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60 Un Avare idolâtre & fou de fon argent, Rencontrant la difette au fein de l'abondance, Appelle fa folie une rare prudence,

Et met toute la gloire, & fon fouverain bien, A groffir un tréfor qui ne lui fert de rien. 65 Plus il le voit accrû, moins il en fait l'ufage. Sans mentir, l'avarice eft une étrange rage, Dira cet autre Fou, non moins privé de sens, Qui jette, furieux, fon bien à tous venans, Et dont l'ame inquiette, à foi-même importune, 70 Se fait un embarras de fa bonne fortune. Qui des deux en effet eft le plus aveuglé ? L'un & l'autre à mon fens ont le cerveau troublé,

Vers 64. A groffir un tréfor qui ne lui fert de rien. ] Après ce vers il y en avoit treize

autres que l'Auteur a retran-
chez dans les dernieres édi
tions.

Dites-moi, pauvre efprit, ame baffe & vénale.
Ne vous fouvient-il point du tourment de Tantale
Qui dans le trifte état où le Ciel l'a réduit,
Meurt de foif au milieu d'un fleuve qui le fuit?
Vous riez favez-vous que c'est votre peinture
Et que c'est vous par là que la fable figure ?
Chargé d'or & d'argent, loin de vous en fervir
Vous brulez, d'une foif qu'on ne peut affouvir.
Vous nagez dans les biens, mais votre ame alterie
Se fait de fa richeffe une chofe facrée ;

Et tous ces vains trésors que vous allez cacher,
Sont pour vous un dépôt que vous n'ofez toucher.
Quoi donc ? de votre argent ignorez-vous l'usage a

Ces vers font la traduction de ceux-ci d'Horace, Sat. 1. I. r.
Tantalus à labris, &c.

Vers 60. Un Avare idolâtre. ] Les fix vers qui expriment ici
Je caractère de l'Avare, font imitez d'Horace.

qui difcrepat iftis,

Qui nummos aurumque recondit, &

Répondra chez Fredoc, ce Marquis fage & prude, Et qui fans ceffe au jeu, dont il fait fon étude, 75 Attendant fon deftin d'un quatorze & d'an fept, Voit fa vie ou la mort fortir de fon cornet. Que fi d'un fort fâcheux la maligne inconstance Vient par un coup fatal faire tourner la chance: Vous le verrez bien-tôt les cheveux heriffez o Et les yeux vers le Ciel de fureur élancez, Ainfi qu'un Poffedé que le Prêtre éxorcise, Fêter dans les fermens tous les Saints de l'Eglife. Qu'on le lie; ou je crains, à fon air furieux, Que ce nouveau Titan n'efcalade les Cieux.

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Mais laiffons-le plutôt en proie à son caprice. Sa folie, auffi-bien lui tient lieu de fupplice. Il est d'autres erreurs, dont l'aimable poison D'un charme bien plus doux enivre la raison : L'efprit dans ce nectar heureufement s'oublic.

Chapelain veut rimer, & c'est là fa folie. Mais bien que fes durs vers, d'épithètes enflez. Soient des moindres Grimauds chez Ménage fiflez: Lui-même il s'applaudit, & d'un efprit tranquile, Prend le pas au Parnaffe au-deffus de Virgile.

Vers 73. Répondra chez Fredoc.] Fredoc tenoit une Académie de jeu très-fréquentée en ce tems-là.

dans les vers de Chapelain.

Vers 92. Soient des moindres Grimauds chez Ménage fiflez.) Tous les mercredis, l'Abbé Vers 91. Mais bien que fes Ménage tenoit chez lui une durs vers. ] Notre Auteur don-affemblée, où alloient beaune l'exemple avec le précepte: coup de petits efprits. Voiez car il a affecté d'exprimer dans fon Dictionnaire Etimologicet hémistiche qui eft fort ruque, au mot Grimand. de, la duré qu'on trouwe

.....

95 Que feroit-il, helas! fi quelque Audacieux
Alloit pour fon malheur lui deffiler les yeux,
Lui faifant voir fes vers, & fans force & fans graces,
Montez fur deux grands mots, comme fur deux

échaffes;

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Ses termes fans raison l'un de l'autre écartez, 100 Et fes froids ornemens à la ligne plantez? Qu'il maudiroir le jour, où fon ame infenfée Perdit l'heureufe erreur qui charmoit sa pensée ! Jadis certain Bigot, d'ailleurs homme fenfé, D'un mal affez bizarre eut le cerveau bleffe 105 S'imaginant fans ceffe, en fa douce manie, Des efprits bien-heureux entendre l'harmonie Enfin un Medecin fort expert en fon art, Le guérit par adreffe, ou plutôt par hazard. Mais voulant de fes foins éxiger le falaire, 110 Moi? vous paier? lui dit le Bigot en colere,

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Vers 103. Jadis certain Bigot. J Horace décrit la folie d'un Citoïen d'Argos, lequel étant feul affis für le théatre, où il ne paroiffoit ni Acteurs ni Spectateurs, s'imaginoit entendre Jes plus belles Tragédies du monde.

Vous, dont l'art infernal, par des fecrets maudits,
En me tirant d'erreur, m'ôte du Paradis?

J'approuve fon courroux. Car, puifqu'il faut le dire, Souvent de tous nos maux la Raison est le pire. is C'eft Elle qui farouche, au milieu des plaifirs,

D'un remords importan vient brider nos defirs.
La Fâcheuse a pour nous des rigueurs fans pareilles;
C'est un Pédant qu'on a fans ceffe à fes oreilles,
Qui toujours nous gourmande, & loin de nous tou-
cher,

120 Souvent, comme Joli, perd fon tems à prêcher.
En vain certains Rêveurs nous l'habillent en Reine,
Veulent fur tous nos fens la rendre fouveraine,
Et s'en formant en terre une Divinité,
Penfent aller par Elle à la Félicité.

125 C'eft Elle, difent-ils, qui nous montre à bien vivre. Ces difcours, il eft vrai, font fort beaux dans un

livre:

Je les eftime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou fouvent eft le plus fatisfait.

Vers 120. Souvent, comme
Jali. ] Prédicateur fameux, qui
étoit extrêmement touchant
& pathétique. Il étoit alors
Curé de S. Nicolas desChamps.
Il fut enfuite nommé à l'Evê-
ché de S. Pol de Léon en Bre-

tagne, & peu de tems après il obtint l'Evêché d'Agen. II étoit né en 1610. à Buzi fur l'Orne, dans le Diocese de Verdun en Lorraine & il mourut en 1678,

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SATIRE

V.

À MONSIEUR LE MARQUIS

DE

DANGEAU

Cette Satire a été faite en l'année 1665. L'Auteur fait voir que la veritable Nobleffe confifte dans la Vertu, indépendamment de la Naifance. Juvénal a traité la même matiere dans fa Satire VIII.

LA Nobleffe, DANGEAU,

A Nobleffe, DANGEAU, n'eft pas une chimere,

Quand fous l'étroite loi d'une vertu fevere, Un homme iffu d'un fang fécond en Demi-Dieux, Suit, comme toi,la trace où marchoient les aieux. Mais je ne puis fouffrir qu'un Fat, dont la mollesse N'a rien pour s'appuïer qu'une vainė Noblesse, Se pare infolemment du merite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de Lui, Je veux que la valeur de fes Aieux antiques, Ait fourni de matiere aux plus vieilles chroniques, que l'un des Capets pour honorer leur nom,

Et

....

Vers 11. Et que l'un des Capets.. Ait de trois fleurs de lis. &c.] L'Illuftre Maison D'Eftaing porte les armes de France, par conceffion du Roi PhilippeAugufte, qui étoit un des Defcendans de Hugues Capet, Chef de la troifiéme Race de nos Rois. Philippe Augufte aiant été renverfé de deffus fon cheval à la Bataille de Bo

vines, Deodat, ou Dieu-donné D'Eftaing, l'un des vingtquatre Chevaliers commis à la garde de la Perfonne Roïale, aida à tirer ce Prince du peril où il étoit, & fauva auffi l'Ecu du Roi, fur lequel étoient peintes fes Armes. En récompenfe d'un fervice fi important, le Roi lui permit de porter les Armes de France, avec un Chef d'or pour brifure.

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