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HYGIÈNE APPLIQUÉE A L'INDUSTRIE.

Par le docteur LEBOUCHER.

Si l'industrie continue à marcher rapidement, l'hygiène la suit de près quand elle ne l'accompagne pas. Ce sont, en effet, deux puissances qui ne doivent pas se quitter, si l'homme veut retirer de ses inventions tous les avantages moraux et matériels possibles.

Il y a quelques mois à peine, M. le docteur Delpech publiait un mémoire des plus importants sur les accidents auxquels sont exposés les ouvriers qui travaillent le caoutchouc, et il prescrivait quelques sages mesures propres à diminuer la fréquence et l'intensité de ces accidents.

Ce genre de recherches est digne du plus haut intérêt, et les savants qui s'y livrent me paraissent tout particulièrement bien mériter de la science et de l'humanité. Car les hommes qui emploient leur vie à nous procurer les choses utiles, les agréments, les plaisirs de l'existence, et pour un certain nombre même des loisirs trop souvent peu dignes, valent bien au moins qu'on s'occupe activement à éloigner d'eux la souffrance et les infirmités; ils méritent bien qu'on s'ingénie à faire durer leurs jours et leurs forces.

Si Virgile eût vécu à notre époque de merveilles industrielles, c'est sans doute pour les inventeurs et pour les pionniers des plus rudes labeurs qu'il eût chanté. Qui mériterait plus, en effet, ce pompeux éloge.

DEUXIÈME SERIE. I.

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Deus nobis hæc otia fecit! Mais, en ce temps, la justice était absente du monde païen, et Auguste seul était apprécié.

Cette courte digression, à propos des dangers que courent les ouvriers employés à la vulcanisation du caoutchouc, serait également applicable à la plupart des autres genres d'industrie. Car tous ont leurs dangers, et tous nous procurent des jouissances.

C'est aussi le fait des conducteurs et des chauffeurs de machines à vapeur, et c'est de ceux-là surtout que je veux parler.

Dernièrement l'Ami des sciences, qu'on ne doit jamais oublier quand il s'agit des intérêts scientifiques et industriels, et plusieurs journaux de médecine publiaient une note très-intéressante sur un mémoire de M. Duchesne, ayant pour titre la Maladie des mécaniciens de chemins de fer.

Ce mémoire fait ressortir toutes les conditions fàcheuses auxquelles ces hommes si indispensables sont exposés par le fait des vicissitudes atmosphériques si variées par les causes météorologiques et par les variétés de construction des lignes, surtout par les souterrains, par le fait du combustible, de la vitesse, de la trépidation de la machine, de la chaleur du foyer, de la poussière, de la longueur des lignes, de la station debout, etc.

A peine les mécaniciens et les chauffeurs, dit l'auteur, ont-ils fait une année de service sur les locomotives, qu'on les voit prendre des forces et presque constamment un embonpoint considérable.

Voilà le beau côté de la médaille; voyons le revers.

Ces hommes, continue M. Duchesne, sont sujets au lombago, à la bronchite, aux fièvres intermittentes, à la fièvre typhoïde, à la névralgie faciale, surtout à droite, aux douleurs rhumatismales, surtout du côté droit du corps, et enfin à des douleurs d'une nature particulière, qui n'existent que dans les membres inférieurs et qui paraissent avoir leur siége dans la continuité des os.

Les affections chirurgicales sont les ophthalmies, les varices, le varicocèle, les hernies, les brûlures, les plaies, les contusions, les luxations et les fractures.

Après un certain nombre d'années de service, la vue s'affaiblit, l'ouïe s'altère, se perd même quelquefois complétement, tandis que l'odorat devient beaucoup plus fin.

On a remarqué aussi qu'à la longue les sujets maigrissent; la faculté génératrice s'éteint et l'intelligence s'affaiblit. Il y a des soubresauts, des convulsions.

Tels sont les résultats qu'on paraît être très-fondé à mettre sur le compte de l'inspiration des gaz oxyde de carbone et acide carbonique qui s'échappent du foyer.

Peut-être eût-on bien fait d'ajouter à ces influences délétères celle de l'acide sulfureux, dont le nez perçoit facilement la présence quand on se trouve placé auprès du foyer, surtout si on brûle du coke. C'est une remarque que j'ai pu faire moi-même, chaque fois qu'il m'a été donné de faire un voyage sur une locomotive.

On a proposé comme agents prophylactiques deux sortes de moyens : l'augmentation du nombre des mécaniciens et des chauffeurs, et une galerie vitrée ou un treillage métallique pour mettre ces hommes en partie à l'abri des influences atmosphériques.

Il faut ici, d'abord, louer l'excellence des intentions, avoir ensuite le droit d'en faire la critique.

pour

Le doublement du nombre de cette catégorie d'employés serait la chose la plus facile et celle dont le résultat serait le plus certain, car il permettrait de diminuer, pour chacun, de cinquante pour cent la somme des inconvénients, et, comme sans doute l'administration ne laisserait pas ces hommes la moitié du temps inoccupés, il y aurait encore pour eux le bénéfice de l'alternance des travaux. Mais, à moins qu'elle n'ait absolument la main forcée, l'administration répondra toujours Économie, actionnaires, dividendes !...

Quant au second moyen, les galeries vitrées, l'idée est très-séduisante, elle m'était venue aussi; mais, en y réfléchissant, il m'a semblé que ses avantages ne balanceraient pas même ses inconvénients; ainsi il faut considérer ici deux ordres d'influences: les causes météorologiques et l'action de plusieurs gaz plus ou moins délétères. Ou bien ces deux causes peuvent agir énergiquement contre la résistance de l'individu; ou bien on peut, jusqu'à un certain point, les mettre en antagonisme et affaiblir l'une par l'autre.

Il est bien certain que la puissante ventilation animée par la rapidité de la marche a pour effet d'amoindrir l'influence des gaz; nous verrons, dans quelques instants, jusqu'à quel degré. Ce qui nous importe pour le moment, c'est de bien savoir que tout ce qui s'oppose à l'énergie de cette ventilation tend nécessairement à favoriser l'accumulation de la puissance destructive des gaz produits par la combustion. Tel est le cas des galeries vitrées. C'est pourquoi je crois l'application de cette

idée tout au moins inutile, sinon dangereuse, ou du moins prématurée.

Ce qui me paraît certain, et cela ressort des termes mêmes du mémoire de M. Duchesne, c'est que la plus fâcheuse influence ne provient pas de l'action du courant atmosphérique. En effet, l'auteur dit : « A peine les mécaniciens et les chauffeurs ont fait une année de service sur les locomotives, qu'on les voit prendre des forces et presque constamment un embonpoint considérable.»

Cette observation prouve manifestement l'efficacité de l'oxygène sur l'organisme humain, tant qu'il n'est pas encore atteint dans les sources intimes de la vie par l'influence délétère et prolongée des gaz oxyde de carbone, acide carbonique et acide sulfureux.

Les galeries de verre ne sont donc pas le remède et le courant d'air la principale cause du mal. Et pourtant il est bien important de faire quelque chose pour la santé et pour la durée d'existence de ces hommes si utiles qui ne semblent prendre momentanément une santé vraiment florissante que pour tomber plus sûrement et plus prématurément. C'est que, semblables à la fleur si brillante aujourd'hui et qui tombera demain sans espoir de fruit, ils ont au cœur, comme elle, un ver qui se nourrit de leur vie.

Cette comparaison est d'autant plus vraie, que l'observation montre que plusieurs de ces hommes deviennent impuissants au physique et au moral. Ces deux points, entre autres, rattachent les résultats de cette condition des mécaniciens à ceux observés chez les ouvriers qui

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