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ne jugent, qu'ils ne raisonnent conséquemment? si c'est seulement sur de petites choses, c'est qu'ils sont enfants, et sans une longue expérience; et si c'est en mauvais termes, c'est moins leur faute que celle de leurs parents ou de leurs maîtres.

C'est perdre toute confiance dans l'esprit des enfants et leur devenir inutile, que de les punir des fautes qu'ils n'ont point faites, ou même sévè rement de celles qui sont légères. Ils savent précisément et mieux que personne ce qu'ils méritent, et ils ne méritent guère que ce qu'ils craignent: ils connoissent si c'est à tort ou avec raison qu'on les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal ordonnées que par l'impunité.

On ne vit point assez pour profiter de ses fautes: on en commet pendant tout le cours de sa vie; et tout ce que l'on peut faire à force de faillir, c'est de mourir corrigé.

Il n'y a rien qui rafraîchisse le sang comme d'avoir su éviter de faire une sottise.

Le récit de ses fautes est pénible on veut les couvrir et en charger quelque autre ; c'est ce qui donne le pas au directeur sur le confesseur.

Les fautes des sots sont quelquefois si lourdes et si difficiles à prévoir, qu'elles mettent les sages en défaut, et ne sont utiles qu'à ceux qui les font L'esprit de parti abaisse les plus grands hommes jusques aux petitesses du peuple.

Nous faisons par vanité ou par bienséance les mêmes choses et avec les mêmes dehors que nous

ies ferions par inclination ou par devoir. Tel vient de mourir à Paris de la fièvre qu'il a gagnée à veiller sa femme qu'il n'aimoit point.

Les hommes dans leur cœur veulent être estimés, et ils cachent avec soin l'envie qu'ils ont d'être estimés; parce que les hommes veulent passer pour vertueux, et que vouloir tirer de la vertu tout autre avantage que la vertu même, je veux dire l'estime et les louanges, ce ne seroit plus être vertueux, mais aimer l'estime et les louanges, ou être vain: les hommes sont très-vains, et ils ne haïssent rien tant que de passer pour tels.

Un homme vain trouve son compte à dire du bien ou du mal de soi : un homme modeste ne parle point de soi.

On ne voit point mieux le ridicule de la vanité, et combien elle est un vice honteux, qu'en ce qu'elle n'ose se montrer, et qu'elle se cache souvent sous les apparences de son contraire.

La fausse modestie est le dernier raffinement de la vanité : elle fait que l'homme vain ne paroît point tel, et se fait valoir au contraire par la vertu opposée au vice qui fait son caractère : c'est un mensonge. La fausse gloire est l'écueil de la vanité : elle nous conduit à vouloir être estimés des par choses qui à la vérité se trouvent en nous, mais qui sont frivoles et indignes qu'on les relève : c'est

une erreur.

Les hommes parlent de manière sur ce qui les regarde, qu'ils n'avouent d'eux-mêmes que

de

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petits défauts, et encore ceux qui supposent en leurs personnes de beaux talents, ou de grandes qualités. Ainsi l'on se plaint de son peu de mémoire, content d'ailleurs de son grand sens et de son bon jugement: l'on reçoit le reproche de la distraction et de la rêverie, comme s'il nous accordoit le bel esprit : l'on dit de soi qu'on est mal-adroit, et qu'on ne peut rien faire de ses mains, fort consolé de la perte de ces petits talents par ceux de l'esprit, ou par les dons de l'ame que tout le monde nous connoît l'on fait l'aveu de sa paresse en des termes qui signifient toujours son désintéressement, et que l'on est guéri de l'ambition: l'on ne rougit point de sa malpropreté, qui n'est qu'une négli gence pour les petites choses, et qui semble supposer qu'on n'a d'application que pour les solides et les essentielles. Un homme de guerre aime à dire que c'étoit par trop d'empressement ou par curio, sité qu'il se trouva un certain jour à la tranchée, ou en quelque autre poste très-périlleux, sans être de garde ni commandé; et il ajoute qu'il en fut re pris de son général. De même une bonne tête 1, ou un ferme génie qui se trouve né avec cette pru 'dence que les autres hommes cherchent vainement à acquérir; qui a fortifié la trempe de son esprit par une grande expérience; que le nombre, le poids, la diversité, la difficulté, et l'importance des affaires occupent seulement, et n'accablent point; qui, par l'étendue de ses vues et de sa pénétration, se rend maître de tous les événements; qui, bien loin de

consulter toutes les réflexions qui sont écrites sur le gouvernement et la politique, est peut-être de'. ces ames sublimes nées pour régir les autres, et sur qui ces premières règles ont été faites; qui est détourné, par les grandes choses qu'il fait, des belles ou des agréables qu'il pourroit lire, et qui au contraire ne perd rien à retracer et à feuilleter, pour ainsi dire, sa vie et ses actions: un homme ainsi fait peut dire aisément, et sans se commettre, qu'il ne connoît aucun livre, et qu'il ne lit jamais.

On veut quelquefois cacher ses foibles, ou en diminuer l'opinion par l'aveu libre que l'on en fait. Tel dit, je suis ignorant, qui ne sait rien : un homme dit, je suis vieux, il passe soixante ans : un autre encore,. je ne suis pas riche, et il est

pauvre.

La modestie n'est point, ou est confondue avec une chose toute différente de soi, si on la prend pour un sentiment intérieur qui avilit l'homme à ses propres yeux, et qui est une vertu surnaturelle qu'on appelle humilité. L'homme de sa nature pense hautement et superbement de lui-même, et ne pense ainsi que de lui-même : la modestie ne tend qu'à que personne n'en souffre; elle est une vertu du dehors, qui règle ses yeux, sa démarche, ses paroles, son ton de voix, et qui le fait agir extérieurement avec les autres, comme s'il n'étoit pas vrai qu'il les compte pour rien.

faire

Le monde est plein de gens qui, faisant extérieure, ment et par habitude la comparaison d'eux-mêmes

avec les autres, décident toujours en faveur de leur mérite, et agissent conséquemment.

Vous dites qu'il faut être modeste; les gens bien nés ne demandent pas mieux : faites seulement que les hommes n'empiètent pas sur ceux qui cèdent par modestie, et ne brisent pas ceux qui plient.

De même l'on dit, il faut avoir des habits modestes; les personnes de mérite ne desirent rien davantage : mais le monde veut de la parure, on lui en donne; il est avide de la superfluité, on lui en montre. Quelques uns n'estiment les autres que par de beau linge ou par une riche étoffe; l'on ne refuse pas toujours d'être estimé à ce prix. Il y a des endroits où il faut se faire voir un galon d'or plus large ou plus étroit vous fait entrer ou refuser.

Notre vanité et la trop grande estime que nous avons de nous-mêmes nous fait soupçonner dans les autres une fierté à notre égard qui y est quelquefois, et qui souvent n'y est pas : une personne modeste n'a point cette délicatesse.

Comme il faut se défendre de cette vanité qui nous fait penser que les autres nous regardent avec curiosité et avec estime, et ne parlent ensemble que pour s'entretenir de notre mérite et faire notre éloge; aussi devons-nous avoir une certaine confiance qui nous empêche de croire qu'on ne se parle à l'oreille que pour dire du mal de nous, ou que 'on ne rit que pour s'en moquer.

D'où vient qu'Alcippe me salue aujourd'hui, me

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