& des libelles fans nombre. Les Ecrivains d'un ordre fupérieur que M. Defpréaux eftimoit, ne laifférent pas de redouter fa plume: & fi dans le fond ils penfoient comme lui, fa maniere d'écrire & la liberté qu'il fe donnoit de nommer les personnes, leur parurent une espece de crime, qu'ils condamnérent avec vivacité. M. Defpréaux tranquille au milieu de ces attaques, crut cependant être obligé de fe défendre, il le fit, mais avec fa modération ordinaire. Hallégua en fa faveur l'exemple de Lucilius, celui d'Horace, de Perfe, de Juvé nal, & du fage Virgile. Ce fut dans la mê me vue qu'il compofa fa neuviéme Satire, où fous l'ingénieufe apparence d'une réprimande févére à fon Efprit, il prouve de cent manieres que fans bleffer l'Etat ni fa confcience , on peut trouver de méchans Vers méchans, & s'ennuier à la lecture de certains Livres, & divulguer même les raifons de fon ennui & de fon dégoût. Après cette juftification qui fut bien reçue de tous ceux que la prévention ne do minoit point, il n'oppofa plus à ceux qu'il n'avoit pu perfuader que le mépris qu'ils méritoient. Il s'avifa feulement d'un moien affez fingulier pour les rendre ridicules : ce fut de réveiller les piéces qu'ils publioient contre lui, & de les envoier à fes amis qui las enfin de ces rapfodies, l'accusérent prefque d'en avoir fait lui-même une partie pour rendre l'autre plus méprisable, à l'exemple de l'Abbé Cotin & de quelques autres, qui croïoient avoir trouvé le fecret de décrier entiérement fes Satires, en lui attribuant les leurs. , La réputation naiffante de M. Defpréaux ne fut pas la feule chofe qui le dédommagea de la haine de quelques Auteurs. Ces Satires même, fource de tant de plaintes, lui firent des amis & des amis illuftres. Il compta parmi eux les plus beaux, génies de fon tems les Coffart, les Rapin, les Commire, les Bourdaloüe, les Fléchier, & quantité d'autres dont le mérite est univerfellement connu, & qu'il feroit trop. long de nommer ici. MM. Arnauld & Nicole, ces vaftes génies, ces profonds Théologiens, dont le nom feul fait l'éloge, avoient avec lui une liaifon étroite. M. le premier Président de Lamoignon, l'honora d'une eftime particuliere. Ce fage & favant Magiftrat, dont l'amitié étoit la meilleure de toutes les Apologies, loin d'être effraïé du nom de Satire que portoient les Ou vrages de M. Defpréaux, & où en effet il n'y avoit gueres que des Vers & des Li vres attaqués, fut charmé d'y trouver ce fel, ce goût précieux des Anciens, plus charmé encore de voir comment il avoit foumis aux loix d'une pudeur fcrupuleufe, un genre de Poëfie dont la licence avoit jufqu'alors fait le principal caractere. Il admira fa retenue dans les matieres les plus délicates, & n'eftima pas moins fon attention à diftinguer toujours dans la même perfonne l'honnête homme d'avec le Poëte infipide, & le bon Citoïen d'avec le mauvais Auteur. > Nous n'entrerons point dans le détail des Satires de M. Defpréaux. Que pourrions-nous en dire qui ne fût très-connu ? Elles furent à peine rendues publiques qu'elles firent les délices de toutes les perfonnes judicieuses & de bon goût; & ceux qui étoient intéreffés à les décrier, étoient forcés d'y admirer, au moins en fecret, cette jufteffe d'efprit, cette élégance & cette facilité de verfification, ce naturel & cette force d'expreffions, que le tems ne leur ôtera point, & qui ont fait de chacune un Ouvrage immortel. Devenues l'appui ou la reffource de la plupart des converfations, combien de Maximes, de Proverbes ou de bons mots ont elles fait naî tre dans notre Langue, & de la nôtre, combien en ont-elles fait paffer dans celle des Etrangers. › L'Art Poëtique fucceda aux neuf Satires. Il étoit jufte qu'après avoir fait fentir le ridicule ou le faux de tant d'Ouvrages, M. Defpréaux donnât des régles & des préceptes pour éviter l'un & l'autre ; qu'il s'occupât à perfectionner la Poefie, & qu'il montrât la voie qu'il falloit fuivre, pour tenir fur le Parnaffe cette place diftinguée, qui merite feule de faire confiderer ceux qui ont affez d'industrie, de talens, de génie & de goût pour y arriver. Plus ce rang étoit dû à peu de Poctes, plus il étoit difficile de monter à ce fommet au deffous duquel on ne fait prefque que ramper; plus il y avoit de difficulté à entreprendre d'être ce guide fûr, ce guide éclairé qui pouvoit y conduire. Il eft fouvent plus facile de découvrir les fautes des autres, que de les furpaffer foi-même. Tel qui juge excellement des Ouvrages d'autrui, n'en fait lui-même que de médiocres, quand il entreprend de courir la même carriere, & les Critiques les plus judicieux, ne font fouvent les mêmes dans leurs propres Ouvrages. Il femble qu'il étoit réfervé à M. Defpréaux de réunir en lui ces divers talens, d'être un Critique judicieux, & un Auteur excellent, de faire connoître toutes les qualités qui font néceffaires à un grand Poëte, & d'être lui-même un Poëte d'un rang fupérieur, Horace avoit réuni ces qua › lités; rien de plus parfait que fa Poëfie rien de mieux dicté, & de plus fenfé que fa Poëtique. Mais il ne fuffifoit pas de répéter fous un tour nouveau & dans une autre Langue les préceptes qu'il a donnés : notre Poëfie beaucoup plus variée que celle des Latins, a pris differentes formes qui leur étoient inconnues: il falloit les bien connoître toutes, pour en parler avec juf teffe, & tout le monde fçait comb en M, Defpréaux y a réuffi. Son Art Poëtique, amas auffi prodigieux que bien choifi, de régles & d'exemples, eft lui-même un Poëme excellent, un Poëme agréable & fi intérellant, que quoiqu'il renfe me une infinité de chofes qui font particuliéres à la Langue, à la Nation & à la Poëfie Françoife, il a trouvé des admirateurs dans toutes les Nations où il s'eft trouvé de jus tes estimateurs d'un Ouvrage excellent. > L'Art Poëtique parut pour la premiére fois, dans la nouvelle édition que M. Def préaux donna de fes Ouvrages en 1674. il y joignit le Traité du Sublime ou du merveil leux dans le Difcours, qu'il avoit traduit du Grec de Longin : cette Traduction est accompagnée d'une Préface, où le Traducteur élegant & correct, donne d'abord un abregé de la Vie de Longin. Il fait enfuite l'éloge du Sublime, qui eft le feul de plu |