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DC 135

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PRÉFACE.

A une époque où les diverses parties de nos fastes historiques sont explorées avec une louable curiosité, il est permis de s'étonner du défaut d'importance et de la rareté des ouvrages que nous possédons sur l'institution qui fait sans contredit le plus d'honneur à l'ancienne France: celle des parlemens.

Les annales de ces corps antiques de magistrature constituent à peu de chose près l'histoire intérieure de la monarchie française. Mêlés à toutes les entreprises, à tous les systèmes politiques de nos rois, auxiliaires-nés de leurs luttes contre les envahissemens de la puissance ecclésiastique, défenseurs naturels des immunités populaires contre les prétentions oppressives de la couronne, leur inter

TOME 1.

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vention se manifeste avec éclat dans toutes les circonstances importantes de nos destinées publiques; elle se lie d'une manière essentielle à tous les faits qui intéressent l'honneur et la liberté de la France.

Ce n'est pas qu'on n'ait beaucoup écrit sur l'origine, les caractères et les limites du pouvoir parlementaire. Les travaux des Boulainvilliers, des Raepsaet, des Meyer, des Henrion de Pansey et de plusieurs autres, ne laissent à cet égard presque rien à désirer. Mais ces travaux, dépourvus du mouvement historique, et réduits à de froides et savantes hypothèses, n'ont pas eu le privilége de fixer l'attention du commun des lecteurs sur l'économie, les ressorts, les mystères de cette belle institution, dont l'étude recèle un intérêt presque encore ignoré. Ce succès ne saurait appartenir qu'à une histoire proprement dite du Parlement de Paris, la seule de ces grandes compagnies dont la destinée présente une importance vraiment historique. En attendant qu'une plume habile et dès long-temps consacrée, dit-on, à cette vaste entreprise, réalise l'attente de tous les amis de notre gloire nationale, j'ai essayé de montrer cet intéressant sajet sous une de ses faces les plus animées,

en traçant la destinée de la plus illustre, de la plus pure de nos renommées parlementaires. La vie du Chancelier d'Aguesseau n'est autre chose en effet que l'histoire du Parlement de Paris pendant la première moitié du dix-huitième siècle.

Cette époque ne manquait d'aucune des séductions capables de tenter un écrivain. Marquée par le réveil de l'indépendance judiciaire, si long-temps assoupie sous le bras puissant de Louis XIV, c'est à elle qu'appartiennent ce système de Law, dont les phénomènes n'ont point d'analogues dans l'histoire, et les débats relatifs à la fameuse bulle Unigenitus, débats peu intéressans par eux-mêmes, mais dans lesquels un observateur attentif découvre le germe des résistances qui préparèrent quelques années plus tard la ruine de la monarchie.

Mais, disons-le, l'intérêt le plus puissant de mon sujet, c'était mon sujet lui-même : c'était le récit d'une vie consacrée tout entière à la pratique de toutes les vertus publiques et privées ; c'était le spectacle d'un homme de bien long-temps en butte aux injustices de son siècle, et triomphant enfin de ses détracteurs par le seul ascendant de son mérite et de sa vertu; c'était le tableau d'un sage isolé au mi

lieu d'une cour corrompue, et protestant presque seul, comme je l'ai dit quelque part, en faveur de la dignité humaine; c'était le caractère d'un ministre indépendant et consciencieux, portant dans la plus éminente dignité de l'état cette intégrité pure, cette admirable régularité de sentimens dont il avait fait l'apprentissage dans les fonctions de la magistrature. Voilà sous quels traits le Chancelier d'Aguesseau s'offre à notre admiration et à nos hommages, et son nom est du petit nombre de ceux qui n'ont rien perdu dans leur passage à la postérité.

En mesurant les ressources que présente un tel sujet, j'ai eu lieu d'être surpris qu'aucun écrivain n'eût encore entrepris de le traiter, et d'élever à d'Aguesseau un monument en rapport avec la gloire éclatante qui s'attache à sa renommée. Nous avons une vie complète de Jérôme Bignon; celle du Chancelier de L'Hôpital a été écrite plusieurs fois; et nous ne possédons sur d'Aguesseau que des notices inexactes ou incomplètes, et quelques éloges académiques, genre de composition essentiellement faux, qui consiste à donner à la conduite comme aux qualités de son héros un ensemble fictif, systématique, et à subordon

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