LES MOYENS JUSTIFIENT LA FIN PREMIER TABLEAU Appartement de garçon. Rue de Vintimille. MAXENCE, CONSTANTIN. MAXENCE, jetant un cigare et parcourant une épipraphe. « Quand l'homme croit être son maître, il est encore l'esclave de ses passions. » Des passions! (I hausse les épaules et se lève.) — Quel anachronisme! Est-ce que nous avons des passions? - Des habitudes, tout au plus. (Il se promène; on entend chanter dans un cabinet voisin. Il s'arrête pour écouter; la voix s'enhardissant peu à peu : Ses grands sourcils noirs sont à moi!) - Ah! voilà monsieur Constantin qui recommence! Où a-t-il mis ma cravate grise? C'est un garçon très-honnête, mais il abuse de sa probité, depuis quelque temps surtout. Je ne la trouverai pas cette cravate! (Avec explosion, devant une armoire à glace.) — C'est absurde! Quand vous êtes beaucoup moins laid, un peu moins bête que les onze douzièmes de vos contemporains, que vous avez vingt-cinq ans, une santé très-obéissante, un tailleur très-humble, un crédit populaire, un nom passable; enfin tout ce qu'il faut pour vous aventurer dans quelque belle extravagance, et qu'avec tout cela vous restez le plus terne et le plus plat des égoïstes, n'aimant quoi et qui que ce soit à peine votre chien! il y a des gens qui vous disent avec un sourire trèsfat: (( Vous êtes bien heureux, allez ! Ces mêmes messieurs, un quart d'heure après, baisent avec adoration, chacun de leur côté, une petite rosette de cheveux, appartenant à la même tête, - pleurent trois lettres par jour, se désolent, rient, font des chutes, remontent au huitième ciel, et ne s'appartiennent plus! Expropriation charmante! (Crescendo dans le cabinet Qu'elle est superbe en son désordre!) Mais au moins ils ne s'aperçoivent pas de la vie; moi, en m'amusant je m'ennuie! Paris m'est odieux! Mes amis! Je les sais par cœur et je les réciterais! — Les gens mariés me plaisantent; on me dit souvent : « Ah! c'est beau, à votre âge, de savoir se commander! » - (La voix tonnant: La marquesa d'Amaëgui!) Quel fléau que les domestiques lyriques! (Ouvrant la porte.) Constantin est-ce fini, Constantin? CONSTANTIN. Monsieur appelle ? MAXENCE. Où avez-vous mis cette cravate qu'on m'a apportée hier? CONSTANTIN. Si monsieur voulait que je Ah! bien, monsieur. sorte une heure ou deux ? MAXENCE. J'ai besoin de vous; qu'est-ce que vous avez à faire? CONSTANTIN, rougissant. Monsieur est trop discret sur le chapitre des dames pour m'en vouloir si... l'empêchait de me répondre : « Est-ce que je ne suis pas un homme comme vous? » Allez, Con stantin. CONSTANTIN Voilà la cravate de monsieur. (Il sort.) MAXENCE. Où diable va-t-il? Il a un air tout mystérieux. Je serais assez curieux de savoir - (Il entre dans le cabinet où couche Constantin et ouvre un tiroir.) Un ruban! Ah! mais, c'est singulier, voilà un ruban délicieux. (Il le garde.) Une touffe de réséda desséchée, cela a bien huit jours. - Voilà pourquoi la semaine a été si mauvaise pour moi! Ce garçon-là risque sa cervelle! (Il fouille.) Une lettre commencée. (Il hésite.) Au fait, nos domestiques lisent bien les nôtres quand elles sont finies! «Ma grande bien-aimée, >> Voilà huit jours que je ne ferme plus l'œil; plus » je me couche de bonne heure, plus je pense à toi; » je pense à toi en faisant la chambre de monsieur. » Cela se voit. « A toi en battant ses habits; à toi » partout. Je ne mange plus qu'une fois de tous les » plats; j'ai toujours des coliques, mais je suis bien » heureux ! Ne me repousse pas, ange chéri, car ma » vie ne serait qu'un trépas... » Il est heureux! Comment ce nigaud-là avec ses cheveux jaunes et ses yeux bleu de billard, il aime et il est aimé? Et moi, son maître, à quoi passé-je ma jeunesse? La MaisonDorée, gargote de l'estomac; les coulisses, gargote du cœur; le lansquenet, gargote de la bourse, et pour varier, le baccarat, la baignoire d'orchestre et le Café après sa queue. Anglais c'est aussi spirituel qu'un chien qui court Qu'est-ce que nous ferons à soixante ans? si nous avons jamais soixante ans! (Il rentre chez lui.) — Ah! j'ai le cœur plein d'amertume; déborde, mon cœur! (Il écrit.) << Madame, >>> La plus solide preuve d'amour que l'on puisse » donner à une femme, c'est de ne pas l'avertir qu'on >> l'aime. Cette preuve, madame, voilà trois mois que je >> vous la donne; je vous ai suivie, épiée, admirée, >> vous n'en avez rien su. Après quatre-vingt-dix jours » d'abnégation, un quart d'heure d'égoïsme doit bien » être permis. Pardonnez-moi, madame, parce que j'ai » peu péché, et songeant que pour les choses de tous » les jours le langage est le même que pour les grands » événements, ne regardez pas comme une banalité >> passionnée cette proposition si riche d'idées : Je vous » aime! — la vraie passion a de l'éloquence sans le sa>> voir; je me confie, madame, à la sincérité de la >> mienne. Un mot de vous, qui me délivre des plus ›› respectueux remords. >> MAXENCE D'AGNÈS. 3 bis, rue de Vintimille. » (Respirant.) Ah! (Il la relit.) — C'est décent. Un peu léger de fond; mais cela se pèse dans la balance de l'amour-propre. A qui vais-je envoyer ce bulletin. (Avec étonnement.) Personne? - (Avec -- |