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N'oferiez-vous faifir une victoire aifée ?

Allez, vils combattans, inutiles Soldats,

Laiffez là ces moufquets trop pefans pour vos bras: Et la faux à la main parmi vos marécages, Jo Allez couper vos joncs, & preffer vos laitages; Ou gardant les feuls bords qui vous peuvent couvrir, Avec moi de ce pas, venez vaincre ou mourir.

Ce difcours d'un Guerrier que la colere enflâme,
Reffufcite l'Honneur déja mort en leur ame:
5 Et leurs cœurs s'allumant d'un reste de chaleur,
La Honte fait en eux l'effet de la Valeur.
Ils marchent droit au Fleuve, où Lours en perfonne
Déja prêt à paffer, inftruit, difpofe, ordonne.
Par fon ordre Grammont le premier dans les flots
too S'avance foutenu des regards du Heros.

Son courfier écumant fous un Maître intrépide,
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide,
Revel le fuit de près: fous ce Chef redouté

Vers 99. Par fon ordre Gram-
mont, &c.] M. le Comte de
Guiche, fils aîné du Maré-
chal de Grammont, fut le
pre-
mier qui tenta le paffage. Il
étoit Lieutenant General de
l'Armée de M. le Prince; & le
Roi lui commanda de voir
s'il trouveroit un gué dans le
Rhin, pour aller aux Enne-
mis qui paroiffoient de l'au-
ere côté. Il vint rapporter au
Roi qu'il avoit trouvé un gué
facile vers Tolhuys, & pro-
mit de paffer à la tête de la Ca-
valerie. La verité étoit pour

tant qu'il n'y avoit point de
gué: de forte que l'Armée fur
obligée de traverser une bon-
ne partie du Rhin à la nage
mais le Comte de Guiche qui
avoit fervi en Pologne,
s'y
étoit accoûtumé à pafler ainfi
les plus profondes Rivieres
à l'exemple des Polonois.

Vers 103, Revel le fuit de prés. ] Le Marquis de Revel, Colonel des Cuiraffiers, frero de M. le Comte de Broglio. I fut bleffé de trois coups d'é pée, dans l'action qui fuivit le pallage du Rhin.

Marche des Cuiraffiers l'efcadron indompté. 105 Mais déja devant eux une chaleur guerriére Emporte loin du bord le bouillant Lefdiguiére, Vivonne, Nantoüillet, & Coiflin, & Salart: Chacun d'eux au peril veut la premiére part. Vendôme, que foutient l'orgueil de fa naiffance, 110 Au même instant dans l'onde impatient s'élance. La Salle, Beringhen, Nogent, d'Ambre, Cavois, Fendent les flots tremblans fous un fi noble poids.

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Vers 109. Vendôme quve fou tient l'orgueil de fa naiffance.] M. le Chevalier de Vendôme. Quoi qu'il n'eût pas encore 17 ans, il ne laiffa pas de traver fer le Rhin à cheval; il gagna même un Drapeau & un Etendart qu'il apporta au Roi.

Vers 106. Le bouillant Lefdi- | bout, Duc de Coiflin. Il reguiére. ] M. le Comte de Saux. çut plufieurs coups après avoir François - Emanuël de Blan- passe le Rhin. Il est mort le 16 chefort de Bonne de Crequi, de Septembre, 1702. âgé de Duc de Lefdiguiére, Pair de 67. ans. France, Comte de Saux, Gouverneur de Dauphiné, mort en 1681. Pendant le paffage du Rhin, il fut bleffé, mais il ne laiffa pas d'avancer toujours & ne perdit point fon sang; de maniere qu'il fortit de l'eau le premier, & donna le premier coup. Sa valeur fe Vers 111. La Salle, Beringfit beaucoup remarquer dans hen, Nogent, Cavois.] La Salle: cette action:Il montoit un che- Le Marquis de la Salle fut des val blanc,qui fut tué fous lui. premiers à paffer le Rhin. Mais Vers 107. Vivonne, Nan-les Cuiraffiers aïant eu ordre touillet, & Coiflin, & Salart.] de fe jetter à l'eau, & de pafVivonne Louis-Victor de Ro- fer, ils le firent fi brufquechechouart, Duc de Mortement qu'aïant rencontré M. mar & de Vivonne, &c. alors de la Salle devant eux, ils le Général des Galeres de France, blefférent de cinq coups, depuis l'an 1669, & ensuite croïant qu'il étoit Hollan Maréchal de France, en 1675. dois, quoi qu'il fût habillé à Il mourut au mois de Septem- la Françoife, & qu'il eût l'é bre, 1688. charpe blanche.

Nantouillet: le Chevalier de Nantouillet, ami particulier de notre Auteur, auffi bien que M. de Vivonne.

Coifin: Armand du Cam

Beringhen Le Marquis de Beringhen, Premier Ecuïer du Roi, & Colonel du Regiment Dauphin. Son cheval ne voulant point paffer, il fe jetta

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Louis les animant du feu de fon courage,

Se plaint de fa Grandeur, qui l'attache au rivage. 15 Par fes foins cependant trente légers vaisseaux

D'un trenchant aviron déja coupent les eaux.
Cent Guerriers s'y jettant signalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un oeil qui porte la menace.
Il s'avance en courroux. Le plomb vole à l'instant;
120 Et pleut de toutes parts fur l'escadron flottant.

Du falpêtre en fureur l'air s'échauffe & s'allume;
Et des coups redoublez tout le rivage £ime.
Déja du plomb mortel plus d'un brave est atteint.
Sous les fougueux courfiers l'Onde écume & fe
plaint.

125 De tant de coups affreux la tempête orageuse

Tient un tems fur les eaux la fortune douteuse,
Mais L o u 1 s d'un regard fait bien-tôt la fixer.
Le Destin à fes yeux n'oferoit balancer.

Bien-tôt avec Grammont courent Mars & Bellone. 130 Le Rhin à leur aspect d'épouvante friffonne. Quand pour nouvelle alarme à fes efprits glacez,

dans le Bateau de M. le Prin-
ce. Après le paffage il fe bat-
tit vigoureusement, & reçut
un coup de moufquet dans la
mamelle droite, & plufieurs
coups dans fes habits.

Nogent: Armand de Bautru,
Comte de Nogent, Capitaine
des Gardes de la Porte, Lieu-
tenant Général au Gouverne-

ment d'Auvergne, Maître de
la Garde-robe, & Maréchal
de Camp des Armées du Roi,

Il fut tué au passage du Rhin, d'un coup de moufquer à la tête, & fon corps fut inhumé dans l'Eglife de Zevenart, village de Gueldre.

Cavois: Louis d'Oger, Marquis de Cavois, Grand Maréchal des Logis de la Maison du Roi.

Vers 115

Trente lé

gers vaiffeaux. ] Des bateaux de cuivre.

Un bruit s'épand qu'Enguien & Condé sont passez :
Condé, dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les efcadrons, & gagne les batailles :
35 Enguien de fon hymen le feul & digne fruit,
Par lui dès fon enfance à la victoire inftruit.
L'Ennemi renverfé fuit & gagne la plaine.
Le Dieu lui-même cêde au torrent qui l'entraîne,
Et feul, défefpéré, pleurant fes vains efforts,
40 Abandonne à Louis la victoire & fes bords.
Du Fleuve ainfi domté la déroute éclatante
A Wurts jusqu'en fon camp va porter l'épouvante:
Wurts l'espoir du païs, & l'appui de fes murs,
Wurts...ah quel nom, GRAND ROI ! quel Hector
que ce Wurts!

145 Sans ce terrible nom, mal né pour les oreilles,
Que j'allois à tes yeux étaller de merveilles !
Bien-tôt on eût vû Skink dans mes Vers emporté,
De fes fameux remparts démentir la fierté.
Bien-tôt... mais Wurts s'oppose à l'ardeur qui

m'anime.

150 Finissons, il eft tems: auffi-bien fi la rime Alloit mal à propos m'engager dans Arnheim;

Vers 132. Qu Enguien & Condé font paffe.] Condé M. le Prince de Condé, Louis de Bourbon, l'un des plus grands Capitaines de l'Europe. Il mourut le 11 de Decembre 1686. Enguien: M. le Duc D'Enguien fon fils.

Vers 142 A Wurts jufqu'en fon camp, &c.] Wurts, Maréal de Camp des Hollandois,

commandoit le Camp deftiné à s'opposer au paffage du Rhin.

Vers 148. De fes fameux remparts démentir la fierté.] Le Fort de Skink fut affiégé par nos troupes le 18 de Juin, & pris le 21.

Vers 151. M'engager dans Arnheim ] Ville confidé rable des Provinces - Unies, dans le Duché de Gueldre

Je ne fai pour fortir de porte qu'Hildesheim; O que le Ciel foigneux de notre Poëfie, GRAND ROI, ne nous fit-il plus voisins de l'Afie! Iss Bien-tôt victorieux de cent Peuples altiers,

Ta nous aurois fourni des rimes à milliers. Il n'eft plaine en ces lieux fi féche & fi stérile, Qui ne foit en beaux mots par tout riche & fertile. Là plus d'un Bourg fameux par fon antique nom 160 Vient offrir à l'oreille un agréable son.

Quel plaifir de Te fuivre aux rives du Scamandre! D'y trouver d'llion la poëtique cendre : De juger fi les Grecs, qui briférent ses Tours, Firent plus en dix ans que Lo u 1 s en dix jours! 165 Mais pourquoi fans raifon défefpérer ma veine? Eft-il dans l'Univers de plage fi lointaine,

Où ta valeur, GRAND ROI, ne Te puiffe porter, Et ne m'offre bien-tôt des exploits à chanter ? Non, non, ne faifons plus de plaintes inutiles; 170 Puisqu'ainfi dans deux mois tu prens quarante Villes, Affuré des bons Vers dont Ton bras me répond; Je t'attends dans deux ans aux bords de l'Hellefpont.

Elle fut prife par nos troupes |
fous le commandement de
M. de Turenne le 14 de Juin
1672,

Vers 152.

De porte qu'Hildesheim.] Petite Ville de

l'Electorat de Tréves.

Vers 154. -Plus voifins de l'Afie.] De la Grece Afiati que dans laquelle étoit fituée la fameufe Ville de Troie, ou d'Ilion.

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