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Songe à nous redonner des Poëmes Epiques, S'empare des Difcours, mêmes Académiques. Perrin a de fes Vers obtenu le pardon; 60 Et la Scene Françoise est en proie à Pradon. Et moi, fur ce fujet, loin d'éxercer ma plume; J'amaffe de Tes Faits le pénible volume; Et ma Mufe occupée à cet unique emploi, Ne regarde, n'entend, ne connoît plus que Toi. Tu le fais bien pourtant, cette ardeur empressée N'eft point en moi l'effet d'une ame intéressée. Avant que Tes bienfaits couruffent me chercher, Mon zele impatient ne fe pouvoit cacher.

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Je n'admirois que Toi. Le plaifir de le dire 70 Vint m'apprendre à louer au fein de la Satire. Et depuis que Tes dons font venus m'accabler, Loin de fentir mes Vers avec eux redoubler, Quelquefois, le dirai-je, un remords légitime, Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime. 75 Il me femble,GRAND ROI,dans mes nouveaux Ecrits, Que mon encens païé n'est plus du même prix. J'ai peur que l'Univers, qui fait ma récompense, N'impute mes transports à ma reconnoiffance; Et que par Tes préfens mon Vers décrédité 80 N'ait moins de poids pour Toi dans la Poftérité.

Toutefois je fai vaincre un remords qui Te bleffe. Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largeffe, A peindre tes exploits ne doit point s'engager, Qui d'un fi jufte foin fe pourra donc charger? Ah! plutôt de nos fons redoublons l'harmonie. Le zele à mon Efprit tiendra lieu de génie,

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Horace tant de fois dans mes Vers imité,

De vapeurs en fon tems, comme moi, tourmenté,
Pour amortir le feu de fa rate indocile,
90 Dans l'encre quelquefois fut égaïer fa bile.
Mais de la même main qui peignit Tullius,
Qui d'affronts immortels couvrit Figellius,
Il fut fléchir Glycére, il fut vanter Augufte,
Et marquer fur la Lyre une cadence jufte.
95 Suivons les pas fameux d'un fi noble Ecrivain.
A ces mots quelquefois prenant la Lyre en main,
Au récit que pour Toi je fuis prêt d'entreprendre,
Je croi voir les Rochers accourir pour m'entendre ;
Et déja mon Vers coule à flots précipitez ;
Boo Quand j'entens le Lecteur, qui me crie, Arrêtez.

Horace eut cent talens: mais la nature avare
Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre
Vous paffez en audace & Perfe & Juvénal:

Mais fur le ton flateur Pinchêne eft votre égal. rds A ce discours, GRAND ROI, que pourrois - je répondre ?

Je me fens fur ce point trop facile à confondre,
Et fans trop relever des reproches fi vrais,
Je m'arrête à l'instant, j'admire, & je me tais.

Vers 91. -Qui peignit Tul- |
lius.] Sénateur Romain. Céfar
l'exclut du Sénat; mais il y ren-
tra après la mort de cet Empe-
reur. Voïez Hor. L. I. Sat. VI.

d'Augufte. Voïez le commen cement de la Sat. 3. L.I. d'Hor. Vers 93.Il fut fléchir Glycére-] Sa Maîtreffe. Ode19. du Liv.P. Vers 104. Mais fur le ton flaVers 92. •Couvrit Tigel-teur Pinchêne eft votre égal. ius.] Fameux Muficien, le plus Etienne Martin, Sr. de Pinche eftimé de fon tems, fort chéri ne, Neveu de Voiture.

EPITRE IX.

A MONSIEUR LE MARQUIS DE SEIGNELAY,

SECRETAIRE D'ETAT.

Cette Epitre contient l'Eloge du Vrai. L'Auteur y fait voir que Rien n'eft beau que le Vrai, & que le Vrai feul eft aima ble. Le Poëte a fait briller ici tout fon génie ; & il a fû réunir en cette Piéce, tout le fublime de la Morale avec toute la douceur de la Poësie. Elle a été composée au commencement de l'année 1675.

DANGEREUX Ennem ide tout mauvais Flateur,

SEIGNELAY, c'eft en vain, qu'un ridicule

Auteur,

Prêt à porter ton nom de l'Ebre jusqu'au Gange, Croit te prendre aux filets d'une fotte loüange. 5 Auffi-tôt ton efprit, prompt à se revolter, S'échappe, & rompt le piége où l'on veut l'arrêter. Il n'en est pas ainfi de ces Esprits frivoles, Que tout Flateur endort au fon de ses paroles; Qui dans un vain Sonnet placez au rang des Dieux, 10 Se plaisent à fouler l'Olimpe radieux ; Et fiers du haut étage où La Serre les loge, Avalent fans dégoût le plus groffier éloge.

Vers 2. Seignelay, &c.] Jean- I Baptifte Colbert, Marquis de Seignelay, Secretaire d'Etat; fils aîné de Mr. Colbert.

Vers 3.

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mune & ufitée parmi les Poëtes médiocres. L'Ebre, Riviere d'Efpagne. Le Gange Riviere des Indes.

- De l'Ebre juj- Vers 11. Et fiers du haut étaqu'au Gange.] Expreffion com-ge où la Serre les loge. ] La Ser

Tu ne te repais point d'encens à fi bas prix. Non que tu fois pourtant de ces rudes Elprits 15 Qui regimbent toujours, quelque main qui les flate. Tu fouffres la louange adroite & délicate

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Dont la trop forte odeur n'ébranle point les fens. Mais un Auteur, novice à répandre l'encens, Souvent à fon Heros, dans un bizarre Ouvrage, 20 Donne de l'encenfoir au travers dû visage: Va louer Monterey d'Oudenarde forcé, Ou vante aux Electeurs Turenne repouffé. Tout éloge impofteur bleffe une Ame fincere. Si pour faire fa cour à ton illuftre Pere, 25 Seignelay, quelque Auteur d'un faux zele emporté Au lieu de peindre en lui la noble activité, re, fade Panégyrifte, qui fe Alatoit d'être fort capable de compofer des Eloges, fuivant l'ufage où l'on étoit en ce temslà de faire des Portraits en vers du en Profe.

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neur des Païs-Bas pour l'Efpagne, & Général de l'Armée Ef pagnole, affiégea Oudenarde. Mais le Prince de Condé marcha contre lui, & l'obligea de lever le Siége avec beaucoup de précipitation, le 12 de SepCetembre 1674.

Vers 20 Donne de l'encenfoir au travers du visage.] vers eft devenu Proverbe.

Vers 22. On vante aux Ele&teurs Turenne repon ffe. ] Ce vers auffi-bien que le précédent eft une contre-vérité. Celui-ci défigne la bataille de Turkein en Alface, gagnée par Mr. de Turenne contre les Allemans, les de Janvier 1675 •

Vers 21. Va lower Monterey d'Oudenarde forcé. ] Après la Bataille de Senef gagnée par le Prince de Condé, les Alfiez voulurent effacer la honte de leur défaite par la prife de quelqu'une de nos Villes. Le Comte de Monterey, GouverVers 15. Qui regimbent toujours quelque main qui les flate.] Horace, Sat. 1. L. II. Cui male fi palpêre, recalcitrat undique tutus. Vers 24. Si pour faire fa cour à ton illuftre Pere. ] Ce vers, & les dix fuivans font imitez d'Horace, Epître 16. du Livre I. Si quis bella tibi terrâ pugnara marique Dicat, &c.

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La folide vertu, la vafte intelligence,

Le zele pour fon Roi, l'ardeur, la vigilance,
La conftante équité, l'amour pour les beaux Arts;
10 Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars;
Et, pouvant justement l'égaler à Mécéne,
Le comparoit au fils de Pélée ou d'Alcméne,
Ses yeux d'un tel difcours foiblement éblouïs,
Bien-tôt dans ce Tableau reconnoîtroient L oUIS
35 Et, glaçant d'un regard la Muse & le Poëte,
Impoferoient filence à fa verve indifcrette.
Un cœur noble eft content de ce qu'il trouve en lui,
Et ne s'applaudit point des qualitez d'autrui.
Que me fert en effet, qu'un Admirateur fade
40 Vante mon embonpoint, si je me fens malade;
Si dans cet inftant même un feu féditieux
Fait bouillonner mon fang, & petiller mes yeux ?
Rien n'eft beau que le Vrai. Le Vrai seul est aimable.
Il doit regner par tout & même dans la Fable:
45 De toute fiction l'adroite fauffeté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la Vérité.
Sais-tu pourquoi mes vers font lûs dans les Pro-
vinces;

Sont recherchez du Peuple, & reçûs chez les Princes? Ce n'eft pas que leurs fons agréables, nombreux, so Soient toujours à l'oreille également heureux: Qu'en plus d'un lieu le fens n'y gêne la mefure,. Et qu'un mot quelquefois n'y brave la céfure., Vers 39. Que me fert en effet, &c.] Horace dans la même Epître 16.

Neu, fi te populus fanum, resèque valentem
Dictitet, &c.

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