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serai ni plus libre ni plus familier avec vous : je n'aurai pas une moindre opinion de vous et de votre poste; je croirai également que vous êtes riche et en faveur. Je suis dévote, ajoutez-vous. C'est assez, Zélie, et je dois me souvenir que ce n'est plus la sérénité et la joie que le sentiment d'une bonne conscience étale sur le visage; les passions tristes et austères ont pris le dessus et se répandent sur les dehors; elles mènent plus loin, et l'on ne s'étonne plus de voir que la dévotion sache encore mieux que la beauté et la jeunesse rendre une femme fière et dédaigneuse.

L'on a été loin depuis un siècle dans les arts et dans les sciences, qui toutes ont été poussées à un grand point de raffinement, jusques à celle du salut, que l'on a réduite en règle et en méthode, et augmentée de tout ce que l'esprit des hommes pouvoit inventer de plus beau et de plus sublime. La dévotion et la géométrie ont leurs façons de parler, ou ce qu'on appelle les termes de l'art : celui qui ne les sait pas n'est ni dévot ni géomètre. Les premiers dévots, ceux même qui ont été dirigés par les apôtres, ignoroient ces termes : simples gens qui n'avoient que la foi et les œuvres, et qui se rédui:

soient à croire et à bien vivre !

C'est une chose délicate un prince religieux de réformer la cour, et de la rendre pieuse : instruit jusques où le courtisan veut lui plaire, et aux dépens de quoi il feroit sa fortune, il le ménage avec prudence, il tolère, il dissimule, de peur de le jeter

dans l'hypocrisie ou le sacrilége: il attend plus de Dieu et du temps que de son zèle et de son in. dustrie.

:

C'est une pratique ancienne dans les cours de donner des pensions et de distribuer des graces à un musicien, à un maître de danse, à un farceur, à un joueur de flùte, à un flatteur, à un complaisant ils ont un mérite fixe et des talents sûrs e connus qui amusent les grands, et qui les délassent de leur grandeur. On sait que Favier est beau dan seur, et que Lorenzani fait de beaux motets: qui sait au contraire si l'homme dévot a de la vertu? il n'y a rien pour lui sur la cassette ni à l'épargne, et avec raison; c'est un métier aisé à contrefaire, qui, s'il étoit récompensé, exposeroit le prince à mettre en honneur la dissimulation et la fourberie, et à payer pension à l'hypocrite.

L'on espère que la dévotion de la cour ne laissera pas d'inspirer la résidence.

Je ne doute point que la vraie dévotion ne soit la source du repos; elle fait supporter la vie et rend la mort douce: on n'en tire pas tant de l'hypo crisie.

Chaque heure en soi; comme à notre égard, est unique : est-elle écoulée une fois, elle a péri entiè rement, les millions de siècles ne la ramèneront pas. Les jours, les mois, les années s'enfoncent et se perdent sans retour dans l'abîme des temps. Le temps même sera détruit : ce n'est qu'un point dans les espaces immenses de l'éternité, et il sera

effacé. Il y a de légères et frivoles circonstances du temps qui ne sont point stables, qui passent, et que j'appelle des modes, la grandeur, la faveur, les ri-' chesses, la puissance, l'autorité, l'indépendance; le plaisir, les joies, la superfluité. Que deviendront ces modes, quand le temps même aura disparu? La vertu seule, si peu à la mode, va au-delà des temps.

La Bruyere. 2.

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CHAPITRE XIV.

DE QUELQUES USAGE S

Il y a des gens qui n'ont pas le moyen d'être

nobles.

Il y en a de tels, que, s'ils eussent obtenu six mois de délai de leurs créanciers, ils étoient nobles. Quelques autres se couchent roturiers et se lèvent nobles.

Combien de nobles dont le pere et les aînés sont roturiers!

est

Tel abandonne son père qui est connu, et dont l'on cite le greffe ou la boutique, pour se retrancher sur son aïeul, qui, mort depuis long-temps, inconnu et hors de prise. Il montre ensuite un gros revenu, une grande charge, de belles alliances; et pour être noble il ne lui manque que des titres.

Réhabilitations, mot en usage dans les tribunaux, qui a fait vieillir et rendu gothique celui de lettres de noblesse, autrefois si françois et si usité. Se faire réhabiliter suppose qu'un homme, devenu riche, originairement est noble, qu'il est d'une nécessite plus que morale qu'il le soit ; qu'à la vérité son père a pu déroger ou par la charrue, ou par la houe, ou par la malle, ou par les livrées; mais qu'il ne s'agit pour lui que de rentrer dans les premiers droits de ses ancêtres, et de continuer les armes de sa maison,

les mêmes pourtant qu'il a fabriquées, et tout autres que celles de sa vaisselle d'étain; qu'en un mot les lettres de noblesse ne lui conviennent plus, qu'elles n'honorent que le roturier, c'est-à-dire, celui qui cherche encore le secret de devenir riche.

Un homme du peuple, à force d'assurer qu'il a vu un prodige, se persuade faussement qu'il a vu un prodige. Celui qui continue de cacher son âge pense enfin lui-même être aussi jeune qu'il veut le faire croire aux autres. De même le roturier qui dit par habitude qu'il tire son origine de quelque ancien baron ou de quelque châtelain dont il est vrai qu'il ne descend pas, a le plaisir de croire qu'il en descend.

Quelle est la roture un peu heureuse et établie, à qui il manque des armes, et dans ces armes une pièce honorable, des supports, un cimier, une devise, et peut-être le cri de guerre? Qu'est devenue la distinction des casques et des heaumes? Le nom et l'usage en sont abolis; il ne s'agit plus de les porter de front ou de côté, ouverts ou fermés, et ceux-ci de tant ou de tant de grilles : on n'aime pas les minuties, on passe droit aux couronnes, cela est plus simple, on s'en croit digne, on se les adjuge! Il reste encore aux meilleurs bourgeois une certaine pudeur qui les empêche de se parer d'une couronne de marquis, trop satisfaits de la comtale : quelques uns même ne vont pas la chercher fort loin, et la font passer de leur enseigne à leur car:

rosse.

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