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leurs parties, que je fusse assuré de ne rien omettre. » La gloire de Descartes est d'avoir transporté la méthode de Bacon à la philosophie, en donnant à la psychologie une base expérimentale par la constatation d'un fait, la pensée, la vie, et non une base métaphysique. Les hypothèses erronées de ces deux grands hommes doivent être rejetées et sur l'imperfection des sciences à leur époque, et sur les préjugés dont ils n'ont pu se défaire, et sur les applications incomplètes de leur méthode.

En résumé, Bacon et Descartes réagissent avec la même énergie contre la solastique, relèvent avec le même courage le drapeau de la liberté de l'esprit humain, secouent avec la même vigueur le joug de toute autre autorité que celle de la raison éclairée par l'expérience, ouvrent enfin, le premier aux sciences physiques et naturelles, le second aux sciences mathématiques et physiologiques, et à la philosophie elle-même, la vaste carrière qu'elles parcourent sans entraves depuis deux siècles!

Et, en pleine Académie de médecine, en 1857, un professeur de la faculté, un érudit, mais avant tout un orateur, a pu, sans soulever une protestation unanime, opposer Bacon et Descartes, et dans quels termes!

« Ces deux méthodes philosophiques, elles ont un nom qu'il importe de leur restituer: l'une est celle de Bacon, l'autre est celle de Descartes.

<< Il y a quelques années, dans un travail que j'eus l'honneur de lire à cette tribune, j'ai cherché à différencier la chirurgie contemporaine de celle des siècles précédents. J'ai montré le caractère cartésien de la chirurgie du dix-huitième siècle, qui fit sa puissance et

sa faiblesse, en attendant que le génie vigoureux de John Hunter la poussât dans d'autres voies. C'est donc le vieux spectre édenté du dix-huitième siècle qui vient porter défi à la génération virile du dix-neuvième siècle; c'est l'évidence en matière scientifique opposée à la démonstration; c'est l'imagination mise à la place des faits, le roman à la place de l'histoire; Descartes en lutte avec Bacon. Les drapeaux sont déployés; que chacun reconnaisse le sien et s'y range! »

Parmi les membres de l'Académie, un jeune professeur de l'école d'Alfort, expérimentateur non moins méthodique qu'ingénieux, M. Boulet, a seul eu assez de courage et de sens pour faire justice d'un antagonisme qui n'a jamais existé que dans la rhétorique de M. Malgaigne.

Et voilà que, dans la presse médicale, la lutte s'engage. M. Pidoux se range sous le drapeau de Descartes et écrase Bacon sous une avalanche d'épithètes philosophiques et d'arguments scolastiques; il le défigure, il le rappetisse, il l'annihile. Heureusement que Descartes est mort, sans quoi il prendrait lui-même, contre son trop zélé panégyriste, la défense de Bacon, dans le style de sa polémique contre Gassendi et Hobbes, dont M. Pidoux semble s'être particulièrement inspiré.

M. Pidoux confond la méthode de Bacon avec son Histoire naturelle, comme M. Malgaigne confond les hypothèses de Descartes sur la glande pinéale, les esprits animaux, les animaux machines et les tourbillons, avec sa méthode. Tous deux confondent les théories avec les hypothèses. - Or les théories ne sont que la constation rigoureuse des rapports qui existent entre

les faits et leur systématisation logique. Les théories ne sortent point du domaine expérimental; là où il finit, là où il échappe à nos investigations, commence le champ des hypothèses. Nous avons une théoriede la circulation; nous n'avons point encore une théorie rigoureuse des battements du cœur. Le physiologiste allemand qui prétend que le cœur bat parce qu'il recule, n'a pas de beaucoup avancé la question. On pourrait retourner toute sa démonstration et lui prouver que le cœur recule parce qu'il bat. La méthode de Bacon et de Descartes survit à leurs théories anticipées, à leurs hypothèses; que leurs préceptes nous servent de guide et leurs erreurs de leçon !

Reste maintenant à déterminer l'influence qu'ils ont exercée sur la médecine et notamment sur la thérapeutique. Je n'hésite pas à affirmer qu'elle a été complétement nulle. Je n'en voudrais pour preuve que les discussions de l'Académie, les paroles de M. Malgaigne, la polémique de M. Pidoux. La tendance expérimentale précède Bacon et Descartes. Après qu'ils l'ont exprimée, elle se continue et se généralise par son propre mouvement. Que si on peut discuter l'impulsion plus ou moins grande que les travaux de Descartes et de Bacon ont imprimée à l'anatomie, à la physiologie et à la pathologie, il est incontestable qu'ils n'ont eu aucune action sur les progrès de la thérapeutique. Aujourd'hui comme de leur temps, les partisans des idées philosophiques les plus opposées trouvent parfaitement conforme à leurs systèmes individuels la même médication empirique. M. Pidoux cartésien n'a pas une autre méthode thérapeutique que M. Malgaigne baconien.

Dans l'école homœopathique elle-même, comme dans l'école allopathique, nous voyons les médecins les plus consciencieux accommoder parfaitement leurs doctrines thérapeutiques à leurs doctrines philosophiques. Tels ont pratiqué longtemps l'allopathie avec des principes philosophiques bien déterminés, qui n'en ont pas sacrifié un seul en devenant homœopathes, et je suis de ce nombre. Tels autres n'ont point cessé de professer l'homœopathie tout en abandonnant des principes philosophiques longtemps soutenus, pour en embrasser de diamétralement contraires. D'où il suit bien évidemment que, bien loin que les hypothèses philosophiques exercent la moindre influence sur la thérapeutique, c'est au contraire la démonstration expérimentale de la thérapeutique qui force les convictions philosophiques à l'accepter, et les domine jusque dans leurs plus étranges variations.

Aussi toutes les discussions philosophiques, celles surtout qui ont pour objet de donner pour base à la thérapeutique une hypothèse psycologique, physiologique ou pathologique, me paraissent devoit être écartées avec le plus grand soin comme inutiles. Elles ne servent qu'à entretenir l'activité et l'amour-propre de ceux qui préfèrent la littérature facile aux pénibles efforts de l'observation. Cette longue discussion même, dans laquelle j'ai eu pour objet de détruire le fantôme de la PHILOSOPHIE MÉDICALE, et le préjugé que Sprengel a fortifié, de son autorité en reprochant à toutes les théories médicales d'emprunter leurs bases à la philosophie dominante, cette longue discussion, dis-je, serait sans objet, si elle ne devait contribuer à débarrasser la voie du

progrès, que nous parcourons en thérapeutique, de plusieurs obstacles qui l'encombrent encore.

N'oublions pas que Hahnemann n'a établi sa grande loi de similitude que sur l'expérience des siècles antérieurs, sur celle de ses contemporains et sur la sienne propre; que notre posologie est elle-même le résultat de l'expérience; qu'elle ne soutiendrait pas un seul instant l'examen, si, au lieu de reposer sur cette base solide, elle n'avait pour appui que les hypothèses de Hahnemann sur le mode d'action des médicaments, ou les hypothèses diverses de ses disciples, décorées audacieusement du nom de théories. N'oublions pas surtout que, depuis Hippocrate jusqu'à Bacon et Descartes, depuis Sydenham jusqu'à Broussais, les hypothèses sur la nature et sur la cause des maladies ne nous ont rien appris sur la manière de les prévenir et de les guérir.

Rayons de notre vocabulaire ces mots vides de sens, philosophie médicale. Soyons médecins avant tout, et laissons philosopher ceux qui pensent atteindre le fond des choses en s'enfonçant chaque jour davantage dans les ornières de la routine.

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En présentant un nouveau moyen de traiter les étranglements des intestins, je crois devoir répondre à un

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