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même sujet, ne mettent en relief, lorsqu'elles se produisent, qu'une puissance très-distincte d'un composé matériel. Ainsi, graces à la conscience, une vraie force est reconnue, qui peut dès lors servir à concevoir toutes les autres. En effet, puisque l'ame est telle par sa nature qu'elle a l'action sans être matière, il est clair, par là même, que l'action n'est pas nécessairement une dépendance de la matière; d'autant d'ailleurs que rien ne prouve que le corps ait en lui une énergie propre et essentielle; et comme l'ame est la première ou pour mieux dire la seule force connue directement, que les autres ne le sont qu'indirectement et par induction, il faut bien par analogie que les forces à connaître se déterminent d'après celle dont on a d'abord l'idée ; il faut que toutes soient comme des ames, ou au moins comme des principes actifs et vivans qui s'allient à la matière et en régissent les molécules. Ainsi, aperçoit-on dans l'animal le signe physique de quelque cause qui agit en lui et le modifie, par exemple, la digestion, la nutrition, etc., on doit conclure de ce phénomène la même chose que de celui qui annonce par sa présence la pensée ou la volonté. Si le second vient d'une force, il n'y a pas de raison pour dire que le premier n'en vienne aussi. Si celui-ci est un effet de la vie morale, l'autre est un cffet de la vie physique : des deux côtés, il y a la vie, la force; seulement ici elle est purement digestive, nutritive, tandis que là elle est intelligente et capable de volonté. Il y a donc dans l'or

ganisme, outre les molécules qui le composent, des principes particuliers qui, actifs par eux-mêmes, portent sur les molécules qu'ils atteignent la puissance dont ils sont doués, les saisissent, les rallient, les combinent, en forment des appareils à fonctions spéciales, et, en cet état, les excitent, les entretiennent, les réparent, jusqu'au moment où survient la mort. Ce sont ces principes qui ont la vie, et qui, par leur concours et leur harmonie la répandent et la distribuent dans toutes les parties de l'organisme; ce sont eux qui, avec l'ame, jettent dans l'inertie de cette masse le mouvement et l'action, et en font ainsi un dynamisme, où vient se jouer sous mille formes la force, tantôt intelligente, tantôt vitale et animale, le tout avec bon ordre et d'après des lois déterminées. En sorte que les organes, dans ce systême loin d'être les causes efficientes ou les agens producteurs de nos diverses facultés, n'en sont que les instrumens extérieurs et le mécanisme accidentel, elles leur préexistent en quelque sorte, elles les trouvent à leur usage et s'en servent pour agir, mais il serait possible qu'elles agissent autrement et dans d'autres conditions; il ne faudrait pour cela qu'un changement de rapports et de mode d'existence. Ce n'est ni le cerveau qui pense, ni l'estomac qui digère : c'est la force intelligente qui pense dans le cerveau, et la force digestive qui digère dans l'estomac. L'estomac et le cerveau ne sont que des lieux arrangés pour qu'elles y jouent leur rôle, ce sont les théâtres où elles se déploient avec les fonctions qui

leur sont propres. Il y a quelque chose de cette doctrine dans celle de Stael et dans celle de Barthez, c'est-à-dire qu'elle tient de l'animisme et du vitalisme; cependant elle n'est entièrement ni animiste, ni vitaliste. Elle reconnaît dans l'organisme un autre élément que la molécule; mais que cet élément soit l'ame ou qu'il soit le principe vital, à l'exclusion de toute autre chose, c'est ce qu'elle ne croit ni n'admet plus. Elle conçoit, au contraire, plusieurs forces, deux au moins, dont l'une sent et veut, et l'autre se borne à vivre. Stael et Barthez expliquent tout par une seule et même cause; mais leur unité défectueuse ne peut rendre compte de tous les faits: car ces faits sont divers, et se distinguent au moins sous un rapport essentiel; c'est que les uns paraissent produits avec conscience et liberté, et les autres par pur instinct, sans idée ni volonté. M. Bérard reconnait cette distinction; voilà pourquoi il n'est ni purement vitaliste, ni purement animiste.

Tel est, en résumé, le systême de physiologie que l'on trouve développé dans le livre qu'il a publié (1). Pour en apprécier la valeur, il faut saisir exactement le point capital sur lequel il porte. La force est-elle ou non une propriété de la matière? voilà toute la question. Selon que cette question sera résolue dans un sens ou dans l'autre, le systême dont il s'agit aura tort ou raison. Il sera faux s'il

(1) Doctrine des rapports du physique et du moral, pour servir de fondement à la physiologie intellectuelle et à la métaphysique. Paris, 1823, 1 vol. in-8°.

I

est prouvé que la force vient de la matière ; il sera vrai s'il en est autrement : c'est donc là ce qu'il faut bien voir. Or, s'il suffit, pour se décider, de consulter la conscience, c'est-à-dire la faculté par laquelle seule l'ame a d'abord l'idée de l'activité, la réponse est aisée : la force n'est pas physique. En effet, telle qu'elle se voit dans le moi, elle est simple et identique ; elle n'est ni figurée, ni colorée, ni sonore, elle n'est perceptible par aucun organe et ne se révèle qu'au sens intime, et par toutes ces raisons elle doit être considérée comme autre que la matière. Si donc on consulte la conscience, et il le faut bien, puisque c'est par elle et sur ses données que nous connaissons et notre force et toutes les forces, il n'y a pas de doute qu'il n'y ait une différence essentielle entre l'être actifet l'être inert, entre la vie et la molécule. Ainsi l'auteur ne s'est pas trompé en appuyant sa théorie sur ce principe philosophique. Réellement la force doit se distinguer de la matière. Il convient cependant de remarquer que, dans une hypothèse dont nous parlerons, et qui a ses partisans (voir M. Maine de Biran), on conteste cette distinction, et l'on pense qu'il n'y a pas deux chomais une seule. Cela tient à ce que l'on suppose qu'il n'y a au monde que de la vie, du mouvement, des puissances qui, selon l'espèce et le degré d'activité dont elles sont douées, constituent de simples forces, de simples principes résistans et adhérens, ou bien des agens plus élevés, des ames et des esprits. Mais alors, à vrai dire, ce n'est pas la ma

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tière qui a la force, c'est la force qui a la matière, ou du moins les propriétés qu'on attribue à la matière; et le systême qui sort de là, loin de faire objection à l'existence propre de l'activité, la soutient au contraire; si l'on veut même, l'exagère; loin de la nier, il en fait la seule et unique existence qu'on doive reconnaître.

On peut donc admettre, avec M. Bérard, que l'organisation se forme, se soutient, se développe et se conserve par l'assistance de causes qui ne sont pas matérielles.

Voyons maintenant sa psychologie: elle est spiritualiste, on le conçoit sans peine, d'après tout ce qui a été dit. En effet, guidée par l'observation, qui, comparant les faits aux faits, ne trouve aucune espèce d'analogie entre ceux de la matière et ceux de l'ame, elle s'élève naturellement à l'idée d'une substance qui, au lieu de l'étendue, de la figure, ou de la couleur, a la passion et l'intelligence. Cette substance est active, c'est une force: cette force a le sentiment de son existence; elle se discerne, par conséquent, de tout ce qui n'est pas elle; elle se dit moi: elle est moi, et, s'il fallait le prouver, il n'y aurait qu'à rapporter quelque circonstance qui mette la chose tout-à-fait hors de doute; comme, par exemple, lorsque, retirée du monde physique, se recueillant dans sa conscience, insensible à tout, excepté à elle, un moment du moins elle ne voit qu'elle et vit dans un complet égoïsme d'intelligence; comme aussi lorsqu'il lui arrive de recevoir

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