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Loin des yeux d'un Préfet au travail affidu,
Va tenir quelquefois un Brelan défendu :
Si du veillant Argus la figure effraïante,
90 Dans l'ardeur du plaifir à leurs yeux se présente,
Le jeu ceffe à l'inftant, l'azile eft deferté,
Et tout fuit à grands pas le Tiran redouté.

La Discorde qui voit leur honteufe difgrace, Dans les airs cependant tonne, éclate, menace, 95 Et malgré la fraïeur dont leurs cœurs font glacez; S'aprête à réunir fes Soldats dispersez. Auffi-tôt de Sidrac elle emprunte l'image : Elle ride fon front, allonge fon visage, Sur un bâton noüeux laiffe courber fon corps, 100 Dont la Chicane femble animer les refforts; Prend un cierge en fa main, & d'une voix caffée, Vient ainfi gourmander la Troupe terrassée.

Lâches, où fuïez-vous ? quelle peur vous abat? Aux cris d'un vil Oifeau vous cedez fans combat. ros Où font ces beaux difcours jadis fi pleins d'audace?

Craignez-vous d'un Hibou l'impuissante grimace? Que feriez-vous, helas! fi quelque exploit nouveau Chaque jour, comme moi, vous traînoit au Barreau? S'il falloit fans amis, briguant une audience, 11. D'un Magistrat glacé foûtenir la préfence: Ou d'un nouveau procès hardi Solliciteur, Aborder fans argent un Clerc de Rapporteur ?

Vers 103. Lâches, où fuïel-
vous? Dans l'Iliade, L. 7.
V. 124. Neftor reproche aux
Grecs leur lâcheté parce qu'au-

Tome I.

cun d'eux n'ofoir le préfenter pour combattre Hector, qui les défioit en combat fingulier.

Croïez-moi, mes Enfans: je vous parle à bon titre. J'ai moi feul autrefois plaidé tout un Chapitre : 115 Et le Barreau n'a point de monftres fi hagards,

Dont mon œil n'ait cent fois foûtenu les regards. Tous les jours fans trembler j'affiégeois leurs paffages.

L'Eglife étoit alors fertile en grands courages. Le moindre d'entre nous, fans argent, fans appui, 120 Eûr plaidé le Prélat, & le Chantre avec lui. Le Monde, de qui l'âge avance les ruines, Ne peut plus enfanter de ces ames divines, Mais que vos cœurs du moins, imitant leurs vertus, De l'aspect d'un Hibou ne foient pas abbatus. 125 Songez, quel deshonneur va foililler votre gloire; Quand le Chantre demain entendra la victoire. Vous verrez tous les jours, le Chanoine infolent, Au feul mot de Hibou, vous foûrire en parlant. Votre ame, à ce penser, de colére murmure; 130 Allez donc de ce pas en prévenir l'injure. Méritez les lauriers qui vous font réservez, Et refsouvenez-vous quel Prélat vous fervez. Mais déja dla fureur de vos yeux éțincéle.

Marchez, courez, voleż où l'honneur vous appelle. 135 Que le Prélat, furpris d'un changement fi prompt Apprenne la vengeance auffi-tôt que l'affront, En achevant ces mots, la Déeffe guerriére De fon pié trace en l'air un fillon de lumiére;

Vers 121, Le Monde de qui
Page, &c. Imitation du Dif-

cours de Neftor, dans l'Ilia, de, E. 1,

Rend aux trois Champions leur intrépidité, 140 Et les laiffe tous pleins de fa divinité.

C'est ainsi, grand Condé, qu'en ce Combat célébre Où ton bras fit trembler le Rhin, l'Efcaut, & l'Ebre, Lors qu'aux plaines de Lens nos bataillons poufféz Furent prefque à tes yeux ouverts & renversez; 145 Ta valeur, arrêtant les Troupes fugitives,

Rallia d'un regard leurs cohortes craintives:
Répandit dans leurs rangs ton efprit belliqueur,
Et força la Victoire à te fuivre avec eux.

La colére à l'ir tant fuccedant à la crainte,
150 Ils rallument le feu de leur bougie éteinte.
Ils rentrent. L'Oifeau fort. L'Escadron raffermi
Rit du honteux départ d'un fi foible Ennemi.
Auffi-tôt dans le Choeur la Machine emportée,
Eft fur le banc du Chantre à grand bruit remontée.
155 Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchez,
Sont à coup de maillet unis & rapprochez.

Sous les coups redoublez tous les bancs retentiffent, Les murs en font émus, les voutes en mugiffent, Et l'Orgue même en pouffe un long gémiffement. 160 Que fais-tu, Chantre, helas! dans ce trifte moment? Tu dors d'un profond fomme, & ton cœur fans

alarmes

Ne fait pas qu'on bâtit l'instrument de tes larmes.
O! que fi quelque bruit, par un heureux réveil,
T'annonçoit du Lutrin le funefte appareil,

Vers 141. C'eft ainfi grand | Mr. le Prince de Condé, con-
Condé,qu'en ce Combat célébre.]tre les Efpagnols & les Alle-
La Bataille de Lens,gagnée par | mans le d'Août 1648.

10.

165 Avant que de fouffrir qu'on en pofât la maffe; masse; Tu viendrois en Apôtre expirer dans ta place; Et Martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau, Offrir ton corps aux clous & ta tête au marteau.

Mais déja fur ton banc la machine enclavée 170 Est durant ton sommeil à ta honte élevée. Le Sacriftain achève en deux coups de rabot: Et le Pupitre enfin tourne fur fon pivot.

CHANT IV.

LEs Cloches dans les airs de leurs voix argentines,

'Appelloient à grand bruit les Chantres à Matines: Quand teur Chef agité d'un fommeil effraïant, Encor tout en fueur fe réveille en criant. s Aux élans redoublez de fa voix douloureuse, Tous les valets tremblans quittent la plume oifeuse, Le vigilant Girot court à lui le premier.

C'est d'un Maître fi faint le plus digne Officier. La porte dans le Choeur à fa garde est commise: 10 Valet souple au logis, fier Huissier à l'Eglife.

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Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre fommeil ? Quoi ? voulez-vous au Choeur prévenir le Soleil? Ah! dormez, & laissez à des Chantres vulgaires, Le foin d'aller fi-tôt mériter leurs falaires.

Ami, lui dit le Chantre encor pâle d'horreur,
N'infulte point, de grace, à ma jufte terreur.
Mêle plûtôt ici tes foupirs à mes plaintes,
Et tremble en écoutant le fujet de mes craintes.

Vers 3. Quand leur Chef.]]

Le Chantre.

Vers 7. Le vigilant Girot.]
Brunot. Il étoit fâché que
P'Auteur ne l'eût pas defigné
par fon veritable nom.

Vers 10. Valet fouple au lo

gis, fier Huiffier à l'Eglife. ↑ Brunot, Valet - de - Chambre du Chantre, & Huiffier de la Sainte Chapelle. Cet Huifier eft un Bedeau, ou Porte-verge, dont la principale fonction eft de garder la porte du Chœur.

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