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Tout ce qui eft au-deffus de l'intelligence du Vulgaire,eft à
fes yeux, ou facré, ou prophane, ou abominable.
Tome II. pages 3 & 4.

NOUVELLE ÉDITION,
revue, corrigée & augmentée.
TOME TROISIEME.

A PARIS,
Chez les Libraires Affociés..

M. D C C. XCIL

Barvard College Library Bowie Collection Git of

Mr. E. D. Brandegeo Nov. 9, 1908

LE COMPERE

MATHIEU;

O U

LES BIGARRURES

DE L'ESPRIT HUMAIN.

LORS

CHAPITRE XXVIII.

ORSQUE nous eûmes tiré de notre cabane tout ce qui nous convenoit, nous reprîmes le chemin par lequel nous étions entrés dans le pays: enfuite nous tirâmes à travers une plaine fabloncufe droit à une chaîne de montagnes qui paroiffoient à deux ou trois lieues de nous.

Lorfque nous fumes au pied de ces montagnes, nous jugeâmes qu'elles étoient inhabitées; c'eft pourquoi nous entreprîmes de les paffer, & en moins de deux heures nous fumes de l'autre côté. Alors nous nous arrêtâmes près d'une fontaine qui fortoit d'un rocher, & nous fimes nos Tome III,

difpofitions pour paffer la nuit dans cet endroit.

Cette nuit fut moins employée à dormir qu'à réfléchir & raifonner fur ce que nous venions de voir. Le Compere, honteux d'avoir été la dupe de fes faufles conjectures, perfiftoit toujours à vouloir être affommé : le Révérend alloit enfin le fatisfaire; mais Vitulos vint à bout de leur faire entendre raifon.

Lorfque le jour fut venu, nous tinmes confeil fur le chemin que nous avions à prendre. Il fut réfolu que nous tirerions droit au midi, pour tâcher d'aborder dans quelque contrée du Mogol, & paffer de là à Surate, & de Surate en Europe.

Nous marchâmes pendant huit jours à travers des pâturages immenfes, parfemés de quelques bocages, & entrecoupés de ruiffeaux. Au bout de ce temps nous rencontrâmes une horde de trois à quatre cents Tartares, qui nous régalerent d'abord de quelque pintes de lait, & qui finirent par nous voler nos armes & tout ce que nous avions, malgré la résistance de Pere Jean, les reproches du Compere, les repréfentations de Vitulos, les cris de Diego & mes pleurs.

Lorfque nous cûmes quitté ces Tartares, nous pourfuivîmes notre route; mais nous n'avions plus de quoi tirer du gibier pour nous nourrir: notre feule refl'ource ne confiftoit plus que dans les herbes & les racines. Heureufement que nous découvrîmes parmi ces dernieres une espece de raifort qui étoit d'affez bon goût, & très-nourriffant.

De temps en temps nous rencontrions encore quelques Tartares, qui nous régaloient comme les autres, & qui nous auroient volé de même, fi nous euffions eu encore quelque chofe à voler. Enfin, au bout de trois mois de fatigues & de

périls de toutes efpeces, nous arrivâmes dans le Mogol.

Il s'agiffoit de traverfer ce vafte Empire, & de vivre un peu plus à notre aife que nous n'avions fait jufqu'alors; mais nous n'avions pas le fou. Pere Jean, qui avoit été notre protecteur, notre appui, notre réconfort en mille occafions, le fat encore dans celle-ci. Il connoiffoit parfaitement les fimples; il fe mit à en chercher de propres contre différentes maladies, & s'annonça pour Médecin dans la premiere ville que nous rencontrâmes. Mais le délabrement de fon habit fut la cause que l'on ne fe fia pas d'abord à ce qu'il s'efforçoit de faire entendre. A la fin, ayant guéri une femme d'une fiévre maligne, & & un homme d'un mal de jambe jugé incurable, les pratiques lui vinrent en foule, & les préfents lui tomberent de toutes parts..

Au bout de quelque féjour dans cet endroit, nous continuâmes notre route de ville en ville, & nous arrivâmes à Lahor, où la renommée avoit déjà devancé notre Efculape.

A peine fûmes-nous dans cette ville, que les principaux de l'endroit voulurent voir fa Révéreuce: c'etoit à qui le fêteroit, à qui l'emploieroit dans les circonftances où fon miniftere étoit néceffaire. Enfin, au bout de trois mois nous avions pour plus de deux mille écus de bien, tant en argent qu'en bijoux, étoffes, &c.

Nous étions réfolus de féjourner au moins un an dans cette ville, lorfqu'un foir le Révérendiffime ayant goûté d'un pot de confitures qu'on lui avoit envoyé, fe trouva tout-à-coup attaqué d'une colique affreufe. Il ne douta point que les Médecins de Lahor, jaloux de fes fuccès, ne l'euffent fait empoifonner. Il eut recours à tous

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