Page images
PDF
EPUB

DEUXIÈME PARTIE

I

1

comme un arbre tournant

Raymond ne revit mademoiselle de l'Étang que cinq années plus tard. - Pour Raymond la vie de Paris, ce fougueux engrenage, qui, lorsqu'on en passe trop près, prend une période de temps flottante et dévore une moitié de jeunesse, emporte dans son tourbillon une moitié de corps fatalement engagée par un pan de vêtement, du côté de mademoiselle de l'Étang, des malheurs de famille qui semblaient se relever pour intercepter, entre le monde et elle, toute communication

[merged small][ocr errors]

les avaient violem

[ocr errors]

Autrefois, elle fai

C'était alors pour

[ocr errors]

Raymond le choc en retour d'une joie qui ne l'atteignait plus directement. Puis, quelle plus orgueilleuse consécration de l'amour, qu'un bonheur de province, qui, à Paris, parmi les félicités à outrance, reste encore la chose la plus heureuse. Mademoiselle de l'Étang et tous ces visages de femme, que la vogue répand comme des effigies, — pouvaient se regarder sans baisser les yeux; ce n'était donc pas une réputation de clocher. Les supériorités vraies renvoient boiteux, d'un coup de fouet, ces vieux petits bons mots galeux, roquets de la drôlerie, qui courent après la province dès qu'ils la voient arriver. Elles ne souffrent pas cet abus qui consiste à accorder indulgence plénière pour l'ineptie à quiconque est né rue Coquenard ou rue Copeau, et à lancer l'excommunication sur tous ceux qui naissent hors du mur d'enceinte. D'un coup d'œil, mademoiselle de l'Étang se faisait sa place. Raymond aimait à passer devant l'hôtel où Paule descendait d'habitude; ce logis banal n'avait pas la physionomie glacée de ces mille maisons qui vous voient passer, et dont l'on sent que nul Sesame ne vous procurera l'entrée.

Raymond n'avait pas oublié mademoiselle de l'Étang;

une sorte d'inertie morale était venue engourdir à la longue une souffrance vivace. Il avait abandonné son amour comme un musicien délaisse un instrument adoré. Ce labeur de fourmi de la désuétude, d'un secouement énergique, devait brusquement cesser, Par

un miracle que Raymond était presque forcé de croire opéré en sa faveur, le mariage, confirmé par toutes les juridictions de l'opinion, et, après d'énormes lenteurs, devenu irrévocable, avait été cassé tout d'un coup: pourtant c'était une de ces bonnes fortunes d'alliance, qui rendent ridicule une pensée de rivalité; le nom était répété par huit siècles, comme, dans une succession de montagnes, un coup de fusil par huit échos; la fortune aurait fait une pluie d'or pendant quarantehuit heures, avait fini là.

le bonheur de la maison de l'Étang

Raymond ne pouvait donc se défendre d'un reste d'espérance.

La famille de l'Étang se trouvait alors appelée pendant quelque temps pour réglement d'intérêts dans une petite ville. - Raymond arriva rapidement au bas de la rue qu'habitait Paule, puis il en remonta lentement le pavé sonore et clair où chaque pas faisait surgir un écho; rue de province, muette et déserte, à laquelle le zigzag du ruisseau et quelques allées et venues d'oiseaux prêtent un peu de vie. Quand Raymond sonna, la vibration du cuivre retentit en luimême ; par un double mouvement d'une seconde, il eut à la fois peur et désir de ne plus trouver mademoiselle de l'Étang jolie. Paris, plus ouvert, l'avait gâté en admiration; puis de vingt à vingt-cinq ans, surtout pour une femme, deux années comptent simple ou une année compte double;

[ocr errors]

c'est alors

qu'elles gagnent ou perdent sur l'avenir, Peut-être

allait-il se dire, avec cette honte d'enfant d'une action faussement virile: - Comment! j'ai pu l'aimer ? — J'ai joué à l'amour.

Il se précipita dans l'escalier, avec cet aveuglement que cause un danger à bout portant. La porte du salon s'ouvrit. I osa à peine regarder : La première sensation fut douloureuse; dans ces vingt-cinq ans, il y avait déjà quelque chose de la vieille fille; la grâce était roidie, les petits sourires n'allaient plus aux lèvres; le visage se pénétrait de ce ton rougeâtre qui est le coucher de soleil de la beauté, comme l'incarnat en est l'aurore. — La personne de mademoiselle de l'Étang faisait souffrir par quelque chose de froidi, de comprimé, d'alangui, avec un parfum disparu, comme une rose blanche que la dernière nuit d'avant la gelée laisse en bouton.

[ocr errors]

Cependant à mesure que Raymond la regardait mieux, il comprenait de nouveau pourquoi ce visage de femme lui avait été si cher; il jugeait mademoiselle de l'Étang comme on juge une page de soi longtemps après l'avoir écrite, et il retrouvait l'inspiration de son amour. ya en nous un être intérieur qui tombe à mesure comme une chair morte. Il avait eu dans la nuit de la jeunesse un de ces éclairs de bon sens qui sont la couleur du jour futur.

Petit à petit les yeux de mademoiselle de l'Etang corrigeaient sa physionomie; un rien, la surprise de la présence de Raymond les avait ranimés; le soir elle

« PreviousContinue »