Page images
PDF
EPUB

Teftime autant Patru, même dans l'indigence,
Qu'un Commis engraiffé des malheurs de la France.

Non que je fois du goût de ce Sage insensé; 100 Qui d'un argent commode efclave embarraffé, Jetta tout dans la mer, pour crier, Je fuis libre. De la droite raifon je fens mieux l'équilibre: Mais je tiens qu'ici-bas, fans faire tant d'apprêts, La Vertu fe contente, & vit à peu de frais. 105 Pourquoi donc s'égarer en des projets si vagues? fi Ce que j'avance ici, croi-moi, cher Guilleragues, Ton Ami dès l'enfance ainfi l'a pratiqué. Mon Pere, foixante ans au travail appliqué, En mourant me laiffa pour rouler & pour vivre, 110 Un revenu léger, & fon exemple à fuivre. Mais bien-tôt amoureux d'un plus noble métier, Fils, frere, oncle, coufin, beau-frere de Greffier,

Vers 9.7. J'eftime autant Pa-
tru, &c.] Olivier Patru, fa-
meux Avocat, & le meilleur
Grammairien de notre Siécle.
Voïez la Remarque fur le vers
123. de la Satire I.
Vers 99. De ce Sage
infenfe. Cratès, Philofophe
Cynique.

Vers 108. Mon Pere. ] Gilles
Boileau, Greffier du Confeil
de la Grand' Chambre : égale-
ment recommandable par fa
probité, & par fon expérience
dans les affaires. 11 mourut
en 1657. âgé de 73. ans.

Vers 109. En mourant me laiffa, &c.] Environ douze mille Ecus de Patrimoine,dont

[blocks in formation]

notre Auteur mit environ legois, qui a épousé une coufine

Pouvant charger mon bras d'une utile liaffe;
J'allai loin du Palais errer fur le Parnaffe.
Is La Famille en pâlit, & vit en frémissant,
Dans la poudre du Greffe un Poëte naissant.
On vit avec horreur une Muse effrénée

Dormir chez un Greffier la graffe matinée.

Dès lors à la richeffe il fallut renoncer.

20 Ne pouvant l'acquerir, j'appris à m'en passer;
Et fur tout redoutant la baffe fervitude,
La libre Vérité fut toute mon étude.

Dans ce métier funefte à qui veut s'enrichir,

Qui l'eût crû, que pour moi le Sort dût fe fléchir ? 25 Mais du plus grand des Rois la bonté fans limite, Toujours prête à courir au devant du mérite, Crut voir dans ma franchise un mérite inconnu, Et d'abord de fes dons enfla mon revenu.

La brigue, ni l'envie à mon bonheur contraires, 30 Ni les cris douloureux de mes vains Adverfaires, Ne purent dans leur course arrêter ses bien-faits. C'en eft trop: mon bonheur a paffé mes souhaits. Qu'à fon gré deformais la Fortune me jouë; On me verra dormir au branle de fa rouë. 135 Si quelque foin encore agite mon repos, C'eft l'ardeur de louer un fi fameux Héros,

germaine de notre Poëte.
Beau-frere: de Mr. Sirmond
qui a eu la même Charge de
Greffier du Confeil de la Grand'
Chambre.

Vers 118. La graffe mati

née. Il étoit un grand dor meur, particuliérement dans fa jeuneffe: il fe levoit ordinairement fort tard, & dormoit encore l'après-diner.

Ce foin ambitieux me tirant par l'oreille,
La nuit, lorfque je dors, en furfaut me réveille
Me dit que ces bienfaits dont j'ose me vanter,
40 Par des Vers immortels ont dû fe mériter.

C'eft là le feul chagrin qui trouble encor mon ame
Mais fi dans le beau feu du zéle qui m'enflâme,
Par un Ouvrage enfin des Critiques vainqueur,
Je puis fur ce fujet fatisfaire mon cœur ;
$45 Guilleragues, plain-toi de mon humeur légére
Si jamais entraîné d'une ardeur étrangère,
Ou d'un vil interêt reconnoiffant la loi,
Je cherche mon bonheur autre part que

chez moi.

EPITRE VI.

A

MONSIEUR

DE LAMOIGNON

Cette Epitre a été composée en l'année 1677. L'Auteur y dé, erit les douceurs dont il jouit à la Campagne, & les chagrins qui l'attendent à la Ville. Horace a fait une Satire fur le même fur jet, elle eft la fixiéme du Livre 2.

OUI, LAMOIGNON, je fuis les chagrins de

la Ville,

Et contre eux la Campagne est mon unique azile.

Vers 1. Oui, Lamoignon &c.] Chreftien - François de Lamoignon, né le 26 de Juin, 1644, mourut le d'Août,

1709. après s'être fait admirer fucceffivement dans les Charges d'Avocat Général & de Préfident à Mortier.

[ocr errors]

Du Lieu qui m'y retient veux-tu voir le Tableau ♣
C'est un petit Village, ou plûtôt un Hameau,
Bâti fur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'œïl s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine au pié des monts, que fon flot vient laver,
Voit du fein de fes eaux vingt Ifles s'élever,
Qui partageant fon cours en diverfes maniéres.
o D'une Riviére feule y forme vingt Riviéres.

Tous les bords font couverts de Saules non plantez
Et de Noïers fouvent du Paffant infultez.
Le Village au dessus forme un amphitéatre.
L'Habitant ne connoît ni la chaux ni le plâtre.
s Et dans le roc, qui céde & fe coupe aisément,
Chacun fait de fa main creufer fon logement.
La Maison du Seigneur, feule un peu plus ornée,
Se préfente au dehors de murs environnée.
Le Soleil en naiffant la regarde d'abord;
Et le mont la défend des outrages du Nord.
C'est là, cher Lamoignon, que mon efprit tranquile
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plaifirs.

25 Tantôt, un livre en main errant dans les prairies,
J'occupe ma raifon d'utiles rêveries.

Tantôt cherchant la fin d'un Vers que je conftrui,' Je trouve au coin d'un Bois le mot qui m'avoit fui, Quelquefois à l'appât d'un hameçon perfide, 30 J'amorce en badinant, le poiffon trop avide;

Vers 4. C'eft un petit Village, che-Guion, du côté de Man &c.] Hautile, près de la Ro- | te, à treize lieues de Paris.

Ou d'un plomb qui fuit l'oeil, & part avec l'éclair, Je vais faire la guerre aux habitans de l'air. Une table, au retour, propre & non magnifique Nous présente un repas agréable & rustique. 5 Là, fans s'afsujettir aux dogmes du Broussain, Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange eft

fain.

La maison le fournit, la Fermiére l'ordonne, Et mieux que Bergerat l'appétit l'assaisonne. O fortuné féjour ! ô Champs aimez des Cieux ! 40 Que pour jamais foulant vos prez délicieux, Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde, Et connu de vous feuls oublier tout le monde ! Mais à peine du sein de vos vallons chéris Arraché malgré moi, je rentre dans Paris, 45 Qu'en tous lieux les chagrins n'attendent au paffage. Un Cousin abusant d'un fâcheux parentage, Veut qu'encor tout poudreux, & fans me débotter, Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.

Vers 35. du Brouffain.] René Brulart, Comte du Brouffain, l'un des hommes de France qui fe plaifoit & s'entendoit le mieux à la bonne chere.

,

Aux dogmes | Baltazar Boileau. Il avoit e des biens confidérables, & entre autres trois charges de Païeur des Rentes; mais ces Charges aïant été fupprimées, il étoit obligé de folliciter le remboursement de fa finance: & il avoit engagé notre Auteur dans fes follicitations, fur-tout auprès de M. Colbert, champs, &c. ] Horace, Sat, 6,

Vers 38. Et mieux que Bergerat.] Fameux Traiteur,

Vers 46. Un Confin abufant, &c.] Ce Coufin fe nommoit

Vers 39. O fortuné séjour ! ô
livre II,

O rus, quando ego te afpiciam? quandoque licebit
Nunc Veterum libris, nunc fomno & inertibus horis
Dusere follicita jucunda oblivia vita ?

« PreviousContinue »