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Bien loin que les obstacles nouveaux soient une cause de découragement, ils deviennent au contraire une nouvelle excitation pour le génie, qui n'est, après tout, comme le dit Buffon, que de la patience. Le jour où elle lui fait défaut, il s'abîme dans le pyrrhonisme ou dans le dogmatisme.

Là est l'explication de ce qui se passe sous nos yeux, du retour des uns au dogmatisme par le sensualisme ou par le néo-cartésianisme, de la chute des autres dans les bas-fonds du scepticisme.

Ainsi, de même que les pseudo-cartésiens fondent leur dogmatisme sur un à priori, de même les pseudobaconiens établissent le leur sur un à posteriori.

Enfants perdus de la science, ils ne sont qu'à la porte du temple, et, dans leur orgueilleuse convoitise, ils s'imaginent posséder la clef du sanctuaire. Les premiers prétendent l'avoir reçue directement de Dieu; les seconds, ne la devoir qu'à eux-mêmes. Que leur aveuglement nous serve de leçon ! N'oublions pas que la méthode est notre seul guide, l'expérience notre seule lumière dans le domaine de l'observation, notre seul lot sur cette terre. La première et la dernière page du livre de la nature ne se lisent que dans l'éternité...

J'ai envisagé d'une manière générale les prétentions de la philosophie médicale et les tendances dont elles sont l'expression. Dans ces derniers temps, ces tendances ont été fortifiées par les résultats en apparence contradictoires d'expériences physiologiques pratiquées sur les animaux. MM. Bérard et Colin viennent, dit-on, de renverser la théorie de M. Claude Bernard sur les

fonctions du pancréas, et M. Louis Figuier la théorie sur la fonction glycogénique du foie. Qu'est-ce que cela prouve ? ou que M. Claude Bernard s'est trop pressé de conclure, ou qu'il a mal expérimenté. Dans le premier cas, la théorie est renversée par l'expérience; dans le second cas, c'est une expérience nouvelle qui rectifie une expérience antérieure; voilà tout! C'est toujours l'expérience qui sert de criterium; et je ne vois point là un motif suffisant de la séparation de l'école expérimentale en deux camps, celui de la fantaisie et du bon sens; personne, que je sache, n'ayant encore monopolisé à son profit ni l'imagination ni le sens commun.

De ces luttes salutaires, l'école théologique ne saurait tirer aucun parti nouveau pour ses doctrines. Quant au néo-cartésianisme, le résultat, quel qu'il soit, ne peut que lui être fatal. Son spiritualisme nébuleux et le vitalisme organique qui en découle composent un dogmatisme inextricable, aussi obscur, si ce n'est plus, pour le maître que pour ses rares disciples. Si un pareil dogmatisme demande à l'expérience sa consécration, il disparaît, il se nie lui-même; s'il prétend la dominer du haut de ses principes, il rentre forcément dans le giron théologique, sous la forme périlleuse d'un schisme ou d'une hérésie.

D'accord avec le raisonnement, l'histoire de la médecine conduit donc à la négation de la philosophie médicale. Les promoteurs de la création d'une section nouvelle à l'académie de médecine doivent en prendre leur parti. Si, parmi eux, quelques-uns étudient l'histoire, ce dont je doute, ils peuvent convoiter un fauteuil à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, où siége

déjà M. Littré, et où une place est réservée à M. Daremberg. Si d'autres font, à leur loisir, de la psychologie, de l'économie politique, de l'assistance publique, de la philanthropie, je ne m'oppose pas à leur entrée à l'académie des sciences morales et politiques entre MM. Villermé et Lélut. Enfin, s'il en est qui cultivent la littérature, ils peuvent, grâce à la discrétion qu'ils y apportent, espérer de combler l'un des vides qui se font si fréquemment, à l'Académie française, autour de M. Flourens.

La littérature et la philosophie médicales sont le refuge des désespérés de la thérapeutique. L'histoire le démontre : c'est parce que l'expérience ne justifie pas les médications systématiques que l'empirisme, manquant de méthode, en arrive fatalement au dogmatisme ou au scepticisme.

J'ai indiqué rapidement les faits. Une étude plus approfondie et plus détaillée les mettrait en pleine lumière. Elle ferait voir que les philosophies régnantes, bien loin d'avoir exercé une influence sur la médecine, ont au contraire reçu constamment l'empreinte des progrès accomplis dans les sciences physiques et physiologiques. D'un autre côté, elle démontrerait que l'empirisme, dans son développement, depuis l'état le plus rudimentaire jusqu'à sa constitution méthodique, a seul présidé aux progrès des sciences physiques et physiologiques, notamment de la thérapeutique, tandis que tous les dogmatismes se sont affaissés dans leur impuissance.

L'histoire est une grande leçon de modestie et de réserve pour les audacieux, de persévérance et de cou

rage pour les plus timides, pour tous un grand ensei

gnement.

D' A. CRETIN.

DU TRICOPHYTON

ET DU SYSTÈME DE M. LE DOCTEUR BAZIN SUR LA TEIGNE

A PROPOS DE

LA THÈSE DE M. LE DOCTEUR CRAMOISY.

Messieurs,

Désigné par vous pour faire le compte rendu de la thèse soutenue l'année dernière par notre confrère le docteur Cramoisy, à la Faculté de Médecine de Paris, je viens, un peu tardivement peut-être, ce dont je vous demande pardon, m'acquitter de la mission que vous m'aviez confiée.

Le travail inaugural de notre confrère a pour sujet l'une des plus récentes découvertes de la dermatologie: le champignon du cheveu démontré et décrit pour la première fois par le docteur Gruby en 1840, et reconnu pour être le Tricophyton (de rpi, cheveu et qurov, plante), végétal de la tribu des hyphomycètes, selon A. Richard, et des torulacées, selon Léveillé.

Ainsi que M. Cramoisy s'est empressé de le constater dans sa préface et dans son introduction, les principaux matériaux de sa thèse n'étant autre chose qu'un recueil des leçons orales ou écrites, et des observations émanées de son maître, l'honorable docteur Bazin, je serai souvent conduit, dans cet examen, à rappeler les travaux

du professeur en même temps que ceux de l'élève. J'ose espérer que M. le docteur Bazin ne verra dans ce fait qu'un hommage tout naturel rendu à ses laborieuses recherches; et vous, messieurs, vous ne tarderez pas à vous apercevoir combien il était nécessaire que j'allasse de temps en temps jusqu'à la source où notre collègue a puisé les éléments de sa thèse. Car, si la découverte du tricophyton doit mettre à néant certaines erreurs dermatographiques, elle est devenue entre les mains du médecin de l'hôpital Saint-Louis, dont M. Cramoisy s'est fait en cela le trop fidèle écho, le point de départ de déductions qui, si elles étaient vraies, porteraient une rude atteinte à l'une des plus vastes conceptions de notre maître à nous. En effet, et disons-le tout de suite, dans les conceptions de M. Bazin et dans l'esprit de M. Cramoisy, le champignon qui se développe dans les cheveux ou dans les poils n'est point un résultat pathologique engendré sous l'influence d'une diathèse quelconque, mais bien une entité morbide essentiellement locale et matérielle, et par conséquent indépendante de tout état constitutionnel; opinion que je me propose de combattre et que j'essayerai de détruire.

Dès les premières lignes de son introduction, M. Cramoisy trace nettement son but : « Depuis, dit-il, deux mille quatre cents ans à peu près, plusieurs affections sont considérées tout à fait séparément, et cependant, comme nous le ferons voir, elles n'en font qu'une seule et même; chaque période a un nom différent, et ce nom change également quand la maladie siége sur la peau, sur la tête, dans la barbe ou aux parties génitales : c'est ainsi, par exemple, que dans la première période, si le

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