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Telle était la terreur générale, que quatre députés exclus du Corps législatif, par la loi du 19, Portes, Joubert, Bergasse-Laziroule et Doche-Delisle eurent la lâcheté de renier leurs protestations et de se rallier au coup d'Etat triomphant.

Ils donnèrent pour excuse que le 19 brumaire ils << ignoraient ce qu'on allait faire. »

Il faut citer la palinodie de Bergasse-Laziroule : « Je suis disposé, écrivit-il dans tous les journaux, á savoir quelque gré à ceux qui ont provoqué mon expulsion de la place que j'occupais dans une disposition de pouvoirs organisée avec si peu de prévoyance et de sagacité que tout, excepté la liberté civile et politique et le bonheur du peuple, pouvait être le résultat de leur combinaison. >>

Mais pour quatre malheureux, fourvoyés dans le parti patriote et qui reprirent leur véritable place en se ralliant au crime victorieux, les historiens de la réaction ont-ils bien raison de dire qu'en quelques jours les jacobins eurent fait leur soumission?

Firent-ils leur soumission, tous ces hommes destinés à mourir aux Séchelles ou à végéter à Oléron? Firent-ils leur soumission, tous ceux que pendant quinze ans la police impériale traqua comme bêtes fauves, fusilla, déporta, emprisonna sans jugement? Firent-ils leur soumission, Malet et ses héroïques complices?

Firent-ils leur soumission, tous ces honnêtes gens qui, se voyant vaincus sans appel, et la France avec eux, se retirèrent dans l'ombre, s'abîmèrent

dans leurs souvenirs et portèrent silencieusement en eux la conscience de la nation, petite lueur tremblante et faible?

Ah! il est temps de le dire, et l'on peut le vérifier: on vit de tout dans les antichambres de l'Empire; on y vit des rois et des fils des croisés; on y vit des Vendéens et des gens de thermidor; mais on n'y vit guère de patriotes.

Pour cinq, pour dix qui glissèrent sur la pente et cédèrent aux séductions, combien justifièrent ces mélancoliques et fières paroles du Journal des Hommes libres, répondant à une feuille qui prétendait livrer les patriotes « à leurs remords » et au « mépris public: »

Une opinion publique factice, née du concert de plumes vénales, a souvent traîné dans la boue, et l'histoire l'atteste, les noms les plus respectés, les plus éminentes vertus. Une faction ennemie de Colbert fit outrager ses restes et vint à bout de ternir sa mémoire durant quelques années. Alors le mépris public n'était qu'une injustice publique alimentée par l'intrigue et qui dut tomber avec elle. L'opinion publique est, comme tout le reste, soumise à l'empire des circonstances. Nul homme sage ne jugera par elle les hommes et les événements. L'homme de bien saura s'élever, dans sa retraite, au-dessus des mépris injustes et affectés, et, n'ayant formé de vœux que pour le bonheur de ses concitoyens, les remords ne viendront point le tourmenter dans l'asile, quel qu'il soit, où il lui sera permis de

reposer.

CHAPITRE VI

LA CURÉE

<< Hier 20 brumaire, disent tous les journaux, Buonaparte a couché au Luxembourg. Il y occupe l'appartement de Barras. »

Tout n'est-il pas dans ces mots: a couché au Luxembourg?

C'est clair, c'est ce qui presse, et c'est pour cela que se font les coups d'État. Voudrait-on que ce fût pour la gloire?

A cette heure donc, la curée commence.

A chacun selon ses œuvres.

A Buonaparte, pour avoir déserté son armée, abusé Gohier par ses caresses, flatté Sieyès qu'il méprise, joué les Anciens, violé les Cinq-Cents, cinq cent mille francs par an, un million de fonds secrets, le palais du Luxembourg, demain les Tuileries.

A Sieyès, qui a tiré les marrons du feu pour Buonaparte, des remerciements ironiques, le domaine de Cosne, à titre de don national, et un fauteuil de sénateur.

A Roger-Ducos, grande utilité, fort premier rôle au besoin, les vingt-cinq mille francs du Sénat.

A Lebrun, bonne signature, la place de Sieyès et cent cinquante mille francs.

A Cambacérès, la pareille.

A Talleyrand, les relations extérieures et cent vingt mille francs.

A Lucien Buonaparte, l'intérieur et quatre-vingt mille francs.

A Gaudin, les finances et quatre-vingt mille francs.

A Fouché, la police et quatre-vingt mille francs. A Berthier, la guerre et quatre-vingt mille francs. A Boulay (de la Meurthe), à Roederer, à Gantheaume et à Brune, les présidences du Conseil d'Etat et trente-cinq mille francs.

A Crétet, la direction des travaux publics et trente-cinq mille francs.

A Joseph Buonaparte, à Marmont, à Lacuée, à Petiet, à Réal, à Regnault (de Saint-Jean d'Angély) et à Régnier, le Conseil d'Etat et vingt-cinq mille francs.

A Lannes et à Bessières, les commandements de la garde des consuls.

A Cabanis, Chasset, Cornet, Cornudet, DuboisDubais, Fargues, Garat, Herwyn, Lemercier, Lenoir-Laroche, Villetard, Vimar, Davaux, Lecouteux, etc., le Sénat et vingt-cinq mille francs...

A Arnould, Andrieux, Bara, Beauvais, Bouteville, Caillemer, Chabaud-Latour, Chassiron, Chazal, Chénier, Courtois, Daunou, Goupil-Prefeln, Gourlay, Guinard, Jard-Panvilliers, Laloy, Laussat, Malès, Mathieu, Sedillez, Thiessé et autres membres

des deux Commissions législatives,

le Tribunat

et quinze mille francs avec le logement au PalaisÉgalité.

Aux comparses, une nomination au nouveau Corps législatif, (qu'on évite à la Nation la peine de choisir), et dix mille francs.

Aux tièdes, l'exil des préfectures.

Quant aux spectateurs, je veux dire aux citoyens, ils ont le droit de venir protester par écrit, sur des registres ad hoc, contre la nouvelle Constitution.

Mais pour donner toute sécurité à la liberté des opinions, le Consulat a soin de faire brûler soigneusement ces registres.

Du reste, qui oserait repousser une si belle Constitution, celle qui invente, dix ans après 1789, l'inviolabilité des fonctionnaires?

Le général Lefebvre l'a dit, le brave soldat, en la lisant aux troupes :

<< Nous voilà revenus aux beaux jours de la Ré-volution! L'acceptation de la Constitution met fin à toutes les divisions. Il n'est que les factieux qui puissent la rejeter Jurons par nos baïonnettes de les exterminer ! »

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