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Et fans aller réver dans le double Vallon,
La colére fuffit, & vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie. A quoi bon ces grands mots? Doucement; je vous prie: 145 Ou bien montez en Chaire, & là,comme un Docteur, Allez de vos fermons endormir l'Auditeur,

Ceft-là que bien ou mal on a droit de tout dire. Ainfi parle un Esprit qu'irrite la Satire, Qui contre fes défauts croit être en sureté, 10 En raillant d'un Cenfeur la trifte aufterité:

Qui fait l'homme intrépide, & tremblant de foibleffe, Attend pour croire en Dieu que la fiévre le preffe; Et toujours dans l'orage au Ciel levant les mains, que l'air eft calmé, rit des foibles Humains. Iss Car de penfer alors qu'un Dieu tourne le Monde, Et regle les refforts de la machine ronde,

Dès

Ou qu'il eft une vie au delà du trépas,

C'est-là, tout haut du moins, ce qu'il n'avoûra pas. Pour moi qu'en fanté même un autre Monde étonne, 169 Qui crois l'ame immortelle, & que c'eft Dieu quiton

ne :

Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce Lieu. Je me retire donc. Adieu, Paris, Adieu.

qui, felon le langage de Bour fault dans fes Lettres, ne croïoit en Dieu que quand il étoit ma

Vers 154 Attend pour croire en Dieu, que la fiévre le preffe.] Ce vers défigne particuliérement le fameux Des-Barreaux, Vers 144. La colere fuffit, & vaut un Apollon.] Juvénal, en ce vers celèbre, Sat. 1. v. 79.

lade.

Si natura negat, facit indignatio verfum.

Jbjbjbjbjbft Jb Jb Jb Jb Jb SATIRE II.

A M. DE MOLIERE

Le fujet de cette Satire eft, la difficulté de trouver la Rime, & de la faire accorder avec la Raifon. Mais l'Auteur s'eft appliqué à les concilier toutes deux, en n'emploïant dans cette Piéce que des Rimes extrêmement exactes.

R

Cette Satire n'a été composée qu'après la feptiéme: ainfi elle eft la quatriéme dans l'ordre du tems. Elle fut faite en 1664. ARE & fameux Efprit, dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail & la peine; Pour qui tient Apollon tous fes trésors ouverts, Et qui fais à quel coin se marquent les bons vers; 5 Dans les combats d'efprit favant Maître d'efcrime, Enseigne-moi, Moliere, où tu trouves la rime. On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher. Jamais au bout du vers on ne te voit broncher; Et fans qu'un long détour t'arrête, ou t'embaraffe, 10 A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.

Mais moi, qu'un vain caprice, une bizare humeur, Pour mes péchez, je croi, fit devenir Rimeur: Dans ce rude métier, où mon esprit se tuë,

En vain, pour la trouver, je travaille & je fuë. 15 Souvent j'ai beau réver du matin jusqu'au foir: Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir. Si je veux d'un Galant dépeindre la figure, Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de Pure :

1

Vers 17. Si je veux d'un Ga- [ de Lion où fon Pere avoit lant, &c.] Michel de Pure été Prevot des Marchands en Auteur d'une mauvaise tra- 1634. duction de Quintilien, étoit |

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ro Si je pense exprimer un Auteur fans défaut,
La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut.
Enfin quoique je faffe, ou que je veüille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois, ne pouvant la trouver,
Trifte, las, & confus, je ceffe d'y réver :

25 Et maudissant vingt fois le Démon qui m'inspire,
Je fais mille fermens de ne jamais écrire.

Mais quand j'ai bien maudit & Mules & Phébus,
Je la voi qui paroît, quand je n'y pense plus.
Auffi-tôt, malgré moi, tout mon feu se rallume:
30 Je reprens fur le champ le papier & la plume,
Et de mes vains fermens perdant le souvenir,

J'attens de vers en vers qu'elle daigne venir.

Encor fi pour rimer, dans fa verve indiscrete, Ma Muse au moins fouffroit une froide épithete: 35 Je ferois comme un autre, & fans chercher fi loin, J'aurois toujours des mots pour les coudre au befoin. Si je loüois Philis, En miracles feconde ; Je trouverois bien-tôt, A nulle autre feconde. Si je voulois vanter un objet Nompareil ; 40 Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil. Enfin parlant toujours d'Aftres & de Merveilles, De chef-d'œuvres des Cieux, de Beautez fans pareilles ; Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard, Je pourrois aifément, fans génie & fans art,

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Et tranfpofant cent fois & le nom & le verbe, Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe. Mais mon efprit, tremblant sur le choix de ses mots, N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos, Et ne fauroit fouffrir, qu'une phrase infipide so Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide. Ainfi recommençant un ouvrage vingt.fois, Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier, dont la verve insensée Dans les bornes d'un vers renferma fa pensée, 55 Et donnant à fes mots une étroite prison,

Voulut avec la Rimte enchaîner la Raison. Sans ce métier, fatal au repos de ma vie, Mes jours pleins de loifir couleroient fans envie, Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant; 60 Et comme un gras Chanoine, à mon aise, & content, Paffer tranquillement, fans fouci, sans affaire, La nuit à bien dormir, & le jour à rien faire. Mon cœur éxemt de foins, libre de paffion, Sçait donner une borne à fon ambition; 5 Et fuiant des grandeurs la préfence importune, Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune. Et je ferois heureux, fi, pour me confumer, Un deftin envieux ne m'avoit fait rimer.

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Mais depuis le moment que cette frénéfie 70 De fes noires vapeurs troubla ma fantaisie, Et qu'un Démon, jaloux de mon contentement M'inspira le deffein d'écrire poliment : Tous les jours malgré moi, cloué fur un ouvrage, Retouchant un endroit, effaçant une page,

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5 Enfin paffant ma vie en ce trifte métier, J'envie en écrivant le fort de Pelletier.

Bienheureux Scuderi, dont la fertile plume Peut tous les mois fans peine enfanter un volume! Tes écrits, il est vrai, fans art & languissans, 80 Semblent être formez en dépit du bon fens :

Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire, Un Marchand pour les vendre,& des Sots pour les lire. Et quand la Rime enfin fe trouve au bout des vers, Qu'importe que le refte y foit mis de travers ? Malheureux mille fois celui dont la manie Veut aux regles de l'art affervir fon génie! Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir : Il n'a point en fes vers l'embarras de choisir, Et toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire, 90 Ravi d'étonnement en foi-même il s'admire. Mais un Efprit fublime envain veut s'élever A ce degré parfait qu'il tâche de trouver : Et toujours mécontent de ce qu'il vient de faire, Il plaît à tout le monde, & ne fauroit se plaire. 95 Et Tel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit, Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc, qui vois les maux où ma Mufe s'abîme, De grace, enfeigne-moi l'art de trouver la Rime: Où, puifqu'enfin tes foins y feroient fuperflus, 100 Moliere, enfeigne-moi l'art de ne rimer plus. Vers 77. Bienheureux Scu

deri, &c, George de Scu

deri de l'Academie Françoife,

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