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Mais je fçai peu loüer, & ma Mufe tremblante 0 Fuit d'un fi grand fardeau la charge trop pefante; Et dans ce haut éclat où Tu te viens offrir, Touchant à tes lauriers, craindroit de les flétrir. Ainfi, fans m'aveugler d'une vaine manie,

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Je mesure mon vol à mon foible génie : 15 Plus fage en mon refpect, que ces hardis Mortels Qui d'un indigne encens profanent tes autels; Qui dans ce champ d'honneur,où le gain les ameine, Ofent chanter ton nom fans force & fans haleine; Et qui vont tous les jours, d'une importune voix, 20 T'ennuyer du récit de tes propres exploits.

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L'un en ftile pompeux habillant une glogue, De fes rares vertus Te fait un long prologue, Et mêle, en se vantant foi-même à tout propos, Les loüanges d'un Fat à celles d'un Heros.

L'autre envain fe laffant à polir une rime, Et reprenant vingt fois le rabot & la lime, Grand & nouvel effort d'un efprit fans pareil! Daris la fin d'un Sonnet Te compare au Soleil.

Sur le haut Hélicon leur veine méprisée, 30 Fut toujours des neuf Soeurs la fable & la risée. Calliope jamais ne daigna leur parler.

Et Pégale pour eux refuse de voler.

Vers 21. L'un en file pom"peux habillant une Eglogue. ] Charpentier avoit publié en 1663. un Dialogue en vers fort pompeux, intitulé Louis, Eglogue Royale. Cette Piece étoit un compofé ridicule des

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louanges du Roi, & de celles de l'Auteur.

Vers 25. L'Autre en vain fe Laffant. ] C'est Chapelain, qui avoit fait un Sonnet, à la fin duquel il comparoit le Roi au soleil.

Cependant à les voir enflez de tant d'audace, Te promettre en leur nom les faveurs du Parnasse, 35 On diroit, qu'ils ont feuls l'oreille d'Apollon, Qu'ils difpofent de tout dans le facré Vallon. C'est à leurs doctes mains, fi l'on veut les en croire, Que Phébus a commis tour le foin de ta gloire: Et ton nom, du Midi jusqu'à l'Ourse vanté, 40 Ne devra qu'à leurs vers fon immortalité.

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Mais plutôt fans ce nom, dont la vive lumiere Donne un luftre éclatant à leur veine groffiere, Ils verroient leurs écrits, honte de l'Univers, Pourrir dans la pouffiere à la merci des vers.

A l'ombre de ton nom ils trouvent leur afile; Comme on voit dans les champs un arbriffeau débile, Qui, fans l'heureux appui qui le tient attaché, Languiroit triftement fur la terre couché.

Ce n'eft pas que ma plume injuste & téméraire, so Veüille blâmer en eux le deffein de te plaire: Et parmi tant d'Auteurs, je veux bien l'avouer, Apollon en connoit qui te peuvent loüer. Oui, je fçai qu'entre ceux qui t'adreffent leurs veilles, Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles. 55 Mais je ne puis fouffrir, qu'un Efprit de travers, Qui pour rimer des mots pense faire des vers, Se donne en te loüant une gêne inutile. Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile. Et j'approuve les foins du Monarque guerrier, Vers 54. Parmi les Pelletiers.] | étoit un miferable Rimeur

Pierre De Pellerier, Parifien, dont la principale occupation

60 Qui ne pouvoit fouffrir qu'un Artisan grossier
Entreprît de tracer, d'une main criminelle,
Un portrait réservé pour le pinceau d'Apelle.
Moi donc, qui connois peu Phébus & fes douceurs,
Qui fuis nouveau fevré fur le mont des neuf Sœurs:
65 Attendant que pour Toi l'âge ait meûri ma Muse,
Sur de moindres fujets je l'exerce & l'amufe:
Et tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les méchans par la peur des fupplices:
70 Moi, la plume à la main, je gourmande les vices;
Et gardant pour moi-même une jufte rigueur,
Je confie au papier les fecrets de mon cœur.
Ainfi, dès qu'une fois ma verve se réveille,
Comme on voit au printems la diligente abeille,

étoit de compofer des Sonnets
à la louange de toutes fortes
de gens.
On compte des
Corneilles.] Pierre Corneille, un
de nos plus grands Poëtes, eft
mis en oppofition avec Pelle-
zier. Quoique le grand Cor-
neille doive principalement fa
réputation aux excellentes Tra-
gédies qu'il a faites, il eft con-
nu auffi par de très-beaux
Poëmes qu'il a compofés à la
louange du Roi; c'est à quoi

on fait allufion en cet endroit.

Vers 59. Et j'approuve les foins du Monarque guerrier. ] Alexandre le Grand n'avoit permis qu'à Apelle de le peindre, à Lyfippe de faire fon image en bronze, & à Pyrgotèle de le graver fur des pierres précieuses: il étoit défen. du à tout autre de faire le por trait ou l'effigie d'Alexandre, Plin. 37. nat. hift. 1.

Vers 60. Qui ne pouvoit fouffrir, &c.] Horace 2. Ep. 1. v. 239.

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Vers 72. Je confie au papier, &c.] Horace, parlant du Poëte
Lucilius:

Ille, velut fidis arcana fidelibus, olim
Credebat libris. L, 2, Sat, 1. V. 39,

77 Qui du butin des fleurs va composer son miel,
Des fottifes du tems je compose mon fiel.
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,
Et, fans gêner ma plume en ce libre métier,
80 Je la laiffe au hazard courir fur le papier.

Le mal eft, qu'en rimant, ma Muse un peu légere,
Nomme tout par fon nom, & ne sçauroit rien taire.
C'est là ce qui fait peur aux Efprits de ce tems,
Qui tout blancs au dehors, font tout noirs au dedans,
85 Ils tremblent qu'un Cenfeur, que fa verve encourage,
Ne vienne en fes écrits démafquer leur visage,
Et fouillant dans leurs moeurs en toute liberté,
N'aille du fond du puits tirer la Vérité.
Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
90 Font d'abord le procès à quiconque ofe rire.
Ce font eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout eft renversé,

Au moindre bruit qui court, qu'un Auteur les menace De jouer des Bigots la trompeufe grimace. 95 Pour eux un tel ouravge eft un monftre odieux;

C'eft offenfer les loix, c'eft s'attaquer aux Cieux. Mais bien que d'un faux zele ils mafquent leur foibleffe, Chacun voit qu'en effet la

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verité les blesse.

teur les menace, &c.] En 1664. Moliere compofa fon Tartuf. fe; mais la Cabale des faux Dévots porta le Roi à défendre la représentation de cette Comédie: & cette défense sub

fista jufqu'en l'année 1669,

Envain d'un lâche orgueil leur esprit revétu 100 Se couvre du manteau d'une auftere vertu : Leur cœur qui fe connoit, & qui fuit la lumiere, S'il fe mocque de Dieu, craint Tartufe & Moliere. Mais pourquoi fur ce point fans raison m'écarter? GRAND ROI, c'est mon défaut, je ne sçaurois flater. 105 Je ne fçai point au Ciel placer un Ridicule,

D'un Nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule, Et fans ceffe en efclave à la fuite des Grands, A des Dieux fans vertu prodiguer mon encens. On ne me verra point d'une veine forcée, 110 Même pour Te loüer, déguifer ma pensée:

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Et quelque grand que foit ton pouvoir fouverain,
Si mon cœur en ces vers ne parloit par ma main,
Il n'est espoir de biens, ni raison, ni maxime,
Qui pût en ta faveur m'arracher une rime.

Mais lorque je Te voi, d'une fi noble ardeur';
T'appliquer fans relâche aux foins de ta grandeur,
Faire honte à ces Rois que le travail étonne,
Et qui font accablez du faix de leur Couronne.
Quand je voi ta fageffe, en fes juftes projets,
120 D'une heureuse abondance enrichir tes fujets;
Fouler aux pieds l'orgueil & du Tage & du Tibre;
Nous faire de la mer une campagne libre;

Vers 121. Fouler aux pieds l'orgueil & du Tage & du Tibre. Le Roi fe fit faire fatisfaction des deux infultes faites à fes Ambaffadeurs à Londres, par l'Ambaffadeur d'Efpagne en 1661. & à Rome, par les Corfes de la Gar

,

de du Pape, en 1662.

Vers 122. Nous faire de la mer une campagne libre. ] La mer fut purgée des Pirates par la victoire remportée en 1665. fur les Corfaires de Thunis & d'Alger, aux côtes d'Afrique.

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