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me donnez-vous? Est-ce là toute cette science que les hommes publient, et qui vous fait révérer de toute la terre? Que m'apprenez-vous de rare et de mystérieux ? et ne savois-je pas tous ces remèdes que vous m'enseignez? Que n'en usiez-vous donc, répond le dieu, sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage?

La mort n'arrive qu'une fois, et se fait sentir à tous les moments de la vie : il est plus dur de l'appréhender que de la souffrir.

L'inquiétude, la crainte, l'abattement, n'éloignent pas la mort, au contraire : je doute seulement le ris excessif convienne aux hommes qui sont mortels.

que

Ce qu'il y a de certain dans la mort, est un peu adouci par ce qui est incertain : c'est ur indéfini dans le temps,qui tient quelque chose de l'infini et de ce qu'on appelle éternité.

Pensons que comme nous soupirons présente ment pour la florissante jeunesse qui n'est plus, et ne reviendra point, la caducité suivra qui nous fera regretter l'âge viril où nous sommes encore, et que nous n'estimons pas assez.

L'on craint la vieillesse, que l'on n'est pas sûr, de pouvoir atteindre.

L'on espère de vieillir, et l'on craint la vieillesse; c'est-à-dire, l'on aime la vie et l'on fuit la mort.

C'est plutôt fait de céder à la nature et de craindre la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raisons et de réflexions, et étre continuellement

aux prises avec soi-même pour ne pas la craindre.

Si de tous les hommes les uns mouroient, les autres non, ce seroit une désolante affliction que

de mourir.

Une longue maladie semble être placée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent.

A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui est de mettre fin à la vieillesse.

La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos que celle qui la termine.

Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du temps qu'ils ont déjà vécu, ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre, un meilleur usage.

La vie est un sommeil. Les vieillards sont ceux dont le sommeil a été plus long : ils ne commencent à se réveiller que quand il faut mourir. S'ils repassent alors sur tout le cours de leurs années, ils ne trouvent souvent ni vertus ni actions louables qui les distinguent les unes des autres : ils confondent leurs différents âges, ils n'y voient rien qui marque assez pour mesurer le temps qu'ils ont vécu. Ils ont eu un songe confus, informe et sans aucune suite ils sentent néanmoins, comme ceux qui s'éveillent, qu'ils ont dormi long-temps.

Il n'y a pour l'homme que trois événements, naître, vivre, et mourir : il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre.

Il y a un temps où la raison n'est pas encore, où l'on ne vit que par instinct à la manière des animaux, et dont il ne reste dans la mémoire aucun vestige. Il y a un second temps où la raison se développe, où elle est formée, et où elle pourroit agir, si elle n'étoit pas obscurcie et comme éteinte par les vices de la complexion et par un enchaînement de passions qui se succèdent les unes aux autres, et conduisent jusques au troisième et dernier âge. La raison alors dans sa force devroit produire; mais elle est refroidie et ralentie par les années, par la maladie et la douleur, déconcertée ensuite par le désordre de la machine qui est dans son déclin : et ces temps néanmoins sont la vie de l'homme.

Les enfants sont hautains, dédaigneux, colères, envieux, curieux, intéressés, paresseux, volages, timides, intempérants, menteurs, dissimulés ; ils rient et pleurent facilement; ils ont des joies immodérées et des afflictions amères sur de très-petits sujets ; ils ne veulent point souffrir de mal, et aiment à en faire : ils sont déjà des hommes.

Les enfants n'ont ni passé ni avenir; et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent.

:

Le caractère de l'enfance paroît unique les mœurs dans cet âge sont assez les mêmes; et ce n'est qu'avec une curieuse attention qu'on en pénètre la différence: elle augmente avec la raison, parce qu'avec celle-ci croissent les passions et les vices, qui seuls rendent les hommes si dissemblables entre eux, et si contraires à eux-mêmes.

Les enfants ont déjà de leur ame l'imagination et la mémoire, c'est-à-dire, ce que les vieillards n'ont plus; et ils en tirent un merveilleux usage pour leurs petits jeux et pour tous leurs amusements: c'est par elles qu'ils répètent ce qu'ils ont entendu dire, qu'ils contrefont ce qu'ils ont vu faire; qu'ils sont de tous métiers, soit qu'ils s'occupent en effet à mille petits ouvrages, soit qu'ils imitent les divers artisans par le mouvement et par le geste; qu'ils se trouvent à un grand festin, et y font bonne chère; qu'ils se transportent dans des palais et dans des lieux enchantés; que, bien que seuls, ils se voient un riche équipage et un grand cor tége; qu'ils conduisent des armées, livrent bataille, et jouissent du plaisir de la victoire; qu'ils parlent aux rois et aux plus grands princes; qu'ils sont rois eux-mêmes, ont des sujets, possèdent des trésors qu'ils peuvent faire de feuilles d'arbres ou de grains de sable; et, ce qu'ils ignorent dans la suite de leur vie, savent, à cet âge, être les arbitres de leur fortune, et les maîtres de leur propre félicité.

Il n'y a nuls vices extérieurs, et nuls défauts du corps qui ne soient apperçus par les enfants : ils les saisissent d'une première vue, et ils savent les exprimer par des mots convenables, on ne nomme point plus heureusement: devenus hommes, ils sont chargés à leur tour de toutes les imperfections dont ils se sont moqués.

L'unique soin des enfants est de trouver l'endroit foible de leurs maîtres, comme de tous ceux à qui

:

ils sont soumis dès qu'ils ont pu les entamer, ils gagnent le dessus, et prennent sur eux un ascendant' qu'ils ne perdent plus. Ce qui nous fait déchoir une première fois de cette supériorité à leur égard est toujours ce qui nous empêche de la recouvrer.

La paresse, l'indolence, et l'oisiveté, vices si naturels aux enfants, disparóissent dans leurs jeux, où ils sont vifs, appliqués, exacts, amoureux des règles et de la symétrie, où ils ne se pardonnent nulle faute les uns aux autres, et recommencent eux-mêmes plusieurs fois une seule chose qu'ils ont manquée : présages certains qu'ils pourront un jour négliger leurs devoirs, mais qu'ils n'oublieront rien' pour leurs plaisirs.

ཝཱ

Aux enfants tout paroît grand, les cours, les jardins, les édifices, les meubles, les hommes es, les animaux aux hommes les choses du monde paroissent ainsi, et j'ose dire, par la même raison, parce qu'ils sont petits.

Les enfants commencent entre eux par l'état populaire, chacun y est le maître; et ce qui est bien naturel, ils ne s'en accommodent pas long-temps, et passent au monarchique. Quelqu'un se distingue,ou par une plus grande vivacité, ou par une meilleure disposition du corps, ou par une connoissance plus exacte des jeux différents et des petites lois qui les composent; les autres lui défèrent, et il se forme alors un gouvernement absolu qui ne roule que sur le plaisir.

Qui doute que les enfants ne conçoivent, qu'ils La Bruyere. 2.

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