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C'est un excès de confiance dans les parents d'es-pérer tout de la bonne éducation de leurs enfants, et une grande erreur de n'en attendre rien et de la négliger.

Quand il seroit vrai, ce que plusieurs disent, que l'éducation ne donne point à l'homme un autre cœur ni une autre complexion, qu'elle ne change rien dans son fond, et ne touche qu'aux superficies, je ne laisserois pas de dire qu'elle ne lui est pas

inutile.

Il n'y a que de l'avantage pour celui qui parle peu, la présomption est qu'il a de l'esprit; et s'il est vrai qu'il n'en manque pas, la présomption est qu'il l'a excellent.

Ne songer qu'à soi et au présent, source d'erreur dans la politique.

Le plus grand malheur après celui d'être con, vaincu d'un crime, est souvent d'avoir eu à s'en justifier. Tels arrêts nous déchargent et nous renvoient absous, qui sont infirmés par la voix du peuple.

Un homme est fidèle à de certaines pratiques de religion, on le voit s'en acquitter avec exactitude; personne ne le loue ni ne le désapprouve, on n'y pense pas : tel autre y revient après les avoir négligées dix années entières, on se récrie, on l'exalte, cela est libre; moi je le blâme d'un si long oubli de ses devoirs, et je le trouve heureux d'y être

rentré.

Le flatteur n'a pas assez bonne opinion de sor ni des autres.

Tels sont oubliés dans la distribution des graces, 'et font dire d'eux, pourquoi les oublier? qui, si l'on s'en étoit souvenu, auroient fait dire, pourquoi 's'en souvenir? D'où vient cette contrariété? Est-ce du caractère de ces personnes, ou de l'incertitude 'de nos jugements, ou même de tous les deux?

L'on dit communément : Après un tel, qui sera chancelier? qui sera primat des Gaules? qui sera pape? On va plus loin : chacun, selon ses souhaits ou son caprice, fait sa promotion, qui est souvent de gens plus vieux et plus caducs que celui qui est en place; et comme il n'y a pas de raison qu'une dignité tue celui qui s'en trouve revêtu, qu'elle sert au contraire à le rajeunir, et à donner au corps et à l'esprit de nouvelles ressources, ce n'est pas un 'événement fort rare à un titulaire d'enterrer son successeur.

La disgrace éteint les haînes et les jalousies : celui-là peut bien faire, qui ne nous aigrit plus par une grande faveur : il n'y a aucun mérite, il n'y a 'sorte de vertus qu'on ne lui pardonne : il seroit un héros impunément.

Rien n'est bien d'un homme disgracié : vertus, mérite, tout est dédaigné, ou mal expliqué, ou imputé à vice qu'il ait un grand cœur, qu'il ne craigne ni le fer ni le feu, qu'il aille d'aussi bonne grace à l'ennemi que Bayard et Montrevel 1; c'est un bravache, on en plaisante; il n'a plus de quoi être un héros.

Je me contredis, il est vrai : accusez-en les

hommes, dont je ne fais que rapporter les jugements; je ne dis pas différents hommes, je dis les mêmes, qui jugent si différemment.

Il ne faut pas vingt années accomplies pour voir changer les hommes d'opinion sur les choses les plus sérieuses, comme sur celles qui leur ont par les plus sûres et les plus vraies. Je ne hasarderai pas d'avancer que le feu en soi, et indépendamment de nos sensations, n'a aucune chaleur, c'est-à-dire, rien de semblable à ce que nous éprouvons en nousmêmes à son approche, de peur que quelque jour il ne devienne aussi chaud qu'il a jamais été. J'assurerai aussi peu qu'une ligne droite tombant sur une autre ligne droite fait deux angles droits, ou égaux à deux droits, de peur que les hommes venant à y découvrir quelque chose de plus ou de moins, je ne sois raillé de ma proposition. Ainsi,dans un autre genre, je dirai à peine avec toute la France, Vauban est infaillible, on n'en appelle point : qui me garantiroit que dans peu de temps on n'insinuera pas que même sur le siége, qui est son fort et où il décide souverainement, il erre quelquefois, sujet aux fautes comme Antiphile?

Si vous en croyez des personnes aigries l'une contre l'autre, et que la passion domine, l'homme 'docte est un savantasse, le magistrat un bourgeois ou un praticien, le financier un maltôtier, et le gentilhomme un gentillâtre; mais il est étrange que de si mauvais noms, que la colère et la haine ont su inventer, deviennent familiers, et que

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dédain, tout froid et tout paisible qu'il est, ose s'en

servir.

Vous vous agitez, vous vous donnez un grand mouvement, sur-tout lorsque les ennemis commencent à fuir, et que la victoire n'est plus douteuse, ou devant une ville après qu'elle a capitulé; vous aimez dans un combat ou pendant un siége à paroître en cent endroits pour n'être nulle part, à prévenir les ordres du général de peur de les suivre, et à chercher les occasions plutôt que de les attendre et les recevoir votre valeur seroit-elle fausse?

:

Faites garder aux hommes quelque poste où ils puissent être tués, et où néanmoins ils ne soient pas tués ils aiment l'honneur et la vie.

:

A voir comme les hommes aiment la vie, pourroit-on soupçonner qu'ils aimassent quelque autre chose plus que la vie, et que la gloire qu'ils préfèrent à la vie ne fût souvent qu'une certaine opinion d'eux-mêmes établie dans l'esprit de mille gens où qu'ils ne connoissent point ou qu'ils n'estiment point?

Ceux qui 1, ni guerriers ni courtisans, vont à la guerre et suivent la cour, qui ne font pas un siége, mais qui y assistent, ont bientôt épuisé leur curiosité sur une place de guerre, quelque surprenante qu'elle soit, sur la tranchée, sur l'effet des bombes et du canon, sur les coups de main, comme sur l'ordre et le succès d'une attaque qu'ils entrevoient: la résistance continue, les plaies surviennent, les fatigues croissent, on plonge dans la fange, on a à

combattre les saisons et l'ennemi, on peut être forcé dans ses lignes, enfermé entre une ville et une armée quelles extrémités! on perd courage, on murmure: est-ce un si grand inconvénient que de lever un siége? le salut de l'état dépend il d'une citadelle de plus ou de moins? ne faut-il pas, ajoutent ils, fléchir sous les ordres du ciel qui semble se déclarer contre nous, et remettre la partie à un autre temps? Alors ils ne comprennent plus la fermeté, et, s'ils l'osoient dire, l'opiniâtreté du général qui se roidit contre les obstacles, qui s'anime par la difficulté de l'entreprise, qui veille la nuit et s'expose le jour pour la conduire à sa fin. A-t-on capitulé, ces hommes si découragés relèvent l'im portance de cette conquête, en prédisent les suites, exagèrent la nécessité qu'il y avoit de la faire, le péril et la honte qui suivoient de s'en désister, prouvent que l'armée qui nous couvroit des ennemis étoit invincible: ils reviennent avec la cour, passent par les villes et bourgades, fiers d'être regardés de la bourgeoisie, qui est aux fenêtres, comme ceux mêmes qui ont pris la place; ils en triomphent par les chemins, ils se croient braves: revenus chez eux, ils vous étourdissent de flancs, de redans, de ravelins, de fausse-braie, de courtines et de chemin couvert; ils rendent compte des endroits où l'envie de voir les a portés, et où il ne laissoit pas d'y avoir du péril, des hasards qu'ils ont courus à leur retour d'être pris ou tués par l'ennemi : ils taisent seulement qu'ils ont eu peur.

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