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EPITRE V.

A MONSIEUR

DE GUILLERAGUES

L'Auteur fait voir dans cette Epitre que la véritable felicité confifte dans la connoiffance de foi-même ; & qu'on se trompe quand on cherche fon bonheur autre part que che foi. Cette Piece fur composée en 1674, & publiée l'année fuivante.

ESPRIT né pour la Cour, & Maître en l'art de

plaire,

GUILLERAGUES, qui fais & parler & te taire, Apprens-moi, fi je dois ou me taire, ou parler. Faut-il dans la Satire encor me fignaler,

Et dans ce champ fécond en plaifantes malices, Faire encore aux Auteurs redouter mes caprices? Jadis, non fans tumulte, on m'y vit éclater: Quand mon efprit plus jeune, & prompt à s'irriter, Afpiroit moins au nom de difcret & de fage : 10 Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon vie

fage.

Maintenant que le tems a meuri mes defirs,
Que mon âge, amoureux de plus fages plaisirs,

& pendant quelque tems if
cut la direction de la Gazette.
Au mois de Decembre 1677,
le Roi le nomma Ambaffa-
deur à Conftantinople, où il
alla en 1679, & il mourut-
d'Apoplexie quelques années

Vers 2. Guilleragues, qui, &c.] Mr. de Guilleragues, à qui cette Epître eft adreflée étoit de Bourdeaux, où il avoit été Premier Préfident de la Cour des Aides. Il fut enfuite Secretaire de la Chambre & du Cabinet de Sa Majesté; I après.

Bien-tôt s'en va frapper à fon neuviéme luftre; J'aime mieux mon repos qu'un embarras illustre. is Que d'une égale ardeur mille Auteurs animez Aiguisent contre moi leurs traits envenimez: Que tout, jufqu'à Pinchêne, & m'infulte & m'ac cable;

'Aujourd'hui vieux Lion je fuis doux & traitable. Je n'arme point contre eux mes ongles émoussez. 20 Ainfi que mes chagrins mes beaux jours font paffez. Je ne fens plus l'aigreur de ma bile premiére, Et laiffe aux froids Rimeurs une libre carriére.

Ainfi donc Philofophe à la Raifon foumis, Mes defauts deformais font mes feuls ennemis. 25 C'est l'Erreur que je fuis; c'eft la Vertu que j'aime. Je fonge à me connoître,& me cherche en moi-même C'eft là l'unique étude où je veux m'attacher. Que l'Aftrolabe en main un autre aille chercher Si le Soleil eft fixe, ou tourne fur son axe; 30 Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe : Que Rohaut vainement féche pour concevoir Comment tout étant plein, tout a pû fe mouvoir :

Vers 13. Bien - tôt s'en va frapper à fon neuviéme luftre. ] Un luftre eft l'efpace de cinq ans: ainfi il approchoit de quarante-uniéme année.

Vers 30. Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe.} Les Aftronomes appellent Pafarallaxe, la difference qui eft entre le lieu veritable d'un aftre, & son lieu apparent ; c'est-àdire, entre le lieu du Firmament auquel l'aftre répondroit s'il étoit vû du centre de la Terre ; & le lieu auquel cer aftre répond, étant vû de la furface de la Terre.

Vers 17. Que tout jusqu'à Pinchêne, &c.] Voïez la Remarque fur le vers 163. du cinquième chant du Lutrin, où il eft parlé de Pinchêne.

Vers 28. Que l'Aftrolabe en main, &c.] Voïez ce qu'on a dit fur le vers 429. de la Satire X.

Vers 31. Que Robaut vaine ment, &c.]

Ou que Bernier compofe & le fec & l'humide Des corps ronds & crochus errans parmi le vuide. 5 Pour moi fur cette mer, qu'ici-bas nous courons, Je fonge à me pourvoir d'efquif & d'avirons; A régler mes defirs, à prévenir l'orage, Et fauver, s'il fe peut, ma raifon du naufrage.

C'est au repos d'efprit que nous afpirons tous : 40 Mais ce repos heureux fe doit chercher en nous. Un Fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne, Et malade à la ville, ainsi qu'à la campagne, En vain monte à cheval pour tromper fon ennui, Le chagrin monte en croupe, & galoppe avec lui. 45 Que crois-tu qu'Alexandre, en ravageant la Terre, Cherche parmi l'horreur, le tumulte & la guerre ? Poffedé d'un ennui, qu'il ne fauroit domter, Il craint d'être à foi-même, & fonge à s'éviter. C'eft là ce qui l'emporte aux lieux où naît l'Aurore, to Où le Perfe eft brûlé de l'Aftre qu'il adore.

Vers 33. Ou que Bernier compofe, &c.] Rohaut dit avec Def cartes, que tout espace étant Corps, ce qu'on appelle vuide feroit efpace, & corps par conféquent; & qu'ainfi nonfeulement il n'y a point de vuide, mais qu'il n'y en peut même point avoir. Bernier au contraire veut, après Gaffendi, que tout foit compofé d'atomes indivifibles, qui errent dans un efpace vuide infini, & que ces atomes ne peuvent fe mouvoir fans laiffer nécef

fairement entr'eux de petits ef paces vuides.

Jacques Robaut, d'Amiens en Picardie, mourut à Paris en 1675. Il eft enterré à Sainte Genevieve, où l'on voit fon Epitaphe à côté de celle du fameux Defcartes. François Bernier, Docteur en Medecine de la Faculté de Montpellier après avoir fait de longs.voïages, & féjourné long-tems dans le Mogol, revint à Paris où il eft mort. Il a fait l'Abregé de Gaffendi.

Vers 44. Le chagrin monte en croupe & galoppe avec lui ) Ho❤ ace; Ode 1. du livre III.

Poft equitem fedet atra quran

De nos propres malheurs auteurs infortunez, Nous fommes loin de nous à toute heure entraînez. A quoi bon ravir l'or au sein du Nouveau Monde ? Le bonheur tant cherché fur la Terre & fur l'Onde, 55 Eft ici, comme aux lieux où meurit le Coco, Et fe trouve à Paris, de même qu'à Cusco : On ne le tire point des veines du Potofe. Qui vit content de rien, pofféde toute chose. Mais fans celle ignorans de nos propres befoins, 60 Nous demandons au Ciel ce qu'il nous faut le moins. O que fi cet Hiver un rhume falutaire, Guérissant de tous maux mon avare Beau-pere, Pouvoit, bien confeffé, l'étendre en un cercueil, Et remplir fa maison d'un agréable deüil! 5 Que mon ame, en ce jour de joie & d'opulence, D'un fuperbe convoi plaindroit peu la dépenfe! Difoit le mois paffé, doux, honnête & foumis; L'héritier affamé de ce riche Commis, Qui, pour lui préparer cette douce journée, 70 Tourmenta quarante ans fa vie infortunée.

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Vers 56. De même qu'à Cufco.] Ville Capitale du

Perou dans l'Amérique.
Vers 57.
-- Des veines
du Potofe.] Le Potofe ou Potofi,
Montagne où font les mines
d'Argent, dans le Perou.

Vers 54. Le bonheur tant cherché, &c.] Horace, Epître 11. du Livre I.

Navibus atque.

Quadrigis petimus benè vivere, &c.

Vers 61. O que fi cet Hiver, un rhume falutaire, &c. } Perfe, Sat. 2. V. 9.

Ebullet patrui praclarum funus ! &c.

La Mort vient de faifir le Vieillard catherreux,
Voilà fon Gendre riche. En eft-il plus heureux ?
Tout fier du faux éclat de sa vaine richesse,
Déja nouveau Seigneur il vante fa noblesse.
75 Quoique fils de Meûnier encor blanc du Moulin,
Il est prêt à fournir les titres en vélin.

En mille vains projets à toute heure il s'égare.
Le voilà fou, fuperbe, impertinent, bizarre,
Rêveur, fombre, inquiet, à foi-même ennuïeux.
o Il vivroit plus content, fi comme ses aïeux,
Dans un habit conforme à fa vraïe origine,
Sur le Mulet encore il chargeoit la farine.

Mais ce discours n'eft pas pour le peuple ignorant ?
Que le faste éblouit d'un bonheur apparent.
$5 L'argent, l'argent, dit-on; fans lui tout est stérile.
La Vertu fans l'Argent n'eft qu'un meuble inutile.
L'Argent en honnête homme érige un scélérat.
L'Argent feul au Palais peut faire un Magistrat.
Qu'importe qu'en tous lieux on me traite d'infame,
90 Dit ce Fourbe fans foi, fans honneur, & fans ame
Dans mon coffre tout plein de rares qualitez,
J'ai cent mille vertus en Louis bien comptez.
Eft-il quelque talent que l'argent ne me donne ș
C'eft ainfi qu'en fon cœur ce Financier raisonne.
Mais pour moi, que l'éclat ne fauroit decevoir,
Qui mets au rang des biens l'Esprit & le Savoir,

Vers 86. La Vertu fans argent n'eft qu'un meuble inutile. J
Horace, Epître I. Liv. I.

O Cives, Cives, quarenda pecunia primum eft.
Virtus poft nummos.

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