictions qui naissent de la manière actuelle de philosopher, de l'impossibilité d'expliquer les choses si elles sont en effet telles qu'il les voit, etc..., s'avise enfin de ne plus ajouter foi aux apparences sensibles, et de chercher, à l'aide du raisonnement, comment les choses doivent être en effet en elles-mêmes dès-lors il devient un philosophe rationnaliste et il a déjà fait un pas de plus que l'empiriste vers la vérité. Alors il peut donner carrière

à sa raison et dire : « Cet objet que je vois cir»culaire est dans le fait triangulaire »; ou, » Il est carré»; ou, telle autre figure. Ou bien : » Cet objet n'existe pas en effet là où je le » vois, il n'existe que dans mon idee ». Ou bien : » Cet objet existe en effet, mais lai et moi ne » faisons qu'un ». Ou bien encore : « Cet objet » n'est qu'un atóme, qu'un point, et c'est son

rapport avec d'autres objets qui lui donne sa » forme » peut dire encore bien d'autres choses, et faire des systèmes de toutes les espèces.

Et comme dans tous ces systèmes, il ne cherche qu'à prononcer, de façon ou d'autre, sur la nature de choses qui ne sont pas lui, sur leur manière d'être indépendamment de la manière dont il les perçoit, nous appellerons son point de vue transcendent, sa philosophie, philosophie transcendente, etc. . . .

Si cependant notre raisonneur venait un jour à penser que la manière dont il est, construit peut bien influer sur celle dont il perçoit, dont il connaît et juge les choses, qu'en conséquence il s'occupât sérieusement de rechercher dans ses perceptions: qu'est-ce qui peut provenir de l'objet, et qu'est-ce qui peut provenir du sujet, c'est-à-dire, de lui-même, en tant que miroir cylindrique? ses recherches alors deviendraient

transcendentales, son point de vue serait le transcendentalisme 1.

Dès qu'un philosophe s'est mis dans ce point de vue transcendental, et qu'il entre sur le chemin indiqué, quel est le premier pas qu'il doit faire? C'est de chercher un principe sûr, une pierre

I Dans la suite de cet ouvrage, le lecteur ne doit pas un instant perdre de vue cette distinction du Transcendent et du Transcendental, pas plus que celle de l'ob jectif et du subjectif. On pourrait dire que la philosophie transcendente est l'étude de l'objectif (considéré comme existant absolument et en lni-même), et la philosophie transcendentale l'étude du subjectif (mais seulement en tant que celui-ci doit concourir à la formation des objets ). Tous les systèmes dogmatiques que nous avons indiqués dans l'article précédent, sont tous sans exception transcendens, du moins quant à leurs résultats. Leibnitz luimême est transcendent, quand il suppose une harmonie préétablie et ses monades. Il l'est moins dans sa doctrine des idées innées. Il n'y a que le philosophe critique qui puisse être vraiment transcendental. Delà vient que l'on donne à la philosophie de Kant tantôt l'une et tantôt l'autre de ces dénominations. Son procédé est critique, c'est-à-dire examinateur; sa doctrine est transcendentale, c'est-à-dire qu'elle recherche ce que nous mettons du nôtre dans la connaissance des objets. Dès qu'on perd un instant ce fil pour prononcer sur les objets en eux-mêmes, devient transcendent. Ces expressions techniques sont indispensables pour discerner des choses très-différentes et soulagent plutôt l'esprit, qu'elles ne sont à charge à la mémoire.

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on

de touche qui lui serve à discerner dans une' expérience ce qui appartient à l'objet connu, de' ce qui appartient au sujet connaissant, à distinguer les élémens subjectifs des élémens objectifs." Pour cela, il s'offre à lui une double considération.

I. Le sujet restant toujours le même, ne variant jamais, les objets au contraire variant sans cesse, et l'un n'ayant aucune raison de ressembler nécessairement à l'autre, il en résulte que tout ce qui, dans la représentation des objets sera constamment et invariablement le même, appartiendra au sujet ; qu'au contraire ce qui sera accidentel, variable, passager et changeant, appartiendra à l'objet.

Sur quelque chose que je porte la vue, si j'aperçois par-tout une tache noire, ou verte, etc., d'une forme constante, au lieu d'en conclure que tous les objets portent nécessairement une tache noire où verte, etc., ne sera-t-il pas plus raisonnable de penser que cette tache appartient à mon oil? Si quelque part où je sois, quelques sons variés que j'entende, il se mêle à tous un sifflement toujours constant et toujours le même, ne devrai-je pas en conclure que ce sifflement appartient à mon ouïe, et nullement aux objets qui me font entendre des

sons variés, lesquels sons peuvent cesser et avoir lieu tour-à-tour?

Par les mêmes raisons, notre chambre obscure, conclurait à bon droit, que la teinte rouge répandue également sur tous les objets, et sans laquelle elle n'en peut percevoir aucun, leur vient de sa propre nature à elle. La pierre gravée reconnaîtrait que cette figure de Minerve, seule forme sous laquelle elle puisse percevoir la ciré, est sa propre forme gravée en elle, et que les seules accidences, telles que la couleur rouge, ou noire, etc., le plus ou moins de ductilité, etc., appartiennent à la cire. Le miroir enfin `découvrirait que cette forme allongée et oblongue qu'il trouve à tous les objets, leur est attribuée par sa propre forme cylindrique, qui modifie ainsi les images, etc.

Revenant enfin à l'homme, lequel est doué de la faculté de recevoir des impressions sensibles, et de la faculté d'élaborer ces impressions dans son intelligence par la pensée, nous chercherons de même s'il n'y a pas aussi quelques conditions subjectives de sa pensée et de sa sensibilité, qui deviennent les lois des objets à mesure qu'il les sent et qu'il les pense, et en tant qu'objets sentis et pensés par lui. Si cela est en effet ces conditions de la cognition humaine, cette constitution de l'organe cognitif de l'homme,

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