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mépris pour mépris, prétendait ne relever que de luimême et n'agir qu'à sa guise.

Au-dessus de ces rivalités, les contenant et les faisant servir au seul bien de la République, planait cette admirable institution, la plus belle et la plus philosophique peut-être de toutes celles que créa la Révolution, - la représentation nationale à l'armée, c'est-à-dire la patrie incarnée dans ses mandataires, présente au combat, drapeau vivant de ses défen

seurs.

Six commissaires avaient été envoyés par la Convention à l'armée de Toulon Robespierre jeune, Ricord, Gasparin, Fréron, Barras et Salicetti.

Augustin Robespierre était l'élève et le portrait de son illustre frère comme lui droit, franc, incorruptible, inaccessible aux sentiments bas ou personnels, il avait dans le courage plus d'élan, de spontanéité et de jeunesse que Maximilien. C'était une élégante nature de soldat républicain: on l'avait déjà vu, à l'armée des Alpes, déployer, en tête des régiments, son ardeur héroïque. A Toulon, il était l'àme véritable du siége, et correspondait avec le Comité de salut public.

Ricord, caractère honnête et rigide, type un peu effacé au milieu des terribles exagérations de son milieu, devait poursuivre après Robespierre, après thermidor, après brumaire, jusqu'en 1801, la revendication infatigable des droits du peuple, personnifié dans la Montagne, et aller mourir, vaincu et oublié, dans un exil inconnu.

Gasparin avait, le premier, ouvertement accusé

la Gironde; il avait activement concouru à la chute de ce parti de généreux étourdis. Il mourut pendant le siége, à Orange'.

Fréron, fils du calomniateur des encyclopédistes, digne héritier des instincts paternels, âme basse et lâche, se montrait alors le plus forcené des jacobins, parce que le pouvoir était à eux; après avoir, par ses ignobles et inutiles massacres, déshonoré la victoire de la Montagne à Toulon, il deviendra, parmi les thermidoriens, l'un des plus frénétiques,

De même, son collègue Barras, le ci-devant vicomte Paul-François-Nicolas de Barras 2, avait été en 1789 du « parti de la cour»; il est en 1793 de la bande des Carrier, des Fouché et des Fréron; il sera en 1794 de celle de Tallien. Homme vil, âme vénale, tempérament de boucher provençal et de souteneur de filles, qui semble avoir pris à tâche d'exagérer toujours les décrets de la Montagne, pour la pousser plus vite dans la réaction, dont il sera l'un des sanglants coryphées.

Salicetti venait d'être délégué à l'armée de Toulon, à son retour de sa mission en Corse. Il avait

1 Buonaparte, après la pourpre, a prétendu que Gasparin avait été son premier protecteur. La raison principale de cette assertion, c'est que Gasparin était mort. Les faits la démentent de tous points. C'est seulement dans le mois de septembre 1793 que Buonaparte eut un rôle dans le siége, et put être distingué, comme on dit. Or, Gasparin mourut à Orange le 7 novembre, et quand il mourut il avait quitté l'armée depuis deux mois. Il n'est même pas sûr que Buonaparte ait jamais vu le représentant. Cela ne l'empêcha pas, d'ailleurs, de corroborer sa fable en comblant les fils de Gasparin de places, de pensions, et plus tard de legs.

On dit en Provence « vieux comme la race des Barras. >>

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retenu auprès de lui, à sa sollicitation, Nabulione Buonaparte, envoyé à l'armée d'Italie. Pour Buonaparte, il y avait tout avantage à rester auprès de ce puissant protecteur, plutôt qu'à se rendre à un poste où il ne connaissait personne. De plus, il était officier d'artillerie, et les officiers de cette arme savante, qui nécessite un apprentissage spécial, ayant presque tous émigré, étaient rares encore dans les armées de la République; or, il s'agissait d'un siége, c'est-à-dire du véritable terrain d'un artilleur.

L'armée de Toulon était si pauvre en canons, que Dommartin, commandant en chef de l'artillerie du siége, ayant été grièvement blessé à Ollioules, Buonaparte, simple chef de bataillon, et encore de la façon de Salicetti, se trouva pendant quelque temps l'officier du plus haut grade dans cette arme, et, par suite, le chef provisoire du service.

La blessure de Dommartin, telle fut la base de cette étonnante fortune.

Il faut dire qu'il savait tirer parti des chances favorables. L'homme tout entier se révèle, dès lors, dans le choix de ses relations.

Présenté par Salicetti à ses collègues de la Convention, c'est surtout auprès de Barras et de Fréron qu'il se faufila'. Barras vit en lui une créa

1 Voir, au sujet du siége de Toulon, le chef-d'œuvre de naturel, de grâce et de simplicité qui porte ce titre Mémoires de Charlotte Robespierre. Charlotte avait suivi son frère Augustin à l'armée de Toulon. Elle se trouvait à Nice avec madame Ricord, une petite parisienne intrigante et coquette.

A travers les réticences effarouchées du récit de Charlotte, on

ture à s'adjoindre. Il en disait un jour grand bien à Salicetti. Celui-ci, tout en poussant son protégé parce qu'il était Corse et parce qu'il avait donné des gages à la Montagne, n'avait pas grande confiance en lui: « Il est faux comme un jeton! » dit-il à Barras, qui ne vit sans doute dans ce jugement qu'un motif de plus de s'attacher l'ambitieux officier.

Les premiers mois du siége se passèrent en observation réciproque. Les assiégés complétaient leurs ouvrages; les assiégeants cherchaient à tirer tout le parti possible de leurs faibles ressources.

Une première batterie fut élevée par l'ordre d Carteaux', sur la hauteur des Arènes, à gauch e de la route d'Ollioules. Elle reçut le nom de batterie de la Convention.

C'est dans l'établissement de ces travaux que Buonaparte étala les talents spéciaux que les panégyristes déclarent volontiers sublimes. C'est peu connaître la matière. La science de l'artilleur est rigoureuse, exacte et positive; il n'y a pas deux manières d'établir une batterie ou de pointer une pièce de canon d'une portée connue, avec une charge à vnnée. Buonaparte, en faisant les deux hoses selon les règles de l'art, montrait qu'il savait son métier, rien

entrevoit des relations intimes entre Augustin Robespierre et madame Ricord. Buonaparte paraît aussi avoir eu des intentions de ce côté. Mais pour lui la galanterie cédait toujours le pas à l'intérêt il s'effaça, avec une prudence bien triste à son âge, devant le conventionnel. Les fétichistes ont beau jeu pour invoquer l'exemple de Scipion.

1 Mémoires de Victor Perrin, duc de Bellune. Tome I.

de plus. S'il s'en était montré incapable, il aurait mérité qu'on le renvoyât à l'école où il avait été élevé aux frais de l'État pour apprendre ce métier.

Il est juste d'ajouter qu'il paraît s'être occupé du détail de ses fonctions avec une activité particulière. Mais pour cela, point n'est besoin de génie : un peu d'ambition suffit. Il y a, dans tous les siéges, mille lieutenants qui en font autant pour obtenir le droit de porter deux épaulettes au lieu d'une'.

Au reste les travaux avançaient lentement. Dans les rares escarmouches qui en coupaient la monotonie, il n'y eut, de part ni d'autre, d'avantage marqué.

Carteaux s'impatientait. Il voulait s'élancer sur les forts à la tête de ses ardents sans-culottes, et emporter d'assaut les positions. Augustin Robespierre ne jugeait pas la chose praticable, en raison de l'infériorité du nombre des assiégeants, et il confenait ces généreux empressements.

1 Les mêmes observations s'appliquent aux lettres de Buonaparte, datées du siége de Toulon, et qui inaugurent la publication officielle de sa Correspondance. Ces lettres sont des missives fort ordinaires, dans lesquelles il demande à qui de droit des canons, de la poudre, des boulets, etc. Et les panégyristes de s'écrier Quel homme! quel style! quelle concision! quelle netteté! etc.... De bonne foi, un officier ayant à demander de la poudre à ses chefs, peut-il le faire autrement qu'en exposant purement et simplement ce qui lui manque? Il ne peut évidemment pas s'amuser à parler de ses plaisirs, du temps qu'il fait ou de la nouvelle du jour. Il faut être Paul-Louis Courier pour mettre de l'esprit dans une lettre à son général.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans les lettres de Buonaparte, ce sont les fautes d'orthographe.

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