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Lui souffle avec ces mots l'ardeur de la chicane.
Le prélat se réveille, et, plein d'émotion,
Lui donne toutefois la bénédiction 2.

Tel qu'on voit un taureau, qu'une guêpe en furie
A piqué dans les flancs aux dépens de sa vie3,
Le superbe animal, agité de tourmens,
Exhale sa douleur en longs mugissemens :
Tel le fougueux prélat, que ce songe épouvante,
Querelle en se levant et laquais et servante;
Et, d'un juste courroux rallumant sa vigueur,
Même avant le diner, parle d'aller au chœur.
Le prudent Gilotin, son aumônier fidèle,
En vain par ses conseils sagement le rappelle;
Lui montre le péril; que midi va sonner;
Qu'il va faire, s'il sort, refroidir le diner.

Quelle fureur, dit-il, quel aveugle caprice,
Quand le diner est prêt, vous appelle à l'office?
De votre dignité soutenez mieux l'éclat :
Est-ce pour travailler que vous êtes prélat?
A quoi bon ce dégoût et ce zèle inutile?

Est-il donc pour jeuner quatre temps ou vigile?
Reprenez vos esprits, et souvenez-vous bien
Qu'un diner réchauffé ne valut jamais rien.

Ainsi dit Gilotin; et ce ministre sage

Sur table, au même instant, fait servir le potage.
Le prélat voit la soupe, et, plein d'un saint respect,
Demeure quelque temps muet à cet aspect.

Il cède, il dine enfin; mais, toujours plus farouche,
Les morceaux trop hatés se pressent dans sa bouche.
Gilotin en gémit, et, sortant de fureur,
Chez tous ses partisans va semer la terreur.
On voit courir chez lui leurs troupes éperdues,

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Comme l'on voit marcher les batalllons de grues *,
Quand le Pygmée altier, redoublant ses efforts,
De l'Ilèbre ou du Strymon vient d'occuper les bords.
A l'aspect imprévu de leur fo ale agréable,
Le prélat radouci veut se lever de table:
La couleur lui renaît, sa voix change de ton;
Il fait par Gilotin rapporter un jambon.
Lui-même le premier, pour honorer la troupe,
D'un vin pur et vermeil il fait remplir sa coupe;
Il l'avale d'un trait, et, chacun l'imitant,
La cruche au large ventre est vide en un instant.
Sitôt que du nectar la troupe est abreuvée,
On dessert et soudain, la nappe étant levée,
Le prélat, d'une voix conforme à son malheur,
Leur confie en ces mots sa trop juste douleur:

Illustres compagnons de mes longues fatigues,
Qui m'avez scutenu par vos pieuses ligues,
Et par qui, maitre enfin d'un chapitre insensé,
Seul à MAGNIFICAT je me vois encensé,
Souffrirez-vous toujours qu'un orgueilleux m'outrage;
Que le chantre à vos yeux détruise votre ouvrage,
Usurpe tous mes droits, et, s'égalant à moi,
Donne à votre lutrin et le ton et la loi?

Ce matin même encor, ce n'est point un mensonge,
Une divinité me l'a fait voir en songe;
L'insolent, s'emparant du fruit de mes travaux,
A prononcé pour moi le BENEDICAT vos!
Oui, pour mieux m'égorger, il prend mes propres armes.
Le prélat, à ces mots, verse un torrent de larmes

Il veut, mais vainement, poursuivre son discours.
Ses sanglots redoublés en arrêtent le cours.
Le zélé Gilotin, qui prend part à sa gloire,
Pour lui rendre la voix fait rapporter à boire;
Quand Sidrac, à qui l'àge allonge le chemin,
Arrive dans la chambre, un bâton à la main.
Ce vieillard dans le chœur a déjà vu quatre âges 10:
Il sait de tous les temps les différens usages:
Et son rare savoir, de simple marguillier11,
L'éleva par degrés au rang de chevecier 12,

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Ανδράσι, Πυγμαίοισι φόνον καὶ κῆρα φέρουσαι.

On peut voir dans Pline, Histoire naturelle, 1. VII, ch. I, les seuls renseignements que l'on possède sur les pygmées. 7 Fleuve de Thrace. BOILEAU, 1713.

8 Fleuve de l'ancienne Thrace et depuis la Macédoine. BOILEAU, 1715.

• L'abbé Jacques Boileau écrit à Brossette, le 12 de février 1703, que Sidrac est le vrai nom d'un vieux chapelain de la SainteChapelle, c'est à-dire d'un chantre musicien; que ce personnage n'est point feint. » Daunou.

40 A déjà vu renouveler quatre fois le chapitre Homère, dans l'inde, chant I, et dans l'Odyssée, chant Ill, dit que Nestor avait déjà régué trois âges.

14 C'est celui qui a soin des reliques. BOILEAU, 1713.

12 C'est celui qui a soin des chapes et de la cire. BOILEAU, 1713.—

A l'aspect du prélat qui tombe en défaillance,
Il devine son mal, il se ride, il s'avance;
Et d'un ton paternel réprimant ses douleurs:
Laisse au chantre, dit-il, la tristesse et les pleurs,
Prélat, et, pour sauver tes droits et ton empire,
Écoute seulement ce que le ciel m'inspire.

Vers cet endroit du chœur où le chantre orgueilleux
Montre, assis à ta gauche, un front si sourcilleux,
Sur ce rang d'ais serrés qui forment sa clôture,
Fut jadis un lutrin d'inégale structure,
Dont les flancs élargis, de leur vaste contour
Ombrageoient pleinement tous les lieux d'alentour1.
Derrière ce lutrin, ainsi qu'au fond d'un antre,
A peine sur son banc on discernoit le chantre,
Tandis qu'à l'autre banc le prélat radieux,
Découvert au grand jour, attiroit tous les yeux.
Mais un démon, fatal à cette ample machine,
Soit qu'une main la nuit eût haté sa ruine,
Soit qu'ainsi de tout temps l'ordonnåt le destin,
Fit tomber à nos yeux le pupitre un matin.
J'eus beau prendre le ciel et le chantre à partie,
Il fallut l'emporter dans notre sacristie,
Où depuis trente hivers, sans gloire enseveli,
Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.
Entends-moi donc, prélat. Dès que l'ombre tranquille
Viendra d'un crêpe noir envelopper la ville,

Il faut que trois de nous, sans tumulte et sans bruit,
Partent à la faveur de la naissante nuit,
Et, du lutrin rompu réunissant la masse,
Aillent d'un zèle adroit le remettre en sa place.
Si le chantre demain ose le renverser,
Alors de cent arrêts tu le peux terrasser.
Pour soutenir tes droits, que le ciel autorise,
Abime tout plutôt : c'est l'esprit de l'Église.
C'est par là qu'un prélat signale sa vigueur.
Ne borne pas ta gloire à prier dans un chœur:
Ces vertus dans Aleth peuvent être en usage ;
Mais, dans Paris, plaidons: c'est là notre partage.

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Tes bénédictions dans le trouble croissant,
Tu pourras les répandre et par vingt et par cent,
Et, pour braver le chantre en son orgueil extrême,
Les répandre à ses yeux, et le bénir lui-même.

Ce discours aussitôt frappe tous les esprits;
Et le prélat charmé l'approuve par des cris.

Il veut que sur-le-champ, dans la troupe on choisisse
Les trois que Dieu destine à ce pieux office :
Mais chacun prétend part à cet illustre emploi.
Le sort, dit le prélat, vous servira de loi:
Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire.
Il dit: on obéit, on se presse d'écrire.
Aussitôt trente noms, sur le papier tracés,
Sont au fond d'un bonnet par billets entassés.
Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,
Guillaume, enfant de chœur, prête sa main novice.
Son front nouveau-tondu, symbole de candeur,
Rougit, en approchant, d'une honnête pudeur.
Cependant le prélat, l'œil au ciel, la main nue,
Bénit trois fois les noms, et trois fois les remue.
Il tourne le bonnet : l'enfant tire, et Brontin 6
Est le premier des noms qu'apporte le destin.
Le prélat en conçoit un favorable augure,

Et ce nom dans la troupe excite un doux murmurc.
On se tait; et bientôt on voit paroître au jour
Le nom,
le fameux nom du perruquier l'Amour".
Ce nouvel Adonis, à la blonde crinière,

Est l'unique souci d'Anne sa perruquières.
Ils s'adorent l'un l'autre ; et ce couple charmant
S'unit longtemps, dit-on, avant le sacrement;
Mais, depuis trois moissons, à leur saint assemblage
L'official a joint le nom de mariage.

Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier,
Et son courage est peint sur son visage altier.
Un des noms reste encore, et le prélat, par grâce,
Une dernière fois les brouille et les ressasse.
Chacun croit que son nom est le dernier des trois.
Mais que ne dis-tu point, ô puissant porte-croix,

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Convenere viri, dejectamque ærea sortem
Accepit galea...

VIRGILE, Énéide, 1. V, vers 490-491. Son vrai nom étoit Frontin; il étoit prêtre du diocèse de Chartres et sous-marguillier de la Sainte-Chapelle. Brossette. Molière en a peint le caractère dans son Médecin malgré lui, à la fin de la première scène, sur ce que M. Despréaux lui en avoit dit. BOILEAU, 1713. D'après la tournure de cette note, on voit qu'elle appartient, non à Boileau, mais à ses éditeurs; et celui d'Amsterdam, 1713 (pages XLIV et 221), assure qu'elle est fausse. Berriat-Saint-Prix.

Les éditions antérieures à 1698 portent: De l'horloger La Tou", et d'Anne son horlogère. La même remarque s'applique à tous les passages où revient le mot perruquier.

Brossette, dans l'édition de 1713, donne des détails biogra phiques plus ou moins authentiques sur Didier Delamour t non l'Amour), perruquier qui demeurait dans la cour du Palais, et dont la boutique était sous l'escalier de la Sainte-Chapelle, et sur sa seconde fenime, Anne Dubuisson.

Boirude, sacristain, cher appui de ton maître, Lorsqu'aux yeux du prélat tu vis ton nom paroître ! On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur, Perdit en ce moment son antique pâleur;

Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerrière, Pour sauter au plancher fit deux pas en arrière.

Chacun bénit tout haut l'arbitre des humains,

Qui remet leur bon droit en de si bonnes mains.
Aussitôt on se lève; et l'assemblée en foule,
Avec un bruit confus, par les portes s'écoule2.
Le prélat resté seul calme un peu son dépit,
Et jusques au souper se couche et s'assoupit.

CHANT II

CEPENDANT cet oiseau qui prône les merveilles 3,
Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,
Qui, sans cesse volant de climats en climats,
Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas;
La Renommée enfin, cette prompte courrière,
Va d'un mortel effroi glacer la perruquière;
Lui dit que son époux, d'un faux zèle conduit,
Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit 4.
A ce triste récit, tremblante, désolée,
Elle accourt, l'œil en feu, la tête échevelée,
Et trop sûre d'un mal qu'on pense lui celer:
Oses-tu bien encor, traitre, dissimuler 5?
Dit-elle et ni la foi que ta main m'a donnée,
Ni nos embrassemens qu'a suivis l'hyménée,
Ni ton épouse enfin toute prête à périr,
Ne sauroient donc t'ôter cette ardeur de courir!
Perfide! si du moins, à ton devoir fidèle,
Tu veillois pour orner quelque tête nouvelle,
L'espoir d'un juste gain, consolant ma langueur,

François Syreulde, sous-marguillier, ou sacristain de la Sainte-Chapelle, portait ordinairement la croix ou la bannière aux processions.

On quitte alors le temple, et l'innombrable foule
Par le triple portail avec peine s'écoule.

CHAPELAIN, la Pucelle, 1. VIII.

3 Énéide, 1. IV, vers 173. BOILEAU, 1713. Virgile emploie, pour décrire la Renqmmée, du vers 173 au vers 190. Voici quelques-uns de ces vers :

Extemplo Lybiæ magnas it fama per urbes
Fama, malum quo non aliud velocius ullum,...

Monstrum horrendum, ingens, cui quot sunt corpore plumæ,
Tot vigiles oculi subter (mirabile dictu)

Tot linguæ, totidem ora sonant, tot subrigit aures ;...

Hæc tum multiplici populos sermone replebat
Gaudens, et pariter facta atque infecta canebat.

Ovide, dans les Métamorphoses, 1. XII, Stace dans la Théb., 1. III, Valerius Flaccus, dans l'Argonaut., 1. II, Jean-Baptiste Rousseau, dans l'Ode au prince Eugene, str. 1 et 2, Voltaire dans la Henriade, 1. Vill, vers 477 à 484, ont fait un portrait de la Renommée. Voltaire a pris (ch. vii, vers 481) un vers à Boileau en y ajoutant un mot:

Ce monstre composé d'yeux, de bouches, d'oreilles, Dans les éditions de 1674 à 1682, après ce vers, il y avait ceux-ci :

Pourroit de ton absence adoucir la longueur
Mais quel zèle indiscret, quelle aveugle entreprise
Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une église?
Où vas-tu, cher époux? est-ce que tu me fuis?
As-tu donc oublié tant de si douces nuits?
Quoi! d'un œil sans pitié vois-tu couler mes larmes?
Au nom de nos baisers jadis si pleins de charmes;
Si mon cœur, de tout temps facile à tes désirs,
N'a jamais d'un moment différé tes plaisirs;
Si, pour te prodiguer mes plus tendres caresses,
Je n'ai point exigé ni sermens, ni promesses;
Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part,
Diffère au moins d'un jour ce funeste départ 7

En achevant ces mots, cette amante enflammée
Sur un placets voisin tombe demi-pâmée.
Son époux s'en émeut, et son cœur éperdu
Entre deux passions demeure suspendu;
Mais enfin rappelant son audace première :
Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fière,

Que, sous ce piége adroit, cet amant infidèle Trame le noir complot d'une flamme nouvelle, Las des baisers permis qu'en ses bras il reçoit, Et porte en d'autres lieux le tribut qu'il lui doit. Boileau trouvait trop long l'épisode de la perruquière tel qu'il l'avait d'abord composé, et il en retrancha quelques vers. Voir la fin de la préface, IV, p. 3.

Eneide, . IV, vers 505 (-308). Boileau, 1713. c'est Didon qui parle :

7

- Voici ces vers;

Dissimulare etiam sperasti, perfide tantum
Posse nefas? tacitusque mea decedere terra?
Nec te noster amor, nec te data dextera quondam,
Nec moritura tener crudeli funere Dido!

. Quid si non arva aliena domosque

Ignotas peteres, et Troja antiqua maneret...

VIRGILE, Enéide, 1. IV, vers 310-311.

Mene fugis? per ego has lacrymas dextramque tuam, te (Quando aliud mihi jam miseræ nihil ipsa reliqui), Per connubia nostra, per inceptos hymenaæos, Si bene quid de te merui, fuit aut tibi quidquam Dulce meum, miserere domus labentis, et istam, Oro, si quis adhuc precibus locus, exue mentem. VIRGILE, Enéide, 1. IV, vers 514 519. Sorte de siége sans dos ni bras. BOISTE.

Je ne veux point nier les solides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits1;
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire
Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire 2.
Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi
L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.
Si le ciel en mes mains eût mis ma destinée3,
Nous aurions fui tous deux le joug de l'hyménée,
Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus,
Nous goûterions encor des plaisirs défendus.
Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre :
Ne m'ôte pas l'honneur d'élever un pupitre,
Et toi-mêr e, donnant un frein à tes désirs,
Raffermis ua vertu qu'ébranlent tes soupirs 3.
Que te dirai-je enfin? c'est le ciel qui m'appelle.
Une église, un prélat m'engage en sa querelle.
Il faut partir j'y cours. Dissipe tes douleurs,
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.
Il la quitte à ces mots. Son amante effarée
Demeure le teint pâle, et la vue égarée;
La force l'abandonne; et sa bouche, trois fois
Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix".
Elle fuit, et, de pleurs inondant son visage,
Seule
pour s'enfermer vole au cinquième étage;

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Au lieu des quatre vers qui précèdent, on en lit trente-six dans les éditions de 1674 à 1682: .

Pendant tout ce discours l'horlogère éplorée

A le visage pâle et la vue égarée,

Elle tremble; et sur lui roulant des yeux hagards,
Quelque temps, sans parler, laisse error ses regards;
Mais enfin sa douleur se faisant un passage,
Elle éclate en ces mots, que lui dicte la rage:
Non, ton père à Paris ne fut point boulanger,
Et tu n'es point du sang de Gervais l'horloger;
Ta mère ne fut point la maitresse d'un coche.
Caucase dans ses flancs te forma d'une roche;
Une tigresse affreuse, en quelque antre écarté,
Te fit avec son lait sucer sa cruauté.

Mais, d'un bouge prochain accourant à ce bruit,
Sa servante Alison la rattrape et la suit.

Les ombres cependant, sur la ville épandues,
Du faite des maisons descendent dans les rues 8:
Le souper hors du choeur chasse les chapelains,
Et de chantres buvans les cabarets sont pleins.
Le redouté Brontin, que son devoir éveille,
Sort à l'instant, chargé d'une triple bouteille
D'un vin dont Gilotin, qui savoit tout prévoir,
Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir.
L'odeur d'un jus si doux lui rend le faix moins rude.
Il est bientôt suivi du sacristain Boirude;

9

Et tous deux, de ce pas, s'en vont avec chaleur
Du trop lent perruquier réveiller la valeur.
Partons, lui dit Brontin : déjà le jour plus sombre,
Dans les eaux s'éteignant, va faire place à l'ombre.
D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux-?
Quoi le pardon sonnant 10 te retrouve en ces lieux!
Où donc est ce grand cœur dont tantôt l'allégresse .
Sembloit du jour trop long accuser la paresse?
Marche, et suis-nous du moins où l'honneur nous attend.
Le perruquier honteux rougit en l'écoutant.
Aussitôt de longs clous il prend une poignée:
Sur son épaule il charge une lourde coignée;

Car pourquoi désormais flatter un infidèle?
En attendrai-je encor quelque injure nouvelle?
L'ingrat a-t-il du moins, en violant sa foi,
Balancé quelque temps entre un lutrin et moi?
A-t-il, pour me quitter, témoigné quelque alarme?
Ai-je pu de ses yeux arracher une larme?
Mais que servent ici ces discours superflus?
Va, cours à ton lutrin; je ne te retiens plus.
Ris des justes douleurs d'une amante jalouse;
Mais ne crois plus en moi retrouver une épouse.
Tu me verras toujours, constante à me venger,
Te reproches hargneux sans cesse t'affliger.
Et, quand la mort bientôt, dans le fond d'une bière,
D'une éternelle nuit couvrira ma paupière,
Mon ombre chaque jour reviendra dans ces lieux,
Un pupitre à la main, se montrer à tes yeux,
Roder autour de toi dans l'horreur des ténèbres,
Et remplir ta maison de hurlemens funèbres.
C'est alors, mais trop tard, qu'en proie à tes chagrins,
Ton cœur froid et glacé maudira les lutrins;
Et mes mânes contens, aux bords de l'onde noire,
Se feront de ta peur une agréable histoire.

En achevant ces mots, cette amante aux abois
Succombe à la douleur qui lui coupe la voix.
Elle fuit, et, de pleurs...

Ces vers en rappelaient plusieurs de Virgile, Enéide, livre IV, vers 361-386. Voici ce vers,

Virgile, églogue 1, vers 83. BOILEAU, 1713.

qui exprime, comme on sait, une erreur météorologique que Boileau a reproduite en le traduisant :

Majoresque cadunt altis de montibus umbra.

Poileau a reproduit cet hémistiche dans le troisième vers de l'épigramme:

Du célèbre Boileau tu vois ici l'image.

10 Ce sont les trois coups de cloche, le matin, à midi et le soir, par lesquels on avertit les fidèles de réciter l'Angelus. Les indulgences attachées à cette prière lui ont fait donner le nom de Pardon, quoique celui d'Angelas soit le plus usité. Dans certaines localités on l'appelle aussi le Salut.

Et derrière son dos, qui tremble sous le poids,
Il attache une scie en forme de carquois ;
Il sort au même instant, il se met à leur tête.
A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'apprête :
Leur cœur semble allumé d'un zèle tout nouveau ;
Brontin tient un maillet, et Boirude un marteau.
La lune, qui du ciel voit leur démarche altière,
Retire en leur faveur sa paisible lumière1.
La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux,
De joie, en les voyant, pousse un cri dans les cieux.
L'air, qui gémit du cri de l'horrible déesse,
Va jusque dans Cîteaux réveiller la Mollesse.
C'est là qu'en un dortoir elle fait son séjour;
Les Plaisirs nonchalans folâtrent alentour:

L'un pétrit dans un coin l'embonpoint des chanoines;
L'autre broie en riant le vermillon des moines.
La Volupté la sert avec des yeux dévots,
Et toujours le Sommeil lui verse des pavots.
Ce soir, plus que jamais, en vain il les redouble:
La Mollesse à ce bruit se réveille, se trouble,
Quand la Nuit, qui déjà va tout envelopper,
D'un funeste récit vient encor la frapper;
Lui conte du prélat l'entreprise nouvelle.
Aux pieds des murs sacrés d'une sainte chapelle,
Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix,
Marcher à la faveur de ses voiles épais;
La Discorde en ce lieu menace de s'accroître;
Demain avec l'aurore un lutrin va paroître,
Qui doit y soulever un peuple de mutins.
Ainsi le ciel l'écrit au livre des destins.

A ce triste discours, qu'un long soupir achève,
La Mollesse, en pleurant, sur un bras se relève,
Ouvre un œil languissant, et, d'une faible voix,
Laisse tomber ces mots qu'elle interrompt vingt fois*:
O Nuit! que m'as-tu dit? quel démon sur la terre
Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre?
Hélas! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les rois s'honoroient du nom de fainéans,
S'endormoient sur le trône, et, me servant sans honte,

Ibant obscuri sola sub nocte per umbram.
VIRGILE, Énéide, 1. VI, vers 268.

De ce mois malheureux l'inégale courrière
Semblait cacher d'effroi sa tremblante lumière.
VOLTAIRE, Henriade, ch 11, vers 177-178.

* De 1674 à 1682, il y avait : Va jusque dans C***. Fameuse abbaye de l'ordre de Saint-Bernard, située en Bourgogne. Les religieux de Citeaux n'avaient pas embrassé la réforme établie dans quelques maisons de leur ordre. C'est pourquoi l'auteur feint que la Mollesse fait son séjour dans un dortoir de leur couvent. 1772.

3 Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots. VOLTAIRE, Henriade, ch. 11, vers 180. Effusæque genis lacrymæ, et vox excidit ore.

VIRGILE, Enéide, 1. VI, vers 686.

Laissoient leur sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un
Aucun soin n'approchoit de leur paisible cour: [comte?
On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour.
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisoit taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
Promenoient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siècle n'est plus ". Le ciel impitoyable
A placé sur leur trône un prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix;
Tous les jours il m'éveille au bruit de ses exploits.
Rien ne peut arrêter sa vigilante audace:
L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace 6.
J'entends à son seul nom tous mes sujets frémir.
En vain deux fois la paix a voulu l'endormir :
Loin de moi son courage, entraîné par la gloire,
Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyois, loin des lieux d'où ce prince m'exile,
Que l'Église du moins m'assuroit un asile;
Mais en vain j'espérois y régner sans effroi :
Moines, abbés, prieurs, tout s'arme contre moi
Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie
J'ai vu dans Saint-Denis la réforme établie;
Le Carme, le Feuillant s'endurcit aux travaux;
Et la règle déjà se remet dans Clairvaux 8.
Citeaux dormoit encore, et la Sainte-Chapelle
Conservoit du vieux temps l'oisiveté fidèle;
Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,
D'un séjour si chéri vient encor me chasser!
O toi! de mon repos compagne aimable et sombre,
A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre?
Ah! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour,
Je t'admis aux plaisirs que je cachois au jour,
Du moins ne permets pas... La Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot, sent sa langue glacée,
Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras, ferme l'œil, et s'endort.

7

Voltaire, chant II de la Henriade, a imité, dans le discours de la Politique, celui de la Mollesse.

• Allusion à la première conquête de la Franche-Comté, dont le roi se rendit maître au commencement de février 1668.

7 Abbaye de Saint-Bernard dans laquelle l'abbé Armand Bouthillier de Rancé a mis la réforme. BOILEAU, 1713. ArmandJean Le Bouthillier de Rancé, né le 9 de janvier 1626, mort le 26 d'octobre 1700, rétablit l'étroite observance de Citeaux, en 662, à l'abbaye de la Trappe, dans le Perche, dont il était abbé commandataire; il prononça ses vœux deux ans après et continua de tenir cette abbaye dans la règle, jusqu'en 1695 qu'il s'en démit. Cf. Chateaubriand, Vie de Rancé.

Les abbayes de Clairvaux, de Saint-Denis, de Sainte-Geneviève. etc., furent réformées en 1624 et 1633 par le cardinal de La Rochefoucauld, commissaire général pour la réformation des ordres religieux en France.

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