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de me

sourit, et se jette hors d'une portière de peur manquer? Je ne suis pas riche, et je suis à pied; iloit dans les règles ne me pas voir: n'est-ce point pour être vu lui-même dans un même fond avec un grand?

L'on est si rempli de soi-même, que tout s'y rapporte : l'on aime à être vu, à être montré, à être salué, même des inconnus : ils sont fiers s'ils l'oublient; l'on veut qu'ils nous devinent.

Nous cherchons notre bonheur hors de nousmêmes, et dans l'opinion des hommes, que nous connoissons flatteurs, peu sincères, sans équité, pleins d'envie, de caprices et de préventions : quelle bizarrerie!

Il semble l'on ne que puisse rire que des choses ridicules : l'on voit néanmoins de certaines gens qui rient également des choses ridicules et de celles qui ne le sont pas. Si vous êtes sot et inconsidéré, qu'il vous échappe devant eux quelque impertinence, ils rient de vous: si vous êtes sage, et que vous ne disiez que des choses raisonnables, et du ton qu'il les faut dire, ils rient de même.

Ceux qui nous ravissent les biens par la violence ou par l'injustice, et qui nous ôtent l'honneur par la calomnie, nous marquent assez leur haine pour nous, mais ils ne nous prouvent pas également qu'ils aient perdu, à notre égard, toute sorte d'estime; aussi ne sommes-nous pas incapables de quelque retour pour eux, et de leur rendre un jour notre amitié. La moquerie, au contraire, est de toutes

les injures celle qui se pardonne le moins; elle est le langage du mépris, et l'une des manières dont il se fait le mieux entendre : elle attaque l'homme dans son dernier retranchement, qui est l'opinion qu'il a de soi-même : elle veut le rendre ridicule à ses propres yeux; et ainsi elle le convainc de la plus mauvaise disposition où l'on puisse être pour lui, et le rend irréconciliable.

C'est une chose monstrueuse que le goût et la facilité qui est en nous de railler, d'improuver et de mépriser les autres; et tout ensemble la colère que nous ressentons contre ceux qui nous raillent, nous improuvent et nous méprisent.

La santé et les richesses ôtent aux hommes l'expérience du mal, leur inspirent la dureté pour leurs semblables; et les gens déjà chargés de leur propre misère sont ceux qui entrent davantage par la compassion dans celle d'autrui.

Il semble qu'aux ames bien nées les fêtes, les spectacles, la symphonie, rapprochent et font mieux sentir l'infortune de nos proches ou de nos amis

.

Une grande ame est au dessus de l'injure, de l'injustice, de la douleur, de la moquerie; et elle seroit invulnérable, si elle ne souffroit par la compassion.

Il y a une espèce de honte d'être heureux à la vue de certaines misères.

On est prompt1à connoître ses plus petits avan tages, et lent à pénétrer ses défauts: on n'ignore point qu'on a de beaux sourcils, les ongles bien

faits; on sait à peine que l'on est borgne; on ne manque d'esprit.

sait point du tout l'on que

Argyre tire son gant pour montrer une belle main, et elle ne néglige pas de découvrir un petit soulier qui suppose qu'elle a le pied petit : elle rit des choses plaisantes ou sérieuses pour faire voir de belles dents : si elle montre son oreille, c'est qu'elle l'a bien faite; et si elle ne danse jamais, c'est qu'elle est peu contente de sa taille qu'elle a épaisse. Elle entend tous ses intérêts, à l'exception d'un seul; elle parle toujours, et n'a point d'esprit.

Les hommes comptent presque pour rien toutes les vertus du cœur, et idolâtrent les talents du corps et de l'esprit : celui qui dit froidement de soi, et sans croire blesser la modestie, qu'il est bon, qu'il est constant, fidèle, sincère, équitable, reconnoissant, n'ose dire qu'il est vif, qu'il a les dents belles et la peau douce: cela est trop fort.

Il est vrai qu'il y a deux vertus que les hommes admirent, la bravoure et la libéralité, parce qu'il y a deux choses qu'ils estiment beaucoup, et que ces vertus font négliger, la vie et l'argent : aussi personne n'avance de soi qu'il est brave ou libéral.

Personne ne dit de soi, et sur-tout sans fondement, qu'il est beau, qu'il est généreux, qu'il est sublime; on a mis ces qualités à un trop haut prix: on se contente de le penser.

Quelque rapport qu'il paroisse de la jalousie à l'émulation, il y a entre elles le même éloignement

que celui qui se trouve entre le vice et la vertu.

La jalousie et l'émulation s'exercent sur le même objet, qui est le bien ou le mérite des autres ; avec cette différence, que celle-ci est un sentiment volontaire, courageux, sincère, qui rend l'ame féconde, qui la fait profiter des grands exempleș, et la porte souvent au- dessus de ce qu'elle admire; et que

celle-là au contraire est un mouvement violent ct comme un aveu contraint du mérite qui est hors d'elle; qu'elle va même jusques à nier la vertu dans les sujets où elle existe, ou qui, forcée de la reconnoître, lui refuse les éloges ou lui envie les récompenses; une passion stérile qui laisse l'homme dans l'état où elle le trouve, qui le remplit de lui-même, de l'idée de sa réputation, qui le rend froid et sec sur les actions ou sur les ouvrages d'autrui, qui fait qu'il s'étonne de voir dans le monde d'autres talents que les siens, ou d'autres hommes avec les mêmes talents dont il se pique : vice honteux, et qui par son excès rentre toujours dans la vanité et dans la présomption, et ne persuade pas tant à celui qui en est blessé qu'il a plus d'esprit et de mérite que les autres, qu'il lui fait croire qu'il a lui seul de l'esprit et du mérite.

L'émulation et la jalousie ne se rencontrent guère que dans les personnes de même art, de mêmes talents, et de même condition. Les plus vils artisans sont les plus sujets à la jalousie. Ceux qui font profession des arts libéraux ou des belles-lettres, les peintres, les musiciens, les orateurs, les poëtes,

tous ceux qui se mêlent d'écrire, ne devroient d'émulation.

être capables que

Toute jalousie n'est point exempte de quelque sorte d'envie, et souvent même ces deux passions se confondent. L'envie au contraire est quelquefois séparée de la jalousie, comme est celle qu'excitent dans notre ame les conditions fort élevées au-dessus de la nôtre, les grandes fortunes, la faveur, le ministère.

L'envie et la haine s'unissent toujours; et se fortifient l'une l'autre dans un même sujet ; et elles ne sont reconnoissables entre elles, qu'en ce que l'une s'attache à la personne, l'autre à l'état et à la condition.

Un homme d'esprit n'est point jaloux d'un ouvrier qui a travaillé une bonne épée, ou d'un statuaire qui vient d'achever une belle figure. Il sait qu'il y a dans ces arts des règles et une méthode qu'on ne devine point, qu'il y a des outils à manier dont il ne connoît ni l'usage, ni le nom, ni la figure; et il lui suffit de penser qu'il n'a point fait l'apprentissage d'un certain métier, pour se consoler de n'y être point maître. Il peut au contraire être susceptible d'envie et même de jalousie contre un ministre et contre ceux qui gouvernent, comme si la raison et le bon sens, qui lui sont communs avec eux, étoient les seuls instruments qui servent à régir un état et à présider aux affaires publiques, rt qu'ils dussent suppléer aux règles, aux préceptes, à l'expérience.

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