Page images
PDF
EPUB

ARTINS ET SES TOMBEAUX

Notes sur les grottes et les abris sous roche

Par M. Ludovic GUIGNARD.

Mesdames, Messieurs,

Il y a deux mois environ, M. Isnard, notre président, nous demandait d'aller examiner, avec plusieurs de nos collègues, une intéressante trouvaille de tombeaux en pierre, effectuée sur le territoire de la commune d'Artins, vieux bourg, bien connu des archéologues par ses constructions antiques et les nombreux vestiges de tous genres, d'une antiquité reculée, qui y ont été découverts.

Artins est, pour nous, une vieille connaissance. Signalé dans le « Repertoire Archéologique de l'arrondissement de Vendôme », par notre vénérable doyen, M. G. Launay, notre collègue nous l'a montré traversé par une voie antique allant de Tours à Paris, passant le Loir sur un pont de pierre, qui subsista jusqu'en 1555.

Il nous décrit minutieusement l'église paroissiale de Saint-Pierre, le presbytère du XIe au XIIe siècle, l'ancien prieuré ou commanderie des Templiers, de la première moitié du XII. Sa notice est complète, et, cependant, nous fûmes assez heureux pour ajouter, dans ces derniers jours, à ces premiers documents pour l'histoire d'Artins une note non moins intéressante, que nous vous signalons immédiatement, avant de chercher à reconstituer la date approximative des sépultures.

XXIX

15

Au retour du congrès de la Société Française d'Archéologie, tenu à Brive-la-Gaillarde, sir John Herbert, délégué de la Royale Académie d'Angleterre, me fit l'honneur d'accepter pour deux jours l'hospitalité à Blois.

Désireux de connaître nos mobiliers funéraires, il me demanda s'il nous était possible de lui montrer quelques-unes de ces tombes si communes dans nos contrées, afin d'avoir un terme de comparaison entre la civilisation anglaise et celle de la France.

Je ne crus mieux faire que de l'emmener à Artins, où nous avons tout ce qu'il fallait pour l'éclairer.

Après une visite aux tombeaux, nous allâmes visiter la chapelle Saint-Pierre, ancienne église paroissiale, placée sur la rive droite du Loir, et, depuis peu, abandonnée au profit d'une autre construite, dans le lieu dit le « Plat-d'Etain. »>

En examinant les murs, nous aperçûmes quelques vestiges de fresques apparaissant dans un endroit délité par la pluie; car, hélas, il pleut dans le vieux temple chrétien, qui n'est pas encore sauvegardé par la loi sur les monuments historiques. Chaque jour, la rafale enlève un morceau des vitraux de ses verrières peintes, et bientôt nous verrons disparaitre, dans un coup de vent, celle qui représente le Père Eternel, la tiare en tête, avec banderoles et inscriptions; l'œuvre est déjà commencée, personne ne se soucie plus du sanctuaire converti aujourd'hui en grange, si ce n'est les habitants du hameau déshérité.

Attirés par les peintures voyantes encore humides, rendues plus criardes par la pluie du jour, nous fimes dresser une échelle le long des murs, et enlevames au couteau le badigeon grossier qui recouvrait en couche épaisse ces restes d'un autre temps.

Nous ne pouvons entrer dans des détails, car notre temps est compté; je vois déjà notre secrétaire me faire les gros yeux, les vingt minutes réglementaires s'avancent.

Il me suffira donc de vous dire, pour aujourd'hui du moins, que nous découvrîmes trois fresques ou plutôt trois motifs différents, représentant, le premier, la Flagellation du Christ, le second, la Communion chrétienne, le troisième, le Martyr de Saint Laurent sur son gril.

Les personnages sont aux deux tiers de la taille naturelle; l'exécution, tout en étant intéressante, indique la main d'un ouvrier nous paraissant appartenir à l'école du XIVe siècle.

Ceci dit, j'aborde l'ordre du jour, la question, difficile à résoudre, de l'âge des sépultures d'Artins, sur lesquelles vous nous avez demandé de faire un rapport.

Mesdames, Messieurs,

L'archéologie n'est pas toujours une science rieuse. Venir parler de tombeaux est un sujet profondément triste, et cependant, en archéologie, pour pouvoir reconstituer l'histoire du passé, nous sommes forcés de nous servir des renseignements, de quelques côtés qu'ils viennent. Malheureusement pour nous, les tombeaux, la plupart du temps, peuvent seuls nous fournir le degré de civilisation d'un peuple, ses mœurs, ses coutumes, on pourrait dire, en quelque sorte, sa vie journalière.

Dans certains cas, la tâche est facile, car le mobilier funéraire est abondant, et nous donne tout ce qu'il faut pour une reconstitution presque mathématique de ladite inhumation.

A Artins, rien de semblable.

Les tombes trouvées chez M. Chambry, à la Mardelle, il y a deux mois, ne nous ont donné aucun mobilier funéraire dans l'intérieur des cercueils. Les seules traces que nous avons pu rencontrer sont autour des tombeaux, et encore n'offrent-elles aucune particularité pouvant donner un éclaircissement sur ce qui nous intéresse. Les fragments de poterie ren

contrés ne sont pas en place; ils indiquent un mélange constant de débris, allant du IIe au IIIe siècle de l'ère chrétienne jusqu'à la période capétienne. Les tombeaux eux-mêmes, bien qu'en nombre assez considérable, dix-neuf, je crois, retrouvés jusqu'à ce jour, sont, volontiers, autant d'énigmes nouvelles à déchiffrer. Leur forme, en effet, varie, et leur mélange a de quoi dérouter les plus expérimentés dans la question.

Je ne vous parlerai pas de l'orientation; ici, elle est à peu près constante de l'est à l'ouest; je n'insiste pas sur ce point, avec d'autant plus de raison, que, à Verdes, où nous étions, il y a quelques mois, pour faire une expertise semblable, nous avons trouvé de telles variations, que nous craindrions de nous avancer trop en y attachant une importance relative.

Une chose nous a frappé particulièrement à Artins, c'est la quantité considérable de silex, offrant des apparences de taille, qui se trouvaient dans la terre avoisinant les tombeaux. La question des silex est grave: une école tend de nos jours à en faire remonter la taille à un nombre incalculable d'années; une autre école, et de celle-là j'en suis, veut, au contraire, voir, dans les différentes transformations de la taille du silex, les évolutions d'un travail humain, suffisamment appréciable, pour que l'on puisse lui attribuer, je ne dirai pas une chronologie exacte ni des dates approximatives, mais cependant une durée dont l'origine ne remonte pas plus haut que plusieurs milliers d'années, et dont la constatation officielle dans les textes peut être faite jusqu'au moment de la bataille d'Hastings, en 1066, époque où les guerriers se servaient encore, selon le dire de l'historien, d'armes de pierre.

J'eus, Mesdames et Messieurs, l'heureuse fortune, ces jours derniers, de voir à Brive-la-Gaillarde une collection des plus intéressantes pour la chronologie de notre histoire nationale. M. Massénat, l'intrépide

explorateur des grottes et des abris sous roches de la Corrèze, a réuni plusieurs milliers d'objets appartenant aux périodes Chéléenne, Moustérienne, Solutrenne, Magdalénienne, soit l'époque dite Paléolithique, et d'autres de l'époque Robenhausienne ou de la pierre polie.

En examinant ces magnifiques collections, j'ai été frappé de l'analogie qui existait entre certaines amulettes de ces hommes de l'âge de la pierre, et celles de peuples d'une civilisation plus avancée, appartenant aux races asiatiques.

En effet, dans les abris sous roches, M. Massénat a récolté des scarabées gravés sur os, des phallus de même matière, avec trous de suspensions ou anneaux; nous avons même vu, gravée et incisée pareillement, l'amulette fétiche des Gaulois, représentation grossière de l'œuf de serpent, de l'oursin, auxquels les Gaulois nos pères attachaient des vertus magiques.

En voyant ces derniers objets, ces plaques dites de générations, symboles du culte de Priape et de Vénus, il nous semblait revivre à l'époque où les Phocéens fondèrent Marseille, l'antique Massalia, soit environ six cents ans avant l'ère chrétienne.

Ces symboles, trouvés dans les grottes de la Corrèze, nous montraient les idées civilisatrices, religieuses, phéniciennes et aryennes, pénétrant dans ces lieux encore barbares, et important, avec les premiers germes d'une organisation sociale, les éléments encore rudimentaires d'un art en enfance.

En récoltant les silex dans nos tombeaux de Loiret-Cher, ou près d'eux, nous retrouvions le souvenir du rite de l'âge de la pierre se perpétuant à travers les siècles, mais restant encore trace vivante des races disparues.

Nos paysans croient encore aux pierres de foudre; un celt mis dans une cheminée passe, dans la campagne, pour être un sûr préservatif contre le feu du

« PreviousContinue »