Page images
PDF
EPUB

les agréments et la bienséance à des choses tout opposées, qui emploient pour le comique et pour la mascarade ce qui leur a servi de parure grave et d'ornements les plus sérieux; et que si peu de temps en fasse la différence.

N... est riche, elle mange bien, elle dort bien: mais les coeffures changent; et lorsqu'elle y pense le moins et qu'elle se croit heureuse, la sienne est hors de mode.

Iphis voit à l'église un soulier d'une nouvelle mode; il regarde le sien, et en rougit, il ne se croit plus habillé : il étoit venu à la messe pour s'y montrer, et il se cache: le voilà retenu par le pied dans sa chambre tout le reste du jour. Il a la main douce, et il l'entretient avec une pâte de senteur. Il a soin de rire pour montrer ses dents : il fait la petite bouche, et il n'y a guère de moments où il ne veuille sourire : il regarde ses jambes, il se voit au miroir; l'on ne peut être plus content de personne qu'il l'est de lui-même : il s'est acquis une voix claire et délicate, et heureusement il parle gras: il a un mouvement de tête, et je ne sais quel adoucissement dans les yeux, dont il n'oublie pas de s'embellir: il a une démarche molle et le plus joli maintien qu'il est capable de se procurer : il met du rouge, mais rarement, il n'en fait pas ha bitude : il est vrai aussi qu'il porte des chausses et un chapeau, et qu'il n'a ni boucles d'oreilles ni collier de perles; aussi ne l'ai-je pas mis dans le chapitre des femmes.

La Bruyere. 2.

[ocr errors]

Ces mêmes modes

que

les hommes suivent si vo

lontiers pour leurs personnes, ils affectent de les négliger dans leurs portraits, comme s'ils sentoient ou qu'ils prévissent l'indécence et le ridicule où elles peuvent tomber dès qu'elles auront perdu ce qu'on appelle la fleur ou l'agrément de la nouveauté: ils leur préfèrent une parure arbitraire, uné draperie indifférente, fantaisies du peintre qui ne sont prises ni sur l'air ni sur le visage, qui ne rappellent ni les mœurs ni la personne : ils aiment des attitudes forcées ou immodestes, une manière dure, sauvage, étrangère, qui font un capitan d'un jeune abbé, et un matamore d'un homme de robe; une Diane d'une femme de ville, comme d'une femme simple et timide, une amazone ou une Pallas; une Laïs d'une honnête fille; un Scythe, un Attila, d'un prince qui est bon et magnanime.

Une mode a à peine détruit une autre mode, qu'elle est abolie par une plus nouvelle, qui cède elle-même à celle qui la suit, et qui ne sera pas la dernière; telle est notre légèreté : pendant ces révolutions un siècle s'est écoulé qui a mis toutes ces parures au rang des choses passées et qui ne sont plus. La mode alors la plus curieuse et qui fait plus de plaisir à voir, c'est la plus ancienne : aidée du temps et des années, elle a le même agrément dans les portraits qu'a la saye ou l'habit romain sur les théâtres, qu'ont la mante, le voile et la tiare 1 dans nos tapisseries et dans nos pein tures.

Nos pères nous ont transmis avec la connoissance de leurs personnes, celle de leurs habits, de leurs coeffures, de leurs armes 1, et des autres ornements qu'ils ont aimés pendant leur vie : nous ne saurions bien reconnoître cette sorte de bienfait, qu'en traitant de même nos descendants.

Le courtisan autrefois 2 avoit ses cheveux, étoit en chausses et en pourpoint, portoit de larges canons, et il étoit libertin ; cela ne sied plus : il porte une perruque, l'habit serré, le bas uni, et il est dévot: tout se règle par la mode

Celui qui depuis quelque temps à la cour étoit dévot, et par-là contre toute raison peu éloigné du ridicule, pouvoit-il espérer de devenir à la mode? De quoi n'est point capable un courtisan dans la vue de sa fortune, si, pour ne la

devient dévot?

:

pas manquer, il

Les couleurs sont préparées, et la toile est toute prête mais comment le fixer, cet homme inquiet, léger, inconstant, qui change de mille et mille fi gures? Je le peins dévot, et je crois l'avoir attrapé;' mais il m'échappe, et déjà il est libertin. Qu'il demeure du moius dans cette mauvaise situation, et je saurai le prendre dans un point de déréglement de cœur et d'esprit où il sera reconnoissable; mais la mode presse, il est dévot.

Celui qui a pénétré la cour connoît ce que c'est que vertu et ce que c'est que dévotion 3, et il ne peut plus s'y tromper.

Négliger vêpres comme une chose antique et

hors de mode, garder sa place soi-même pour le salut, savoir les êtres de la chapelle, connoître le flanc, savoir où l'on est vu et où l'on n'est pas vu; rêver dans l'église à Dieu et à ses affaires, y recevoir des visites, y donner des ordres et des commissions, y attendre les réponses; avoir un directeur mieux écouté que l'évangile; tirer toute sa sainteté et tout son relief de la réputation de son directeur; dédaigner ceux dont le directeur a moins de vogue, et convenir à peine de leur salut; n'aimer de la parole de Dieu que ce qui s'en prêche chez soi ou par son directeur, préférer sa messe aux autres messes, et les sacrements donnés de sa main à ceux qui ont de moins cette circonstance; ne se repaître que de livres de spiritualité, comme s'il n'y avoit ni évangiles, ni épîtres des apôtres, ni morale des pères; lire ou parler un jargon inconnu aux premiers siècles; circonstancier à confesse les défauts d'autrui, y pallier les siens, s'accuser de ses souffrances, de sa patience, dire comme un péché son peu de progrès dans l'héroïsme; être en liaison secrète avec de certaines gens contre certains autres; n'estimer que soi et sa cabale, avoir pour suspecte la vertu même; goûter, savourer la prospérité et la faveur, n'en vouloir que pour soi; ne point aider au mérite; faire servir la piété à son ambition; aller à son salut par le chemin de la fortune et des dignités : c'est du moins jusqu'à ce jour le plus bel effort de la dévotion du temps.

[ocr errors]

Un dévot 'est celui qui, sous un roi athée, seroit athée.

Les dévots ne connoissent de crimes que l'in continence, parlons plus précisément, que le bruit ou les dehors de l'incontinence : si Phérécide passe pour être guéri des femmes, ou Phérénice pour être fidèle à son mari, ce leur est assez : laissez-les jouer un jeu ruineux, faire perdre leurs créanciers, se réjouir du malheur d'autrui et en profiter, idolâtrer les grands, mépriser les petits, s'enivrer de leur propre mérite, sécher d'envie, mentir, médire, cabaler, nuire, c'est leur état : voulez-vous qu'ils empiètent sur celui des gens de bien, qui avec les vices cachés fuient encore l'orgueil et l'injustice?

Quand un courtisan 2 sera humble, guéri du faste et de l'ambition, qu'il n'établira point sa fortune sur la ruine de ses concurrents, qu'il sera équitable, soulagera ses vassaux, paicra ses créanciers, qu'il ne sera ni fourbe ni médisant, qu'il renoncera aux grands repas et aux amours illégitimes, qu'il priera autrement que des lèvres, et même hors de la présence du prince : quand d'ailleurs il ne sera point d'un aboid farouche et difficile, qu'il n'aura point le visage austère et la mine triste, qu'il ne sera point paresseux et contemplatif, qu'il saura rendre, par une scrupuleuse attention, divers emplois trèscompatibles, qu'il pourra et qu'il voudra même tourner son esprit et ses soins aux grandes et laborieuses affaires, à celles sur-tout d'une suite la plus étendue pour les peuples et pour tout l'état quand son caractère me fera craindre de le nommer en cet

endroit, et que sa modestie l'empêchera, si je ne le

« PreviousContinue »