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I

Combien d'hommes qui sont forts contre les foibles, fermes et inflexibles aux sollicitations du simple peuple, sans nuls égards pour les petits, rigides et sévères dans les minuties, qui refusent les petits présents, qui n'écoutent ni leurs parents ni leurs amis, et que les femmes seules peuvent corrompre!

Il n'est pas absolument impossible qu'une personne qui se trouve dans une grande faveur perde un procès.

Les mourants qui parlent dans leurs testaments peuvent s'attendre à être écoutés comme des oracles: chacun les tire de son côté, et les interprète à sa manière, je veux dire selon ses desirs ou ses intérêts.

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Il est vrai qu'il y a des hommes dont on peut dire que la mort fixe moins la dernière volonté, qu'elle ne leur ôte avec la vie l'irrésolution et l'inquiétude. Un dépit pendant qu'ils vivent les fait tester; ils s'appaisent, et déchirent leur minute, la voilà en cendre. Ils n'ont pas moins de testaments dans leur cassette, que d'almanachs sur leur table; ils les comptent par les années : un second se trouve détruit par un troisième, qui est anéanti lui-même par un autre mieux digéré, et celui-ci encore par un cinquième olographe. Mais si le moment, ou la malice, ou l'autorité, manquent à celui qui a intérêt de le supprimer, il faut qu'il en essuie les clauses et les conditions: car appert-il mieux des dispositions des hommes les plus inconstants, que

par un dernier acte, signé de leur main, et après lequel ils n'ont pas du moins eu le loisir de vouloir tout le contraire?

S'il n'y avoit point de testaments pour régler le droit des héritiers, je ne sais si l'on auroit besoin de tribunaux pour régler les différends des hommes. Les juges seroient presque réduits à la triste fonetion d'envoyer au gibet les voleurs et les incendiaires. Qui voit-on dans les lanternes des chambres, au parquet, à la porte ou dans la salle du magistrat? des héritiers ab intestat? Non, les lois ont pourvu à leurs partages on y voit les testamentaires qui plaident en explication d'une clause ou d'un article; les personnes exhérédées; ceux qui se plaignent d'un testament fait avec loisir, avec maturité, par un homme grave, habile, consciencieux, et qui a été aidé d'un bon conseil; d'un acte où le praticien n'a rien omis de son jargon et de ses finesses ordinaires; il est signé du testateur et des témoins publics, il est paraphé; et c'est en cet état qu'il est cassé et déclaré nul.

Titius 2 assiste à la lecture d'un testament avec des

yeux rouges et humides, et le cœur serré de la perte de celui dont il espère recueillir la succession: un article lui donne la charge, un autre les rentes de la ville, un troisième le rend maître d'une terre à la campagne; il y a une clause qui, bien entendue, lui accorde une maison située au milieu de Paris, comme elle se trouve, et avec les meubles: son afflic tion augmente, les larmes lui coulent des

yeux; le

moyen de les contenir? il se voit officier, logé aux champs et à la ville, meublé de même, il se voit une bonne table, et un carrosse : « Yavoit-il au monde » un plus honnête homme que le défunt, un meil» leur homme?» Il y a un codicille, il faut le lire il fait Mævius légataire universel, et il renvoie Titius dans son faubourg, sans rentes, sans titre, et le met à pied. Il essuie ses larmes : c'est à Mævius à s'affliger.

La loi qui défend de tuer un homme n'embrasse t-elle pas dans cette défense le fer, le poison, le feu, l'eau, les embûches, la force ouverte, tous les moyens enfin qui peuvent servir à l'homicide? La loi qui ôte aux maris et aux femmes le pouvoir de se donner réciproquement n'a-t-elle connu que les voies directes et immédiates de donner? a-t-elle manqué de prévoir les indirectes? a-t-elle introduit les fideicommis, ou si même elle les tolère? avec une femme qui nous est chère et qui nous survit, lègue-t-on son bien à un ami fidèle par un sentiment de reconnoissance pour lui, ou plutôt par une extrême confiance, et par la certitude qu'on a du bon usage qu'il saura faire de ce qu'on lui lègue donne-t-on à celui que l'on peut soupçonner de ne devoir pas rendre à la personne à qui en eet Fon veut donner? faut-il se parler, faut-il s'écrire, est-il besoin de pacte ou de serments pour former cette collusion? Les hommes ne sentent-ils pas en cette rencontre ce qu'ils peuvent espérer les uns des autres? Et si au contraire la propriété d'un tel bien

est dévolue au fideicommissaire, pourquoi perd-il sa réputation à le retenir? sur quoi fonde-t-on la satire et les vaudevilles? voudroit-on le comparer au dépositaire qui trahit le dépôt, à un domestique qui vole l'argent que son maître l'envoie porter? On auroit tort: y a-t-il de l'infamie à ne pas faire une libéralité, et à conserver pour soi ce qui est à soi? Étrange embarras, horrible poids que le fideicommis! Si par la révérence des lois on se l'appro prie, il ne faut plus passer pour homme de bien: si par le respect d'un ami mort l'on suit ses intentions en le rendant à sa veuve, on est confidentiaire, on blesse la loi. Elle cadre donc bien mal avec l'opinion des hommes. Cela peut être ; et il ne me convient pas de dire ici, La loi pèche, ni, Les hommes se trompent.

J'entends dire de quelques particuliers ou de quelques compagnies: Tel et tel corps se contestent l'un à l'autre la préséance : le mortier et la pairie se disputent le pas. Il me paroît que celui des deux qui évite de se rencontrer aux assemblées est celui qui cède, et qui, sentant son foible, juge lui-même en faveur de son concurrent.

Typhon fournit un grand de chiens et de che vaux; que ne lui fournit-il point! Sa protection le rend audacieux; il est impunément dans sa province tout ce qu'il lui plaît d'être, assassin, parjure; il brûle ses voisins, et il n'a pas besoin d'asyle: il faut enfin que le prince se mêle lui-même de sa punition.

Ragoûts, liqueurs 1, entrées, entremets, tous mots qui devroient être barbares et inintelligibles en notre langue : et s'il est vrai qu'ils ne devroient pas être d'usage en pleine paix, où ils ne servent qu'à entretenir le luxe et la gourmandise, comment peuvent-ils être entendus dans le temps de la guerre et d'une misère publique, à la vue de l'ennemi, à la veille d'un combat, pendant un siége? Où est-il parlé de la table de Scipion ou de celle de Marius? Ai-je lu quelque part que Miltiade, qu'Epaminondas, qu'Agésilas, aient fait une chère délicate? Je voudrois qu'on ne fit mention de la délicatesse, de la propreté et de la scmptuosité des généraux, qu'après n'avoir plus rien à dire sur leur sujet, et s'être épuisé sur les circonstances d'une bataille gagnée et d'une ville prise : j'aimcrois même qu'ils voulussent se priver de cet éloge.

Hermippe 3 est l'esclave de ce qu'il appelle ses petites commodités; il leur sacrifie l'usage reçu, la coutume, les modes, la bienséance : il les cherche en toutes choses, il quitte une moindre pour une plus grande, il ne néglige aucune de celles qui sont praticables, il s'en fait une étude, et il ne se passe aucun jour qu'il ne fasse en ce genre une découverte. Il laisse aux autres hommes le dîner et le souper, à peine en admet-il les termes; il mange quand il a faim, et les mets seulement on son ap pétit le porte. Il voit faire son lit; quelle main assez adroite ou assez heureuse pourroit le faire dormir comme il veut dormir? Il sort rarement de chez

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