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soi, il aime la chambre, où il n'est ni oisif, ni la borieux, où il n'agit point, où il tracasse, et dans l'équipage d'un homme qui a pris médecine. On dépendservilement d'un serrurier et d'un menuisier selon ses besoins : pour lui, s'il faut limer, il a une lime, une scie s'il faut scier, et des tenailles s'il faut arracher. Imaginez, s'il est possible, quelques outils qu'il n'ait pas, et meilleurs et plus commodes à son gré que ceux mêmes dont les ouvriers se servent : il en a de nouveaux et d'inconnus, qui n'ont point de nom, productions de son esprit, et dont il a presque oublié l'usage. Nul ne se peut comparer à lui pour faire en peu de temps et sans peine un travail fort inutile: il faisoit dix pas pour aller de son lit dans sa garde-robe, il n'en fait plus que neuf par la manière dont il a su tourner sa chambre; combien de pas épargnés dans le cours d'une vie! Ailleurs l'on tourne la clef, l'on pousse contre, ou l'on tire à soi, et une porte s'ouvre : quelle fatigue! voilà un mouvement de trop qu'il sait s'épargner; et comment? c'est un mystère qu'il ne révèle point: il est à la vérité un grand maître pour le ressort et pour la mécanique, pour celle du moins dont tout le monde · se passe. Hermippe tire le jour de son appartement d'ailleurs que de la fenêtre, il a trouvé le secret de monter et de descendre autrement que par l'escalier, et il cherche celui d'entrer et de sortir plus commodément que par la porte.

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Il y a déjà long-temps que l'on improuve les médecins, et que l'on s'en sert : le théâtre et la satire

ne touchent point à leurs pensions : ils dotent leurs filles, placent leurs fils aux parlements et dans la prélature, et les railleurs eux-mêmes fournissent l'argent. Ceux qui se portent bien deviennent malades, il leur faut des gens dont le métier soit de les assurer qu'ils ne mourront point: tant que les Lommes pourront mourir, et qu'ils aimeront à vivre, le médecin sera raillé et bien payé.

Un bon médecin est celui qui a des remèdes spécifiques, ou, s'il en manque, qui permet à ceux qui les ont de guérir son malade.

La témérité des charlatans, et leurs tristes succès, qui en sont les suites, font valoir la médecine et les médecins : si ceux-ci laissent mourir, les autres tuent.

Carro Carri1 débarque avec une recette qu'il appelle un prompt remède, et qui quelquefois est un poison lent c'est un bien de famille, mais amélioré en ses mains; de spécifique qu'il étoit contre la colique, il guérit de la fièvre quarte, de la pleurésie, de l'hydropisie, de l'apoplexie, de l'épilepsie. Forcez un peu votre mémoire, nommez une maladie, la première qui vous viendra en l'esprit. L'hémorragie, dites-vous? il la guérit : il ne ressuscite personne, il est vrai; il ne rend pas la vie aux hommes; mais il les conduit nécessairement jusqu'à la décrépitude, et ce n'est que par hasard que son père et son aïeul, qui avoient ce secret, sont morts fort jeunes. Les médecins reçoivent pour leurs visites ce qu'on leur donne, La Bruyere, 2.

quelques uns se contentent d'un remerciment Carro Carri est si sûr de son remède, et de l'effet qui en doit suivre, qu'il n'hésite pas de s'en faire payer d'avance, et de recevoir avant que de donner: si le mal est incurable, tant mieux, il n'en est que plus digne de son application et de son remède: commencez par lui livrer quelques sacs de mille francs, passez-lui un contrat de constitution, donnez-lui une de vos terres, la plus petite, et ne soyez pas ensuite plus inquiet que lui de votre guérison. L'émulation de cet homme a peuplé le monde de noms en O et en I, noms vénérables qui imposent aux malades et aux maladies. Vos médecins ', et de toutes les facultés, avouez-le, ne guérissent pas toujours, ni sûrement : ceux au contraire qui ont hérité de leurs pères la médecine pratique, et à qui l'expérience est échue par succession, promettent toujours et avec serments qu'on guérira. Qu'il est doux aux hommes de tout espérer d'une maladie mortelle, et de se porter encore passablement bien à l'agonie! la mort surprend agréable. ment et sans s'être fait craindre : on la sent plutôt qu'on n'a songé à s'y préparer et à s'y résoudre. O Fagon Esculape! faites régner sur toute la terre le quinquina et l'émétique; conduisez à sa perfection la science des simples, qui sont donnés aux hommes pour prolonger leur vie : observez dans les cures, avec plus de précision et de sagesse que personne n'a encore fait, le climat, les temps, les symptômes et les complexions; guérissez de la

manière seule qu'il convient à chacun d'être guéri: chassez des corps, où rien ne vous est caché de leur économie, les maladies les plus obscures et les plus invétérées : n'attentez pas sur celles de l'esprit, elles sont incurables: laissez à Corinne, à Lesbie, à Canidie, à Trimalcion et à Carpus, la passion où la fureur des charlatans.

L'on souffre dans la république les chiromanciens et les devins, ceux qui font l'horoscope et qui tirent la figure, ceux qui connoissent le passé par le mouvement du sas, ceux qui font voir dans un miroir ou dans un vase d'eau la claire vérité; et ces gens sont en effet de quelque usage: ils prédisent aux hommes qu'ils feront fortune, aux filles qu'elles épouseront leurs amants, consolent les enfants dont les pères ne meurent point, et charment l'inquiétude des jeunes femmes qui ont de vieux maris : ils trompent enfin à très-vil prix ceux qui cherchent à être trompés.

Que penser de la magie et du sortilége? La théorie en est obscure, les principes vagues, incertains, et qui approchent du visionnaire. Mais il y a des faits embarrassants, affirmés par des hommes graves qui les ont vus, ou qui les ont appris de personnes qui leur ressemblent : les admettre tous, ou les nier tous, paroît un égal inconvénient; et j'ose dire qu'en cela, comme dans toutes les choses extraordinaires et qui sortent des communes règles, il y a un parti à trouver entre les ames crédules et les esprits forts.

L'on ne peut guère charger l'enfance de la connoissance de trop de langues, et il me semble que l'on devroit mettre toute son application à l'en instruire: elles sont utiles à toutes les conditions des hommes, et elles leur ouvrent également l'entrée ou à une profonde ou à une facile et agréable érudition. Si l'on remet cette étude si pénible à un âge un peu plus avancé, et qu'on appelle la jeunesse, ou l'on n'a pas la force de l'embrasser par choix, ou l'on n'a pas celle d'y persévérer; et si l'on y persévère, c'est consumer à la recherche des langues le même temps qui est consacré à l'usage que l'on en 'doit faire; c'est borner à la science des mots un âge qui veut déjà aller plus loin, et qui demande des choses; c'est au moins avoir perdu les premières et les plus belles années de sa vie. Un si grand fonds ne se peut bien faire que lorsque tout s'imprime dans l'ame naturellement et profondément; que la mémoire est neuve, prompte et fidèle ; que l'esprit et le cœur sont encore vuides de passions, de soins et de desirs, et que l'on est déterminé à de longs travaux par ceux de qui l'on dépend. Je suis persuadé que le petit nombre d'habiles, ou le grand nombre de gens superficiels, vient de l'oubli de cette pratique.

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L'étude des textes ne peut jamais être assez recommandée : c'est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d'érudition: jayez les choses de la première main, puisez à la source; maniez, remaniez le texte, apprenez-le de

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