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LA PLUIE

Avril.

Huit heures se détachent lentement de quelque vieux clocher, nid de pierres enfoui dans le haut feuillage des arbres.

Le timbre de l'heure vibre, soupire et meurt comme une plainte que nul n'écoute.

La nuit est rêveuse, les étoiles, pêle-mêle accourues, les unes en grande toilette, les autres en déshabillé, encombrent le ciel.

Une brume transparente retombe en pluie fine sur la terre toute chaude des premières ardeurs du soleil. Chaque ligne de pluie semble un rayon qui descend d'un point lumineux. On dirait du ciel une immense

pomme d'arrosoir trouée d'étoiles, aux fleurs et aux feuilles.

qui verse à boire

La marquise de Fleuresle, à demi couchée près d'une fenêtre qui s'ouvre sur la campagne, un livre sur les genoux, et le cœur suspendu entre terre et ciel, regarde la pluie tomber.

Elle éclate d'abord en larges plaques sur le sol durci, puis s'infiltre peu à peu et disparaît.

Abrité sous l'auvent des feuilles, l'oiseau jette une note, et traverse plus vite la rue qui le sépare de son nid.

Dans le silence de tout le reste la pluie tombe avec un bruit si doux et si triste, que la marquise de Fleuresle sent en elle quelque chose de doux et de triste qui la pénètre.

C'est la pluie fine de l'amour que Dieu envoie sur ce cœur longtemps aride.

Elle éclate d'abord en larges plaques sur le sol durci, puis s'infiltre peu à peu et disparaît.

En même temps, la pluie inclinant goutte à goutte chaque feuille et chaque fleur, en fait sortir une senteur inconnue qui monte dans l'air.

La pluie fine de l'amour fait sortir de son cœur une senteur nouvelle.

Heureux qui ce soir-là baisera sur sa bouche le parfum de son haleine!

On voit apparaître à travers l'ombre, qui les efface peu à peu, son blanc profil et sa main blanche.

. Une

larme du ciel, une larme de ses yeux tombent sur cette main brûlante et se sèchent aussitôt.

Ces deux larmes sont embaumées de son cœur et de l'air tout entiers.

Et la pluie tombe toujours avec un bruit si triste et si doux que la marquise de Fleuresle sent en elle quelque chose de triste et de doux qui la pénètre,

... Cependant le marquis Hector de Fleuresle se frotte les mains en répétant :

« Voilà une pluie qui va faire joliment du bien à la terre!

II

Λού

Une plainte infinie s'élève de toutes choses.

Le vent aboie aux portes bien closes qui lui refusent l'hospitalité, et s'engouffre dans les cheminées avec des grognements sourds.

Des tourbillons de nuages courent dans le ciel menaçants, rapides et démesurés, tout s'ébranle, et les mille bruits de la terre se confondent dans la vaste voix de la tourmente.

Çà et là on entend quelque cri aigu et sinistre d'oiseau effrayé.

Puis l'horizon se resserre, le ciel s'ouvre et vomit de fièvreuses ondées,

L'eau pétille et rebondit sur le pavé clair en mille paillettes, ainsi qu'un morceau de cristal jeté sur une pierre.

Dans la vapeur de l'eau tout s'enfuit, tout se voile, les montagnes et les villes : il semble que le regard sombre dans une mer, ou qu'une mer engloutisse l'espace; on ne distingue plus que les innombrables raies de la pluie qui fume et qui siffle.

Puis, comme si à quelque couche de l'atmosphère les bataillons de noires vapeurs avaient oublié de se masser, le soleil reparaît dans une oasis d'azur, éclair d'un sourire qui illumine tous les pleurs.

Mais bientôt on voit l'ombre accourir à pas de géant et reconquérir la place dorée par le soleil, et le flot tumultueux des nuages se reflète sur la terre redevenue pâle.

Et le grand vent-proscrit de toutes parts, et devant qui tremblent les vieilles maisons et s'inclinent les vieux chênes reprend sa voix formidable, et d'un souffle puissant refoule dans le sol l'eau des chemins.

La marquise de Fleuresle, près du feu, qui tres

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saille, penche la tête au bruit de l'ouragan.

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Car la tempête aussi est dans son cœur.

Elle est là, abîmée dans la rêverie, avec son visage

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