Page images
PDF
EPUB

qui las enfin de ces rapfodies, l'accuférent prefque d'en avoir fait lui-même une partie pour rendre l'autre plus méprisable, à l'exemple de l'Abbé Cotin & de quelques autres, qui croïoient avoir trouvé le fecret de décrier entiérement fes Satires, en lui attribuant les leurs.

[ocr errors]
[ocr errors]

La réputation naiffante de M. Defpréaux ne fut pas la feule chofe qui le dédommagea de la haine de quelques Auteurs. Ces Satires même, fource de tant de plaintes, lui firent des amis, & des amis illuftres. Il compta parmi eux les plus beaux, génies de fon tems les Coffart, les Rapin, les Commire, les Bourdaloüe, les Fléchier, & quantité d'autres dont le mérite est univerfellement connu, & qu'il feroit trop. long de nommer ici. MM. Arnauld & Ni cole, ces vaftes génies, ces profonds Théologiens dont le nom feul fait l'éloger, avoient avec lui une liaifon étroite. M. le premier Péfident de Lamoignon, l'honora d'une eftime particuliere. Ce fage & favant Magiftrat, dont l'amitié étoit la meilleure de toutes les Apologies, loin d'être effraïé du nom de Satire que portoient les Ou vrages de M. Defpréaux, & où en effet il n'y avoit gueres que des Vers & des Livres attaqués fut charmé d'y trouver ce fel, ce goût précieux des Anciens, plus

[ocr errors]

charmé encore de voir comment il avoit foumis aux loix d'une pudeur fcrupuleufe, un genre de Poëfie dont la licence avoit jufqu'alors fait le principal caractere. Il admira fa retenue dans les matieres les plus délicates, & n'eftima pas moins fon attention à diftinguer toujours dans la même perfonne l'honnête homme d'avec le Poëte infipide, & le bon Citoïen d'avec le mauvais Auteur.

Nous n'entrerons point dans le détail des Satires de M. Defpréaux. Que pourrions-nous en dire qui ne fût très-connu? Elles furent à peine rendues publiques qu'elles firent les délices de toutes les perfonnes judicieuses & de bon goût; & ceux qui étoient intéreffés à les décrier, étoient forcés d'y admirer, au moins en secret, cette jufteffe d'efprit, cette élégance & cette facilité de verfification, ce naturel & cette force d'expreffions, que le tems ne leur ôtera point, & qui ont fait de chacune un Ouvrage immortel. Devenues l'appui ou la reffource de la plupart des converfations, combien de Maximes, de Proverbes ou de bons mots ont elles fait naî tre dans notre Langue, & de la nôtre, combien en ont-elles fait paffer dans celle des Etrangers.

L'Art Poëtique fucceda aux neuf Satires.

Il étoit jufte qu'après avoir fait sentir le ridicule ou le faux de tant d'Ouvrages, M. Defpréaux donnât des régles & des préceptes pour éviter l'un & l'autre ; qu'il s'occupât à perfectionner la Poefie, & qu'il montrât la voie qu'il falloit fuivre, pour tenir fur le Parnaffe cette place diftinguée, qui merite feule de faire confiderer ceux qui ont affez d'induftrie, de talens, de génie & de goût pour y arriver. Plus ce rang étoit dû à peu de Poetes, plus il étoit dif ficile de monter à ce fommet au deffous duquel on ne fait prefque que ramper; plus il y avoit de difficulté à entreprendre d'être ce guide fûr, ce guide éclairé qui pouvoit y conduire. Il eft souvent plus facile de découvrir les fautes des autres, que de les furpaffer foi-même. Tel qui juge excellement des Ouvrages d'autrui, n'en fait lui-même que de médiocres, quand il entreprend de courir la même carriere, & les Critiques les plus judicieux, ne font pas fouvent les mêmes dans leurs propres Ouvrages. Il femble qu'il étoit réfervé à M. Defpréaux de réunir en lui ces divers talens, d'être un Critique judicieux, & un Auteur excellent, de faire connoître toutes les qualités qui font néceffaires à un grand Poëte, & d'être lui-même un Poëte d'un rang fupérieur. Horace avoit réuni ces qua

lités; rien de plus parfait que fa Poëfie rien de mieux dicté, & de plus fenfé que fa Poëtique. Mais il ne fuffifoit pas de répéter fous un tour nouveau & dans une autre Langue les préceptes qu'il a donnés : notre Poëfie beaucoup plus variée que celle des Latins, a pris differentes formes qui leur étoient inconnues: il falloit les bien connoître toutes, pour en parler avec juf teffe, & tout le monde fçait comb en M. Defpréaux y a réuffi. Son Art Poëtique amas auffi prodigieux que bien choifi, de régles & d'exemples, eft lui-même un Poëme excellent, un Poëme agréable & fi intérellant, que quoiqu'il renfe me une infinité de chofes qui font particuliéres à la Langue, à la Nation & à la Poëfie Françoife, il a trouvé des admirateurs dans toutes les Nations où il s'eft trouvé de juf tes estimateurs d'un Ouvrage excellent.

L'Art Poëtique parut pour la premiére fois, dans la nouvelle édition que M. Def préaux donna de fes Ouvrages en 1674. il y joignit le Traité du Sublime ou du merveil leux dans le Difcours, qu'il avoit traduit du Grec de Longin : cette Traduction est accompagnée d'une Préface, où le Traducteur élegant & correct, donne d'abord un abregé de la Vie de Longin. Il fait enfuite l'éloge du Sublime, qui eft le feul de plu

fieurs Ouvrages, que cet habile Rhéteur avoit compofés, qui foit paffé jufqu'à nous. Après avoir parlé de quelques-unes des Traductions Latines qui en avoient été faites, il marque la Méthode qu'il a fuivie dans la fienne, & les difficultés qu'il a rencontrées, & il fit fuivre cet Ouvrage de quelques remarques, où il explique le texte de Longin, & rend un compte plus particulier de fa Traduction. On trouve dans cette édition une chofe trop finguliere & trop glorieuse à M. Defpréaux pour ne la pas rapporter ici. Loüis XIV. qui a toujours été attentif à faire fleurir les Sciences & les Belles Lettres dans fon Roïaume s'étoit fait lire les Ouvrages de notre Auteur à mesure qu'il les compofoit. Mais peu content de l'approbation qu'il leur donnoit en particulier, il voulut rendre public ce témoignage de fon bon goût & de fon eftime. Il ordonna que l'on feroit connoitre dans le Privilége que M. Defpréaux demandoit pour faire réimprimer fes premieres piéces & en publier de nouvelles, le plaifir qu'il avoit pris à la lecture de ces Ouvrages diftinction glorieufe, très-loüable dans celui qui la donnoit, & infiniment honorable à celui qui la recevoit. L'Art Poëtique avoit déja porté la réputation de fon Auteur j dans les païs les

« PreviousContinue »